Perspectives démocratiques : La révolution malienne et son monstre d’anti-gouvernance

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La bourse du travail -victimes
La bourse du travail

La révolution malienne de 1991 fut une chance dont le Mali devait profiter pour avancer, avec des hommes politiques de valeur, des dirigeants accompagnés de collaborateurs qui savent gérer, qui ont en même temps le sens de l’Etat et du sacrifice. Des gens qui aiment leur patrie, préférant servir le peuple et non d’abord se servir. Ce fut le contraire. Le Mali en est au point aujourd’hui où chacun des politiciens qui pérorent de chaque côté se croit sorti des cuisses de Jupiter, alors que la plupart trainent un lourd passif dans la gestion publique. L’Adéma aurait pu être une chance pour le Mali. Il a gaspillé son capital de confiance au sein du peuple en déviant de sa trajectoire politique. Comme lui, beaucoup de parti sont prêts à vendre leur âme au diable pour le pouvoir.

Au Mali, la politique est considérée par nombre de politiciens, depuis belle lurette, comme un souk où chacun vient faire son marché au détriment du peuple.  La plupart, peu doués, encore moins honnêtes, ont pignon sur rue avec leurs partis. Pourtant, la politique est à la fois une profession et un art difficile où les médiocres ne devraient avoir aucune chance de réussir et prospérer. Cela est prouvé sous des cieux où les principes fondamentaux de la véritable démocratie sont observés : la liberté,  qu’elle soit individuelle ou politique, l’égalité des chances pour tous, ainsi que devant la loi. Autant de notions essentielles qui fondent les sociétés modernes. Au Mali où l’on dit à longueur de journée que le peuple est mature quand on dénombre 170 partis politiques au moins, il semble que les politiciens, surtout ceux de la majorité comme de l’opposition, soient en décalage des aspirations populaires qu’ils se chargent d’assumer, à cause de certains maux et comportements constamment décriés.

Les politiciens ont de grandes responsabilités devant le peuple et l’histoire. Parce qu’ils promettent de changer notre quotidien et notre destin dans le bon sens. Ils jurent la main sur le cœur de nous donner monts et merveilles, de faire notre bonheur malgré mille problèmes et obstacles. Cela le temps d’une campagne. Ces promesses valent ce qu’elles vaillent. Le peuple des électeurs a fini par comprendre. Il n’est plus loin de considérer les politiciens de carrière comme des voleurs d’espérance et les jeunes loups les suivants à la trace comme des apprentis sorciers.

Les Soudanais ne sont plus qu’un souvenir

L’estime des électeurs, j’allais dire du peuple envers ceux qui se targuent d’être des politiciens dignes de ce nom est allée décroissante passé le temps de Modibo Keïta, le père l’indépendance, le premier président de la première république. A cette époque, le politicien était une notabilité, un personnage quasi légendaire dont la parole valait son pesant d’or. Ce n’est pas pour rien que l’on compare Modibo et ses compagnons, les Seydou Badian, Gologo, Madeïra Kéïta etc, à des baobabs. En effet, ces soudanais de bonne souche sont autant de monuments pétris de valeurs cardinales qui ont donné l’exemple du courage et de l’honnêteté politique, de la probité morale et du patriotisme au service du Mali et de son peuple. Ils furent des phares qui ont conduit en moins d’une décennie la nation malienne à prendre place dans la civilisation mondiale, à  être considérée comme une avant-garde des nations africaines.

Malheureusement, cet élan fut arrêté le 19 novembre 1968 par le coup d’Etat de jeunes officiers de l’armée malienne conduits par le lieutenant Moussa Traoré. Ce Comité Militaire de Libération Nationale fut l’ossature d’un régime et d’une dictature militaire qui durera 23 ans sous des formes diverses dont la plus achevée sous le vernis démocratique fut celle de l’UPDM (Union Démocratique  du Peuple Malien), le parti unique.

Au cours de ce long règne qui a fortement éprouvé les couches populaires et la société malienne, on vit l’émergence peu à peu d’une contestation larvée, ensuite clandestine et enfin officielle, celle d’une multitude de partis d’opposition très actifs sous la bannière du Mouvement Démocratique. Lors de l’extraordinaire Révolution du 26 mars 1991 ces démocrates, dans une alliance exceptionnelle avec le syndicat des travailleurs, l’UNTM, les élèves et étudiants de l’AEEM, la société civile et des militaires patriotes amenés par le lieutenant colonel du régiment d’élite parachutiste Amadou Toumani Touré, allait réussir à mettre fin  au régime dictatorial après des jours d’émeutes sanglantes.

Que disait le peuple au cours de ce mouvement populaire inédit ? « Antè  kôrôlé fè fo kura », autrement dit « A bas l’ancien système, vive le nouveau » ! Ce qui supposait des dirigeants nouveaux, une mentalité nouvelle et une pratique politique à l’avenant. Après la Conférence nationale qui a réuni toute la nation pour décider de l’avenir du pays, un régime de transition démocratique dirigé par son chef, Amadou Toumani Touré où la politique-spectacle a prédominé, a préparé les premières élections pluralistes jamais tenues au Mali.

L’illusion d’une exception démocratique

A l’issue de la présidentielles fut élu Alpha Oumar Konaré de l’Adéma président de la troisième république et installé un régime, gouvernement et assemblée nationale, dominé par ce parti issu du Mouvement démocratique. C’était un régime affilié à I ‘International socialiste. Ce renouvellement de la classe politique a pourtant laissé les vrais démocrates sur leur faim, car on a constaté des tentatives de restauration et l’apparition d’une classe de nouveaux riches parmi ces démocrates autoproclamés  caciques du régime, ministres, hommes d’affaires prête-noms, une formidable alliance de prédateurs de la république, sous l’ironique vocable de «  les milliardaires de la démocratie ». Comment cela a-t-il été possible, en si peu de temps, de voir la révolution du peuple confisquée aussi facilement par des opportunistes fieffés, des parvenus de la démocratie ?

Il fallait se rendre à l’évidence : la révolution malienne admirée et citée en exemple dans le monde entier avait enfanté un monstre, une fausse démocratie spoliatrice, une poudre aux yeux de l’Occident ne tarissant pas d’éloge envers cette « exception démocratique malienne ».

Elle n’allait pas tarder à être dénoncée violemment par l’opposition radicale rapidement formée par les compagnons d’hier, le Coppo, qui allait faire vivre une période très dure au régime Adéma à un certain moment à la rue. Il ne dut son salut qu’à un certain Ibrahim Boubacar Keïta nommé premier ministre  qui, grâce à son autorité, mit fin à la chienlit, ainsi à l’anarchie générale qui se profilait, en tuant la contestation dangereuse dans l’œuf. Ce faisant il avait scellé son parcours  au parti des abeilles, dont il était devenu le président destiné à être candidat à la succession d’Alpha Oumar Konaré à la magistrature suprême du Mali.

Un bilan très lourd

En réalité, l’Adéma était une auberge espagnole ennemie de la rigueur qui renfermait tout et son contraire : des sociaux-démocrates, des révolutionnaires purs et durs à la Trotski, des communistes radicaux, des technocrates capitalistes ceints du vernis socialiste, des maoïstes, des nationalistes repentis, etc. Tant et si bien que la gouvernance de l’Etat-Adéma pendant les deux mandats d’Alpha Oumar Konaré fut une catastrophe nationale laissant des usages coupables, indélébiles dans la pratique politique, une flopée de scandales financiers consécutifs à la corruption des cadres, le tissu social exsangue et des conséquences tout aussi désastreuses pour notre souveraineté nationale avec le désarmement systématique de l’armée, la gestion opportuniste de la rébellion du nord consacrée par le bluff de la « flamme de la paix ».

Le bilan était trop lourd pour être occulté par la prochaine gouvernance. C’est alors qu’avant l’échéance redoutée du changement de régime, pour parer à toute éventualité, le chasseur Adéma pista le général ATT, « le copain » de la transition de 1991, un gibier de premier choix, pas du tout évident pour les profanes, pour en faire son candidat. Ce choix décidé et le refus d’une candidature interne à l’Adéma entrainèrent la levée de bouclier de membres dirigeants et des militants. Une secousse tellurique, dévastatrice, secoua de fond en comble et fractura le parti du professeur Dioncounda Traoré et du président Alpha Oumar Konaré,  dont les effets se font encore sentir.

Oumar Coulibaly

A suivre : Le crime de l’Adéma contre la démocratie

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