Présidentielle de 2012 : Un tournant dans la précampagne

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Les événements du Nord ont produit un électrochoc au sein de la population malienne. Le destin de la Nation a pris le pas sur les préoccupations politiciennes. Face au péril, l’union, le « been ka di » comme disent les bamanans, l’emporte sur toute autre préoccupation. Cette situation coïncide avec un important tournant dans la précampagne présidentielle.

Tous derrière ATT
Premier signal, dès avant l’agression par des desperados du MNLA: l’alignement quasi général des candidats en mesure de l’emporter, sur la politique du président Amadou Toumani Touré. Le ralliement le plus spectaculaire est sans doute celui d’Ibrahim Boubakar Keïta, pourtant deux fois candidat contre le président sortant. Ses récentes apologies de la politique conduite par ATT sont allées si loin qu’il a dû se défendre lui-même «d’être un griot». Surtout, elles marquent une inflexion notable dans l’image d’un candidat jusque-là présenté par ses partisans comme un homme fort, capable d’effectuer la rupture avec une politique de consensus jugée paralysante. On notera également l’énigmatique déclaration du ministre des Affaires étrangères, homme-clef de l’Adéma, l’influent Soumeylou Boubèye Maïga. Il affirme que personne n’est plus proche d’ATT que lui, sans jamais citer celui qui est pourtant officiellement son candidat, le président de l’Assemblée nationale et du parti majoritaire, Dioncounda Traoré.
Ces différentes déclarations ont évidemment pour but de se concilier l’hôte de Koulouba dont chacun sait qu’il aura une influence décisive sur l’échéance d’avril-mai prochain. Comme président, ATT garde la haute main sur l’Administration. Surtout, malgré les critiques qu’on entend ça et là sur son inclination au compromis, son bilan est globalement jugé positif. Cet alignement général rappelle la proximité politique des différents «grands» candidats, tous issus de l’Adéma. Il fait planer sur ce qui reste du parti le plus influent du pays, la menace des recompositions qui l’ont régulièrement divisé au gré des ambitions électorales. Rappelons que l’Urd de Soumaïla Cissé et le Rpm d’IBK sont nés de scissions de l’Adéma.
La crise du Nord invite elle aussi, par nécessité, à faire bloc autour de l’action publique et de l’Armée, surtout après les émeutes de début février, vite suivies de tracts et d’affichages séditieux. Ces affrontements  pèsent lourd dans le sentiment de la nation et dans sa défiance vis-à-vis des combines politiciennes, sévèrement jugées, quand la priorité est de maintenir la capacité du Mali à sauvegarder son unité et son intégrité. Le président l’a compris, en invitant les chefs des principaux partis à se réunir autour de lui pour faciliter, dans l’unité, la sortie de crise. Curieusement, à la sortie de cet entretien vital pour l’intégrité du Mali, le professeur Dioncounda Traoré, président de l’Assemblée nationale, président de l’Adéma-Pasj et candidat à la succession d’ATT, a centré sa déclaration sur un point qui visiblement l’intéressait davantage : « l’engagement (du chef de l’Etat) à tout mettre en œuvre pour se retirer le 8 juin 2012 ». Une précipitation que, dans ces circonstances, beaucoup ont jugée déplacée.
Le pacte des partis
Le second événement significatif est le pacte conclu entre les différents partis susceptibles de l’emporter. Pacte imaginé pour barrer la route à Modibo Sidibé, qui s’est dispensé de leur approbation. Cette curieuse alliance de forces officiellement concurrentes restera comme une bizarrerie de la vie politique malienne. On comprend mal, en effet, quelle logique préside à une telle combinaison. Elle ne peut se justifier par la convergence de politiciens qui vont durement et légitimement s’affronter dans les mois qui viennent. Elle apparaît plutôt comme une volonté de préserver l’influence des états-majors de partis dans l’organisation des pouvoirs et la distribution des postes après l’élection.
Il n’est d’ailleurs pas certain que cet accord serve la cause de ceux qui l’ont conclu. Il fait en effet apparaître Modibo Sidibé comme un homme libre, s’il est élu, de choisir ses collaborateurs sans autre considération que la compétence et le dévouement. Cela peut devenir un atout dans un pays qui nourrit une énorme méfiance à l’encontre des «politiciens». Modibo Sidibé, cible de cette manœuvre, l’a bien compris quand il y fait répondre que son parti, à lui, « c’est le Mali ». Et l’accord entre les partis ne le dépossède pas d’une organisation qui a déjà fait ses preuves. Elle ne prémunit pas non plus les partis de défections qui déjà menacent. D’autant plus que le carnet d’adresses de cet empêcheur de «politiquer en rond» est notoirement ouvert à toutes les sensibilités.
La méthode Modibo
Le troisième facteur de ce tournant politique est justement l’entrée en lice de l’ancien Premier ministre et la singularité de sa campagne. Contrairement à ses concurrents, Modibo Sidibé n’a pas à donner des gages de fidélité à Amadou Toumani Touré. Il est associé depuis l’origine à l’action du président. Sa réputation de loyauté interdit d’imaginer, aujourd’hui ou demain, qu’il engage quoi que ce soit contre la réputation de l’homme du 26 mars. Ce serait d’ailleurs suicidaire, puisque l’essentiel de l’action dont Modibo Sidibé peut se recommander a été menée en étroite intelligence avec les deux derniers présidents.
Il faut surtout prêter attention à une campagne très originale qui pourrait bien marquer un tournant dans les pratiques politiques maliennes et peut-être africaines. Première singularité, la longue et patiente tournée qu’il a effectuée dans un nombre impressionnant de communes et de villages (certaines localités étant totalement inconnues jusqu’à sa tournée) avant d’annoncer sa candidature. Cette consultation lui a fait rencontrer des centaines de personnalités locales qui ont la confiance de la population. Elle a été vécue comme la renaissance d’une vieille tradition démocratique africaine, celle de l’échange préalable avant toute prise de décision importante. Elle constitue peut-être un pas vers une acclimatation de processus électoraux qui peinent à prendre leurs marques dans les réalités africaines. Dans la foulée, après avoir sobrement annoncé à la presse sa décision de se présenter à l’élection présidentielle, Modibo Sidibé a envoyé une lettre signée de sa main aux maires et aux notables de toutes les communes du pays. Il y explique son choix, ses orientations et la nécessité, s’il est élu, d’une participation citoyenne aux évolutions souhaitées.
Horizon 2030
Autre originalité, le titre qu’il a donné à son projet: Mali Horizon 2030. Quand on lui demande pourquoi une date si éloignée, une date qui excède largement son éventuelle présidence, Modibo Sidibé évoque les enfants d’aujourd’hui. 2030, c’est le temps de leur entrée dans l’âge adulte. Leurs pères, leurs mères, leurs grands parents espèrent tous que le Mali dont ils auront alors la responsabilité leur offrira de bonnes opportunités. Leur horizon, ce ne sont pas les échéances électorales. Demain s’écrit maintenant.
Une fois de plus, le Mali contribue à la construction autonome d’une démocratie apaisée, ancrée dans les réalités africaines, capable d’inventer son destin par elle-même. Quel que soit le candidat que les électeurs enverront au palais de Koulouba, c’est une bonne nouvelle.
Tiè Blén Dembelé

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