IBK avait renoncé à changer de gouvernement pour ne pas donner l’impression de céder à l’opinion publique; mais les périls s’accumulant, il s’y est résolu .Il fallait changer de gouvernement pour redistribuer les cartes sur l’échiquier politique, insuffler un nouvel élan à l’économie et faire oublier les événements désagréables des dernières semaines, notamment les incendies multiples, l’affaire du journal “Le Monde” et, plus près de nous, l’attaque de la résidence de l’ancien président Konaré.
Démission fracassante
Convoqué à Koulouba, le Premier Ministre Oumar Tatam Ly a de longues discussions avec IBK les 2, 3 et 16 mars puis le 4 avril 2014. Il conditionne son maintien à la primature au départ des ministres “politiques” qu’il juge peu travailleurs et qu’il veut remplacer par des technocrates. Il cherche aussi la tête de la puissante ministre des Finances. Il souhaite enfin de plus larges pouvoirs pour le gouvernement et ne veut plus voir des ministres bafouer son autorité en en référant directement à Koulouba. Or IBK, qui ne cesse de prendre des coups en raison de son omniprésence dans l’arène publique, tient, au contraire, à ce que le gouvernement se politise davantage et occupe davantage de terrain. Dans un premier temps, il cède aux exigences du Premier Ministre auquel il voue une réelle affection; il changera vite de décision sous la poussée de hauts responsables du RPM et d’autres proches qui ne veulent pas du tout d’Oumar Tatam Ly.
En tous les cas, rien ne permet d’affirmer qu’IBK ait limogé Oumar Tatam Ly; tout montre plutôt que celui-ci a véritablement rendu le tablier. En témoigne la rageuse lettre de démission du 5 avril 2014 qu’il envoie au président (ci-contre fac similé), lettre qui reproche à IBK d’avoir refusé les “évolutions” proposées par Ly pour “conférer davantage de cohésion” au gouvernement, le “doter de compétences accrues” en vue de “mettre en oeuvre les changements attendus” par le peuple malien. Par conséquent, Ly estime ne plus pouvoir poursuivre sa mission et présente sa démission. La lettre révèle chez le Premier Ministre un caractère volcanique car c’est bien la première fois dans les annales maliennes qu’un chef du gouvernement démissionne avec un tel fracas en adressant des reproches si sévères au chef de l’Etat. On ne s’étonnera pas que la fameuse correspondance n’ait pas été lue, comme il est de coutume, sur les antennes de l’ORTM. D’autant qu’elle ne s’embarrasse pas des traditionnelles formules tendant à remercier le chef de l’Etat de la “mission noble et exaltante” qui vient de prendre fin. Entre IBK et Tatam Ly, la rupture est donc consommée, ce qui redonne le sourire au RPM. Adieu le projet dynastique tendant à faire de Ly le dauphin du président! Mais le RPM ne sourira pas longtemps. En effet, IBK, après avoir perdu Tatam Ly, souhaite un collaborateur politique, travailleur, intègre et susceptible de remobiliser l’économie. La liste des premiers ministrables répondant à ces critères n’est pas, hélas !, kilométrique et personne, au RPM, n’a la tête de l’emploi. Moussa Mara paraît constituer le meilleur choix à cet égard, même s’il n’est pas militant du parti présidentiel. Il est désigné. Et tant pis si les Tisserand ruent dans les brancards!
Mara, un homme de qualité
Moussa Mara ne manque pas de qualités.Il est le fils de Joseph Mara, le compagnon de putsch de Moussa Traoré en 1968: il porte même le nom de l’ex-chef de la 2ème République. Expert comptable de 39 ans, Moussa Mara a publié des livres sur la fiscalité et la décentralisation au Mali. Il se fait élire maire de la commune 4 de Bamako au détriment du RPM. Sa rigueur éclate au grand jour lorsqu’il fait annuler par le tribunal administratif des décisions de la mairie du district attribuant à des particuliers des espaces verts de la commune 4. Il entame aussi un projet d’urbanisation de la commune en relation avec l’Agence de Cessions Immobilières. C’est le seul maire malien à publier la liste de ses biens alors qu’aucune loi ne l’y oblige.*
En 2007, candidat de son parti, “Yelema” (Changement), il dévance IBK au premier tour des législatives et l’aurait certainement battu au second tour sans le renfort franc et massif apporté par les autres partis au chef du RPM. Depuis, Mara ronge son frein. A la présidentielle prévue pour avril 2012, il sollicite, en vain, l’investiture du regroupement politique “PUR” qui lui préfère Housseyni Guindo, le patron de la CODEM. Après la chute d’ATT, Mara initie la “Convergence pour Sauver le Mali” (CSM), un regroupement qui se veut ni pro-putsch ni anti-putsch, mais qui propose de prendre acte du putsch puis d’avancer dans la construction nationale. Un bloc opportuniste, en somme. Lors de la présidentielle de 2013, Mara ne brille pas de mille feux; il est largement dévancé par IBK, Soumaila Cissé, Modibo Sidibé et même son vieil ami Housseyni Guindo alias Poulho. Il n’en fait pas des tonnes et comme tous les battus du premier tour se cherchent une zone de transhumance, il se rallie à IBK. Il n’a d’ailleurs pas besoin d’un dessin pour se faire une religion: IBK triplait le score de son suivant immédiat, Soumaila Cissé, une avance qui se confirmera au second tour du scrutin.
Nommé ministre de l’Urbanisme par le nouveau président, Mara se distingue par quelques initiatives et, surtout, par sa surexposition médiatique.
Du coup, nul ne peut lui dénier la volonté de bien faire alors que d’autres ministres, dépassés par les événements, passent la journée à contempler les murs du bureau. Mara, contrairement à nombre de ses collègues, ne se hâte pas non plus d’inonder son département de militants de son parti; au contraire, beaucoup de ses camarades de parti s’éloignent de lui en raison de sa tendance à verrouiller les postes de dépenses et l’ascenseur partisan. “Mara est pingre au possible; avec lui, on ne gagne jamais rien”, se lamente un de ses proches.
Premier pas vers le pouvoir
Il ne fait pas de doute que Mara, en devenant Premier Ministre à seulement 39 ans, prend son envol pour la magistrature suprême. Doté, depuis 2010, d’un appareil politique et d’une visibilité nationale, il profitera de son séjour primatorial pour se tisser un réseau international et consolider ses assises populaires.Quand IBK aura bouclé ses deux mandats, Mara n’aura que 49 ans, âge respectable pour s’installer à Koulouba.Il faudra, cependant, qu’il surmonte son égo et supporte les sautes d’humeur d’IBK; il ne devra pas surtout commettre l’erreur de contrarier un second mandat du président. Du fait qu’il n’émane pas du RPM, le parti majoritaire, il sera combattu (en sourdine, bien sûr) par cette formation. Mara a sur Tatam Ly l’avantage de mieux connaître la société malienne et les hommes politiques du pays; le président IBK veut de lui qu’il serve d’écran et de bouclier, qu’il plonge la main dans la gadoue et non qu’il se contente de travailler une image de futur présidentiable. Mara va enfin devoir rechercher avec succès des fonds que son prédécesseur a mis du temps à mobiliser. Bref, la réussite de Mara dépend de sa capacité à vaincre la sinistrose économique ambiante et à rassembler plus qu’Oumar Tatam Ly.
Tiékorobani