Coup de théâtre sur la scène publique malienne. Pendant que tous les regards sont rivés sur le départ fracassant du Garde des Sceaux de l’équipe gouvernementale, l’actualité a finalement subi les bourrasques d’une autre démission : celle du général Moussa Sinko Coulibaly de l’armée malienne. Il ne s’agit pas de la disponibilité servie à l’époque par ATT, mais d’une démission en bonne et due forme selon la lettre adressée au chef Suprême des Armées par l’ancien membre du CNRDRE et non moins ex-ministre de l’Administration devenu depuis 2014 Directeur général de l’Ecole de maintien de la paix Alioune Blondin Bèye.
En tirant sa révérence dans l’armée à seulement 47 ans, le Général de Brigade évoque sa fierté d’avoir honorablement servi au sein des forces armées et de sécurité de son pays mais surtout ambition de «contribuer autrement à trouver des solutions aux défis politique, économique, éducatif, culturel et social» auxquels le Mali fait face.
Comme on le voit, l’ancien directeur de Cabinet d’Amadou Haya Sanogo n’a pas fait dans la demi-mesure pour signifier qu’il va consacrer le restant de son riche parcours à la politique, domaine quasi-réservé aux civils et pour la pratique de laquelle les officiers supérieurs
maliens doivent démissionner selon les textes en vigueur au Mali. Une jurisprudence en la matière enseigne que le démissionnaire aurait pu se suffire d’une disponibilité, mais Moussa Sinko Coulibaly a visiblement choisi de lever toute équivoque, sans doute à cause de la dimension de ses ambitions. En effet, à la lecture de sa lettre de démission où il semble garder un pied dans l’armée, le Directeur général de l’Ecole de maintien de la paix on se rend à l’évidence qu’il n’a point la vie civile pour un quelconque second rôle en
politique, manifestement trop maigre pour mériter d’abandonner les
casernes avec tous les émoluments d’un haut gradé. Le jeune et brillant Saint-cyrien a visiblement franchi le Rubicon pour un autre destin national. En atteste pour le moins cette déclamation martelée dans sa correspondance : «je continuerai à servir mon pays en
tant que civil partout ou besoin sera».
Quoi qu’il en soit, le président de République sortant, s’il est partant pour 2018, aura à affronter celui-là même qui avait hâtivement proclamé sa victoire dès le premier tour de la présidentielle de 2013, à la grande frustration du challenger de l’époque qui n’est autre que
l’actuel chef de file de l’opposition.
Quid des chances d’un officier supérieur sans véritable assise populaire et sans apparentement politique connue ? En dépit de son irruption dans une scène aussi boueuse, Moussa Sinko Couibaly peut tirer parti de sa fraîcheur et d’une allure juvénile assez propice au
ratissage, dans un contexte de lassitude vis-à-vis de la vieille garde
politique, de propension au changement et de tentation à vouloir reproduire le cas français en Afrique par mimétisme.
Il n’est pas exclu non plus qu’il profite des règlements de comptes sur fond de contractions internes au sein des principaux partis et qu’il devienne, comme ATT en 2002, le nouveau feu d’artifice autour duquel une myriade de petites entités politiques et associatives va converger au nom de l’alternance générationnelle.
Le candidat putatif à la présidentielle de 2018 peut par ailleurs incarner la providence mais pas la virginité, pour avoir joué un rôle prépondérant dans le coup de force du 22 Mars 2012 et figuré parmi la poignée d’officiers supérieurs acceptés au milieu de la junte putschiste responsable de la crise institutionnelle au Mali et qui traîne encore les boulets d’une présomption d’assassinat des 21 Bérets rouges. Moussa Sinko va devoir en définitive lever tant d’équivoques qui entourent sa proximité avec les mutins du 22 Mars 2012, qui ont
bénéficié de son encadrement et au nom desquels il a siégé dans chacune des équipes gouvernementales de la transition.
A Keita
Qui est l’homme ?
Né en 1972 et officier de l’armée malienne à 22 ans, Moussa Sinko est devenu Général de Brigade en 2013, après avoir successivement gravi
les échelons depuis le grade de sous-lieutenant obtenu à sa sortie de Saint-Cyr (France) en 1995. L’enfant de troupe du Prytanée militaire, qui fut son entrée dans les rangs en 1990, s’est assez précocement illustré pour mériter la responsabilité d’Instructeur à l’EMIA dès
1996, c’est à dire une année après ses études supérieures. S’ensuit une longue carrière d’encadreur et de commandement de l’Officier du Génie militaire, avec les responsabilités successives de commandant de compagnie du Génie (2000-2001), de chef de la Division ‘Opérations’ de la direction du Génie Militaire (2001-2006), puis de Directeur des études de l’EMIA (2006-2010). Cette brillante ascension dans la hiérarchie a été confortée par un perfectionnement tout aussi impressionnant à travers diverses formations interarmes : brevet de chef de section du Génie en France, diplômé du cours de perfectionnement des officiers subalternes en Allemagne, diplômé de l’école d’Etat-major de Koulikoro ainsi que du Collège inter-armes de Défense de Yaoundé.
Ce n’est pas tout. En tant que détenteur d’un Master II en Stratégie Defense Sécurité Gestion des Conflits et des Catastrophes, le général Coulibaly a pu disposer du capital de connaissances assez solide pour que son expérience et son expertise soient périodiquement sollicitées au niveau niveau international. Au Mali, cela lui a valu de diriger
depuis 3 ans l’Ecole de Maintien de la Paix Alioune Blondin Bèye, aussitôt après une mission gouvernementale de ministre de l’Administration territoriale au cours de laquelle il a réussi à
relever le défi d’installer des autorités régulièrement élues et à jouer un rôle prépondérant dans l’Accord de Ouagadougou ayant rendu possible la fin de la transition. Il paraît peu pensable qu’un Général de cette trempe choisisse de miser sur une vie civile qu’il avait à
peine connue pour faire de la figuration ou jouer un rôle subalterne sur la scène publique.
Abdrahmane Keita