Selon le dictionnaire le Larousse, l’opportunisme se définit comme l’attitude consistant à régler sa conduite moins selon des principes moraux ou selon un plan organisé que selon les circonstances du moment, que l’on cherche à utiliser toujours au mieux de ses intérêts.
Dans le milieu politique malien, les espèces opportunistes possèdent la remarquable faculté d’adaptation aux modifications affectant leur écosystème. L’opportuniste politique est à l’opposé du militant sincère, du patriote qui a des convictions chevillées au corps, l’individu le plus carriériste, le plus doué pour la conquête du pouvoir, si ses concurrents le minimisent.
En politique, l’opportunisme conduit à des changements fréquents de programmes ou de positions afin d’attirer un maximum de votes des électeurs crédules lors des élections. Cette adaptation aux circonstances s’effectue au détriment des principes doctrinaux, de l’éthique, de la morale.
Certains l’ont réussi en d’autres endroits et en d’autres circonstances ; ils sont en train de l’expérimenter et de le rééditer dans le contexte actuel de notre pays pour l’infester davantage. La politique n’est malheureusement pas du business pur, car il ne s’agit pas là de gérer des produits inanimés, mais des hommes dotés d’esprit de discernement. Ces funambules politiques s’essaient de s’accaparer des futures échéances électorales à leurs propres fins. Ils se recrutent dans toutes les composantes de la société malienne.
Comme une girouette, ils aiment nous rappeler que ce n’est pas la girouette qui tourne, mais plutôt le vent. En d’autres termes, ils mènent une politique avisée, ne laissant jamais passer l’heure propice, les circonstances favorables mais ne sacrifiant rien ni au hasard ni à l’esprit de violence. Ils surfent sur la politique d’exclusion et de diabolisation…pour faire avaler les couleuvres aux autres.
Bernard Charbonneau écrivait déjà en 1980 : “La dureté de la concurrence politique sélectionne les individus les plus doués, ceux qui ont le sens de la manipulation des masses… La sélection se fait en politique à l’envers : l’individu ayant un minimum d’exigence intellectuelle se détourne de la “politique” en la laissant aux mains de médiocrités incapables de tout autre talent.” Alors, il faut toujours surveiller de près les manœuvres des opportunistes et préparer si nécessaire leur neutralisation du jeu politique. Ce travail, pour moi, revient aux contre-pouvoirs, telles les Organisations de la Société Civile, et ceux ayant tiré les leçons des multiples retournements de vestes, ont décidé de faire la politique autrement.
Le système démocratique auquel nous avons volontairement adhéré permet l’existence de plusieurs partis politiques, l’éclosion des associations, la liberté d’expression, de presse et favorise l’alternance au pouvoir d’Etat. Seulement nous ne comprenons pas qu’à l’intérieur d’un même parti, l’alternance reste encore plus difficile. Car plus un parti politique se développe, plus il mène des tâches complexes, plus il se bureaucratise ; et la logique de l’organisation prime alors sur la logique des idées. Confondue avec le parti, l’organisation permanente de moyen devient une fin, à laquelle on peut finir par tout subordonner : principes, convictions personnelles, etc. Les partis politiques deviennent alors des partis de cadres et non des mouvements de masse, de militants. Ce qui amène les dirigeants de nos formations politiques à adopter un comportement de plus en plus autocratique. Il en est ainsi de certains grands partis politiques où le remplacement de leur leader relève de l’interdit. Les dirigeants deviennent des timoniers indéboulonnables. Les débats d’idées font place au culte des ego où on passe tout son temps à se disputer les postes. C’est autour d’un clan (le “courant”) ou d’un homme/femme qu’on part au combat. Au lieu que les politiques avisés négocient les alliances politiques ou électorales solides et prometteuses, ce sont des administratifs, des gens très souvent sans base électorale solide, qui négocient dans l’ombre et distribuent les postes en faisant bien attention à ne pas s’oublier eux-mêmes.
Pour briser l’enchaînement néfaste de la bureaucratisation et de l’émergence d’une élite qui se reproduit à l’infini, la formation permanente des militants de base est le seul antidote. C’est la construction collective d’un corps de valeurs qui permettra de concilier les impératifs de l’organisation et le choix de ceux qui seront le plus à même de représenter ces valeurs.
Je suis inquiet quand des cadres militants parlent de tout sauf d’idéologie dans un débat politique. Y’a problème ! Car un débat politique est fondamentalement idéologique. Mieux vaudrait donc choisir à leur place, des militants naïfs qui portent des valeurs plutôt que ce genre d’apprenti apparatchik sans idéologie de référence. Face aux partis abonnés au libéralisme, les partis de la gauche se doivent d’en parler.
“La chose est d’importance : un chien de race, s’il cherche sa place sous la table à manger sans se laisser détourner par les coups de pied, ce n’est point par bassesse de chien, mais par attachement et fidélité. Et dans la vie, ceux-là̀ mêmes qui calculent froidement n’ont pas la moitié du succès qu’obtiennent les esprits bien dosés, capables d’éprouver, pour les êtres et les relations qui leur sont profitables, des sentiments vraiment profonds”. Robert Musil, L’homme sans qualités.
Dire d’un individu qu’il est opportuniste ou qu’il pratique aisément le compromis revient à désigner quelqu’un de peu scrupuleux qui n’hésite pas, à l’occasion, à revenir sur sa parole, à trahir ou se dégager de ses amis ainsi que de l’ensemble des règles qui régulent le jeu politique afin de conserver une position avantageuse pour lui ou d’obtenir des ressources dont l’aurait privé la conformité́ à une morale (encore faudrait-il définir ce qu’est cette morale).
Vous vous posez la question de savoir que faut-il faire alors des opportunistes ? A part les brûler, je ne vois pas très bien ce que l’on peut faire d’eux ! Certes, ils ont perdu la considération des leurs et ont dû subir la tiédeur de leurs nouveaux amis (qui n’aiment pas non plus les opportunistes !). Tout ce que l’on peut espérer pour eux, c’est qu’ils puissent se regarder dans la glace. Merchant non ? Elégant tout de même.
Yaya Sangaré
Bamako