Le Mali est un pays atypique en matière de démocratie. Pour bien comprendre cet état de fait, nous avons essayé de comprendre les causes réelles de ce dysfonctionnement démocratique à partir des écrits de deux personnalités repères de notre histoire : Amadou Seydou Traoré libraire et écrivain, ancien de l’union Soudanaise RDA et le Pr. Issa N’Diaye, syndicaliste, ancien ministre de l’Education nationale. Sans ambages, ils dénoncent avec force la courtisanerie, l’opportunisme des intellectuels. Mais aussi celle d’une presse affaiblie par l’argent de la corruption.
A cause de leur médiocrité, le Mali va à-vau- l’eau
La naissance de l’Union démocratique du peuple malien (UDPM) a été précédée du bras de fer qui a opposé le régime miliaire à toutes les catégories sociales, l’une après l’autre. Le référendum de 1974 avait imposé une constitution qui annonçait la naissance du parti unique constitutionnel, véritable camisole de force pour encaserner le peuple malien.
La naissance de l’UDPM eut lieu avec force accompagnement de pressions, de répressions, d’intimidations, etc. Tous ceux et toutes celles qui ne voulaient pas se faire humilier trouvèrent une façon d’être membre de ce parti ou de se positionner dans une sorte de réserve.
L’UDPM nous permet de voir combien la gente intellectuelle sait jongler avec ses convictions. La confusion la plus totale va régner car, du fait que l’appartenance au parti, la qualité de citoyen et l’obtention de promotion technique ou politique étaient mêlés, on vit déambuler dans les allées du pouvoir même des cadres qu’on croyait d’un désintéressement à toute épreuve.
Assurément, le deuxième étage de la fusée fonctionnait bien et le régime militaire, nouvelle édition revue et corrigée ou si l’on veut régime militaire déguisé sous costume cravate ou bazin brodé faisait un tabac. Mais la nouvelle version de régime militaire, parce que fondamentalement il est resté dictatorial, a fini par réussir à dresser contre lui tout le peuple malien. La plupart des intellectuels feront semblant d’accompagner sans jamais s’impliquer à fond. Le pouvoir le ressentira et multipliera les artifices pour comme il le disait conscientiser, redynamiser, aboutir à des solutions consensuelles. Les congrès, les conférences nationales, les tournées de responsables et autres activités n’ayant pas abouti à un quelconque changement d’attitude du peuple et notamment des intellectuels, on parla de démocratie au sein du parti.
Pour la plupart des cadres du pays, le régime UDPM était antinomique de la démocratie. Ce sont ceux qui n’hésiteront pas à clamer fort lors de la conférence tenue au stade omnisports de Bamako où ils furent plusieurs dizaines à réclamer l’instauration du multipartisme. Les choses vont se préciser à partir de la lettre ouverte du 07 août 1990 : la naissance des associations politiques (Adema, Cnid) et les manifestations revendicatives de novembre- décembre 1990.
Le pouvoir UDPM va réagir par l’intimidation et les pressions sur les cadres dont certains ont été frappés de mutations arbitraires et d’autres de mesures administratives. Il se produit alors le phénomène classique de la jonction des luttes des intellectuels et des autres couches de la population, les intellectuels apportant l’élément conscient, les travailleurs l’esprit d’organisation, les étudiants et la jeunesse le dynamisme et l’enthousiasme, les femmes la note de passion et de foi.
Les intellectuels et la troisième République
La révolution de janvier mars 1991 fut le fruit de cette symbiose dont les intellectuels assuraient la direction. Après la victoire sur la dictature, les intellectuels vont se mettre à créer de nombreux partis politiques, associations et organisations diverses dans l’esprit soit disant du multipartisme alors qu’en réalité ils poursuivaient pour la plupart la satisfaction d’intérêts personnels ou la conquête d’avantages personnels.
Conférence nationale de 1991
A la Conférence nationale de juillet août 1991 et à travers les activités liées aux élections de 1992, on a vu la gent intellectuelle se mouvoir en ne retenant pour définir la politique que cette notion : «La politique a pour but d’accéder au pouvoir». Mais accéder au pouvoir pour faire quoi ? C’est là toute la question mais fort malheureusement les intellectuels ne se la posaient pas. D’où la grave incompréhension née entre le peuple et ses dirigeants sur la question fondamentale du changement.
La révolution de mars 1991 a eu lieu sous la bannière du changement et de la démocratie pluraliste. Les intellectuels ne retinrent que le pluralisme et consciemment ou inconsciemment, ils occultèrent le changement. Le mot d’ordre «An tè koronlé fè fo kura !» fut évacué et banni du langage politique. Au sein du peuple naquit alors un sentiment de doute qui se mua au fil des années en déception.
Aujourd’hui, beaucoup de citoyens maliens des villes et des campagnes éprouvent le même sentiment de défiance vis-à-vis de la politique et de ses animateurs, les cadres intellectuels car ils constatent que non seulement le changement promis n’est pas venu mais que dans plusieurs domaines la situation déplorable léguée par le régime de Moussa Traoré se perpétue et s’aggrave.
Amadou Seydou TRAORE