Pourquoi les Maliens ne votent pas ? Le Padem pose le diagnostic.

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Le fort taux d’abstention est devenu d’année en année la hantise des pouvoirs publics et de la classe politique. Une jeune formation politique, le Parti démocrate malien, ouvre le débat par la voix de son président, notre confrère Ismayila Yoro Dicko, en présence de Badié Hima, directeur résident du NDI.

 

Le 17 mars, une date symbolique pour le Mali, le Padem (Parti démocrate malien) a animé une conférence-débats, au Centre Djoliba de Bamako, sur un thème que plusieurs acteurs de la classe politique murmurent sans jamais oser en parler de vive voix. Ismayila Yoro Dicko, président du Padem, lui a osé poser la question sur la place publique: Pourquoi les Maliens ne votent pas ?

Le conférencier, Ahmed Cissé, secrétaire général du parti Bara, également responsable du Cmdid (Centre malien de dialogue interpartis pour la démocratie), a mis à contribution la cinquantaine de participants à cette conférence-débats pour tenter de savoir pourquoi, en plus de vingt consultations électorales, le taux de participation n’a jamais pu atteindre les 50%, Bamako, ville la plus peuplée du pays demeurant en queue avec le plus fort taux d’abstention. Le gouvernement, les partis politiques, les ONG et autres organisations de la société civile ont pris plusieurs initiatives, notamment le Comité national de citoyenneté. Malgré tout, les bureaux de vote n’attirent pas grand monde.

Cette situation, selon les nombreux intervenants, résulte du fait que les partis politiques prennent l’argent public sans pour autant former et sensibiliser les militants et électeurs potentiels. Pour relativiser cette position, le conférencier dira qu’il y a des partis qui veulent bien former et sensibiliser, mais qu’ils ne sont pas écoutés. Au contraire, ils seraient combattus parce qu’ils n’ont pas d’argent à proposer. Et personne ne vote pour eux. Aux dires de l’initiateur de la conférence,  Ismayila Yoro Dicko, le Padem est le seul parti à avoir proposé au gouvernement de supprimer l’aide publique aux partis politiques et d’employer cet argent à la formation à la citoyenneté.

Par ailleurs, les Maliens ne votent pas parce qu’ils sont découragés de voter pour des gens qui se servent eux-mêmes au lieu de servir le pays. De voter pour des gens qu’ils ne voient plus une fois parvenus aux affaires. Les politiciens sont distants du peuple qui ne les voit que pendant les campagnes électorales, lorsqu’ils viennent quémander des voix. Aussi, c’est également en cette période que les électeurs espèrent également tirer leur épingle du jeu. Quand les candidats viennent reverser à « la masse électorale » quelques miettes des énormes sommes d’argent détournées. Car, ils ont compris que les politiques ne pensent qu’à eux-mêmes et ne voient pas l’intérêt général. Pour se faire des sous, ils sont prêts à tout : nomadisme politique, corruption, achat de conscience, népotisme. Bref, la vie politique est devenue immorale et amorale, un jeu dans lequel la jeunesse s’est laissé embrigader. Pourtant, selon le conférencier, même si les jeunes sont démoralisés, il est temps qu’ils pensent maintenant à eux-mêmes, à leur avenir par une implication plus responsable sur la scène politique. Autrement dit, faire en sorte que les résultats électoraux reflètent  forcément la vérité des urnes par le choix d’un candidat fondé sur la conviction personnelle, elle-même basée sur un programme de bonne gouvernance qui prend réellement en compte les préoccupations de la jeunesse.

A noter que le premier conférencier pressenti a fait défection à la dernière minute. Pendant même que tout le monde était en salle pour l’attendre et qu’il avait donné son accord pour animer la conférence, Abba Baba Traoré, un employé des Nations Unies, d’après les explications de Ismayila Yoro Dicko, se serait désisté pour des raisons financières. Ce qui a fait dire à un intervenant que cette défection est aussi à l’image de la démocratie malienne.

Il faut rappeler que le Padem est né en mars 2009 de la volonté de citoyens maliens soucieux de « renforcer l’Etat de droit et la démocratie afin de créer les conditions de développement » du Mali. Ses objectifs sont de promouvoir la citoyenneté, le développement économique et la consolidation des acquis de mars 1991. Son président est d’ailleurs un des membres fondateurs du Mouvement démocratique, qui, en sa qualité de responsable du syndicat estudiantin, a goûté aux geôles du général Moussa Traoré. Dans la perspective des élections générales de 2012, le Padem a rejoint, avec l’Arp, son regroupement politique, la candidature du Pr Dioncounda Traoré, un autre acteur majeur de mars 1991.

Cheick Tandina

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1 commentaire

  1. La Gangrène de la corruption : Le soulèvement populaire de mars 1991 découlait, essentiellement, de l’exaspération du peuple malien face à l’enrichissement illicite et à l’impunité dont jouissaient une minorité de privilégiés. ” Kokadjè ” ou ” laver jusqu’à la propreté ” était l’un des slogans des manifestations. Qu’en est-il aujourd’hui? Ils attendaient du changement survenu la création d’emplois afin que les revenus ainsi acquis leur permettent de contribuer à l’éducation de leurs enfants, d’accéder aux soins de santé, au logement et à l’eau potable. Gérer de manière transparente et responsable, les sommes qui ont été injectées dans l’économie malienne depuis l’avènement de la Troisième République aurait, dans une large mesure, atténué le dénuement matériel, la faim, la maladie et l’envie d’émigrer. Malheureusement pour le peuple malien, les finances publiques constituent le butin dont la convoitise est au cœur du jeu politique. Le choix ou la répartition des postes ministériels, entre les partis au sein du gouvernement , donne lieu à des débats houleux et souvent explosifs, précisément parce que la conquête du pouvoir, au lieu d’être motivée par un idéal de société, rime avec l’accès facile aux deniers publics. Aucun(e) Malien(ne) ne se trompe plus sur la marchandisation de la vie politique et du système judiciaire. La Banque mondiale qui fait partie du problème dans la mesure où elle prêche le tout-marché souligne ce qui suit : ” … La corruption au Mali est systémique et pernicieuse en raison du système de clientélisme politique, qui fait que les postes officiels sont attribués à ceux qui produisent des rentes pour leur patron, pour le parti politique ou pour eux-mêmes. Les carences des systèmes de contrôle permettent aux agents de l’Etat de voler des biens et des fonds, ou de monnayer l’influence de l’Etat. ” Démocratie, Etat de droit, lutte contre la pauvreté sont visiblement des vœux pieux d’autant plus que l’enrichissement illicite demeure impunie: Bien que la loi prévoie des sanctions, les représentants de la Banque ont eu connaissance de cas où la malversation n’a pas été sanctionnée. Les rapports du Contrôle général d’Etat citaient des actes illicites qui n’ont jamais été punis, bien que les rapports aient été remis à la présidence et transmis aux ministères pour qu’ils y donnent la suite voulue…”La corruption est, en fait inhérente au modèle économique dominant qui nous est imposé par les puissants de ce monde. ” Entrez dans le marché et enrichissez-vous individuellement “, semblent avoir compris les Malien(ne)s et plus précisément le monde des affaires et de la politique qui sont liés.

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