Pour introduire la conférence, Mamadou Dabo en sa qualité de facilitateur dira que le combat pour la démocratie a commencé dès le 19 novembre 1968, le jour même où 14 putschistes ont arrêté le premier Président du Mali. Depuis ce jour, a-t-il évoqué, nombre d’intellectuels maliens ont engagé le combat, des militaires ont nourri l’intention de renverser le régime. Des milliers de Maliens ont participé aux luttes estudiantines focalisées sur les revendications simplement corporatistes. D’aucuns ont rendu la vie pour cela. Jusque-là, après 22 ans donc, ceux qui rêvaient d’un coup d’Etat, s’y abstenaient. Les combattants civils ont choisi la clandestinité comme moyen de lutte contre la dictature, a-t-il souligné.
Et M. Dabo de poursuivre : « Il a fallu que ce jeune homme, Moussa Kéïta, qui ne fut homme pour tous qu’à partir du 15 octobre 1990, s’engage à défier, non pas dans la clandestinité, mais à visage découvert, Moussa Traoré et son régime dictatorial et sanguinaire. Avec quelques compagnons, munis de sifflets et de tambours, ils ont choisi de marcher dans la partie la plus fréquentée de Bamako : le dabanani et ses alentours du grand marché ».
Ce fut une marche de dénonciation des abus du pouvoir et d’exigence de l’ouverture politique, de plus de liberté et d’amélioration des conditions de vie des Maliens dont en particulier l’emploi pour les jeunes. La presse nationale en son temps, a rappelé M. Dabo, les avait qualifiés de fous de la démocratie. Les conséquences qui s’en suivirent sont connues de tous : M. Keïta a été arrêté et bien manœuvré. C’était le 15 Octobre 1990, et il a passé plusieurs mois avant de se remettre des séquelles de cette torture.
Cet appel à l’éveil des consciences a permis, indique M. Dabo, la prolifération des associations du mouvement démocratique comme le CNID association, l’ADEMA association, l’ADIDE, la JLD , et bien sûr l’AJDP dont il est le Président fondateur. C’est à ce titre qu’il nous a représenté au CTSP, a rappelé M Dabo. Cet homme, depuis ce jour, est animé du même idéal, a soutenu le facilitateur.
Ni pour plaire ou déplaire
Prenant la parole, Moussa Kéïta, après les salutations à l’endroit des journalistes, des populations et des autorités pour les efforts consentis dans la démocratisation et la construction de notre pays, a tenu à faire une mise au point.
« La présente conférence est une contribution qui vise à susciter une participation citoyenne plus accrue des Maliennes et des Maliens au débat politique et socioéconomique nécessaire au raffermissement de la démocratie dans notre pays. Aussi, après de hautes fonctions en ma qualité de membre du CTSP, acteur du mouvement démocratique et Président fondateur de l’AJDP et malien tout court, il m’est loisible d’exprimer mon avis sur les questions d’intérêt national et de proposer des alternatives pour un Mali meilleur. Je ne suis pas là pour faire des attaques personnelles, ni pour plaire ou déplaire à qui que ce soit. Si certaines interprétations conduisaient à cela, je présente d’office mes excuses à ceux qui se sentiraient visés directement ou indirectement. Je renouvelle une fois de plus mes remerciements les plus sincères à l’endroit de mon collègue du CTSP, le Général Amadou Toumani Touré. Toutefois, je ne saurai passer sous silence les faiblesses et les carences notoires du système à travers l’incapacité de certains des acteurs qui l’animent. Cela ne veut pas dire que je ne reconnais pas les bienfaits et les grands chantiers réalisés à travers l’ensemble du pays ».
La partition du pays
Du point de vue de Moussa Kéïta, le Mali est caractérisé par une mauvaise gouvernance à travers l’existence d’un système corrompu et népotique dont les conséquences sociales s’expliquent par la partition du pays parce que des corrompus, avec l’argent mal acquis sur le dos des populations, ont créé un Mali des pauvres et un Mali des riches.
Une justice et une école à deux vitesses
Cet état de fait, a-t-il lancé, a entraîné une justice à deux vitesses : une justice des pauvres et une justice des riches. L’impunité c’est pour les riches et la prison pour les pauvres.
Même constat pour l’école : « Aujourd’hui avec l’argent mal acquis par les corrompus sur le dos des pauvres, ils ont créé une école pour les riches et une autre école pour les pauvres. Les enfants des riches prennent d’assaut les grandes écoles de l’Occident et reviennent pour occuper les places les plus convoitées ; tandis que les enfants des pauvres fréquentent des écoles les plus délabrées et manquant de toutes les commodités requises pour mieux apprendre. En fait on a privatisé l’école malienne sans tenir compte des réalités socioculturelles de notre pays. L’Etat s’est désengagé de la formation des citoyens, l’Etat a purement et simplement démissionné de ses missions régaliennes : salaires insuffisants, étudiants mal formés qui sortent comme enseignants tarés, administrateurs incompétents, magistrats corrompus ou médecins tueurs entre autres. Car les années scolaires se chevauchent et l’année académique ne compte plus qu’un trimestre au lieu de trois. Jusqu’au mois d’avril 2011, l’année scolaire 2010-2011 n’avait pas démarré à l’Université ».
La santé est malade
En outre, dira Moussa Kéïta, depuis l’indépendance le Mali ne compte qu’à Bamako deux hôpitaux légués par le colonisateur, la santé est un cauchemar pour les Maliens eu-égard au coût exorbitant des médicaments et les consultations onéreux de ce nom ne se pratiquent qu’à la clinique qui est réservée aux riches.
Les jeunes privés d’emploi
« L’emploi des jeunes qui était et reste une demande sociale forte demeure aujourd’hui tributaire du système de la corruption dont les pauvres sont toujours victimes. D’ailleurs comment peut-on créer un emploi pendant qu’un Ministre de la République se permet de financer du thé de son département pour un montant d’environ onze millions sans punition pendant que des milliers de jeunes sont au chômage et des milliers de familles sont affamées ? Il demeure au gouvernement, il est le seul président de parti au gouvernement, il dirige le parti qui revendique l’héritage du président de la république, mon compagnon au CTSP. Où va le Mali ? Dans quelle Direction ? Je n’en sais rien ? » a-t-il lancé.
Vol et impunité
Et il poursuit « Ce dernier volet m’amène à parler de la corruption et la délinquance financière. Le Mali regorge de structures de contrôle, dont certaines ne contrôlent rien sauf pour procurer aux autorités des moyens de pression, les autres voient leurs rapports versés dans la poubelle. Si ce n’est sur intervention des institutions internationales, aucun ministre n’est inquiété au Mali pour le vol. Ce sont " les menus fretins " qui sont interpellés et humiliés pour les fautes commises par d’autres.
Par ailleurs, je suis au regret de constater l’improvisation de mesures politiques qui sont sans effet, et jamais soumises à évaluation de performance. On ne respecte pas les principes de transparences et de crédibilité comme l’enquête de moralité, la publication des biens, l’évaluation des programmes politiques ou en tout cas ça se passe dans l’opacité la plus totale. Le peuple n’en sait rien, ni même les députés, allez savoir ce que les députés savent du PRODEJ, du PRODESS et même du PDES dans ses promesses face à l’Education, à la Santé, à la Justice… »
Selon Moussa Kéïta, l’impunité a force de loi aujourd’hui au Mali. Les carences du système judiciaire sont criardes. Les prisons sont pleines à craquer, les audiences sont reportées au cas où elles sont tenues selon les délais légaux. Les pauvres n’ont qu’à moisir en prison.
Tout cela est encouragé par l’absence de véritable opposition, estime-t-il. Le statut de l’opposition est minutieusement classé dans les tiroirs, on en parle pour amuser la galerie, il n’y a dans l’ensemble du pays que les protestations de quelques mécontents et le combat multiforme d’un homme de conviction, Dr Oumar Mariko qu’il a tenu à saluer.
Il faut le changement
Les conséquences de cette mauvaise gouvernance, souligne Moussa, c’est que le pays ne progresse pas au rythme escompté et l’on ne fait rien pour changer les mentalités. Tout le monde sait que le coût de la vie est cher, et le pauvre se résigne à la fatalité. C’est ce qui le révolte, affirme-t-il. Car ce sont encore les mêmes revendications de 1990 qui sont d’actualité et qui s’empirent avec les aspects fonciers, le trafic de drogue, l’insécurité… a-t-il souligné.
Et Moussa de conclure: « Alors je suis venu interpeller les Maliens par rapport aux choix qu’ils seront amenés à faire en 2012 lors des élections générales. Ces élections commencent par la présidentielle. Et c’est le lieu de confier l’avenir du pays et le devenir des populations à un homme capable de lutter contre la corruption, de faire changer les mentalités, d’accroître la production et la productivité, de créer des emplois, de réussir un bon équilibre entre le coût des denrées et les salaires, bref d’améliorer les conditions de vie de Maliennes et des Maliens. Mais aussi de faire prévaloir les valeurs sociales et culturelles qui distinguaient le Malien : la vérité, l’honnêteté, l’honneur, la dignité…»
APRES 20 ANS DE PRATIQUE DEMOCRATIQUE
‘‘ Les fous de la démocratie ’’ alertent
Le 05 Octobre 1990, l’AJDP, créée et dirigée par un certain Moussa KEITA, jeune diplômé d’alors, est la première organisation à défier le pouvoir du dictateur Moussa TRAORE. Très vite, les 04 jeunes marcheurs sur les 200 préalablement inscrits sont qualifiés de «fous de la démocratie», munis de banderoles, ils ont passé des moments difficiles avec la brutalité des forces de sécurité. C’est l’ancien leader de cette organisation, le même Moussa KEITA, qui est de retour au pays, il alerte sur les dérives de la démocratie malienne, tout en appréciant les quelques progrès.
Il était presque 11h 00 ce samedi 14 mai quand débute dans une des salles de la maison de la presse la rencontre avec les médias. M. KEITA accompagné d’anciens camarades et de l’ancien leader estudiantin Oumar MARIKO a entretenu les journalistes de la démocratie malienne, 20 an s après.
Moussa KEITA dans sa déclaration liminaire n’a pas utilisé la langue de bois. Ainsi, il interpelle clairement son ancien collègue du CTSP sur les dérives de la démocratie, la corruption, les nouveaux riches, l’injustice, le pouvoir de l’argent…
M. KEITA étale toute son amertume face à la déception des idéaux pour lesquels ils sont sortis le 05 Octobre 1990 au péril de leur vie. Ainsi, il ne comprend pas pourquoi 20 ans après la farouche lutte pour la démocratie et les dizaines de morts, notre pays fait du surplace.
En effet, pour M. KEITA tant que la démocratie et la justice ne marchent pas, le système va rester tel. C’est pourquoi, il interpelle son ancien collègue (c’est le terme utilisé) sur sa part de responsabilité à redresser la situation. La démocratie est en danger. M. KEITA n’arrive pas à s’expliquer les niveaux actuels de l’injustice, de la corruption, du chômage, de la pauvreté. C’est exactement pour dénoncer les mêmes maux pour lesquels la société malienne avait unanimement combattu le pouvoir de Moussa TRAORE. Alors 20 ans après, on se retrouve avec les mêmes maux et souvent pire surtout concernant «les riches de la démocratie». Il est plus qu’impérieux de réagir et au plus vite pour arrêter la dérive. C’est pourquoi M. KEITA a déjà écrit à son ancien collègue du CTSP (Comité de Transition Pour le Salut du Peuple) le président ATT pour lui faire part de sa lecture de la situation. C’est dans cette même dynamique qu’il a décidé de prendre à témoin l’opinion publique nationale à travers les médias pour ne pas un jour répondre devant l’histoire.
Après les premières années de faiblesse de la pratique démocratique dans notre pays, il est temps de réagir pour que cette parodie de démocratie ne soit pas la dernière monture que le peuple n’acceptera jamais. Le peuple malien très patient est loin d’être naïf, il observe avec clairvoyance toutes les pratiques qui plombent la démocratie.
Au passage M. KEITA a apprécié les quelques progrès réalisés notamment dans le domaine des infrastructures qui se sont améliorées. Alors, il questionne : « imaginez un peu les avancées s’il n’y avait pas autant de corruption et de détournement ? ».
En réponse aux questions des journalistes de savoir si M. Soumana SAKO répond aux critères de son choix ou s’il est venu battre campagne pour Dr Mariko, Moussa Kéïta a ainsi répondu : « Monsieur Soumana SAKO a donné la preuve de son intégrité morale et intellectuelle. Son engagement patriotique et sa détermination pour un Mali meilleur sont illustratifs. Cet homme est resté égal à lui-même dans la lutte contre la corruption et la délinquance financière. Déjà, depuis sous Moussa Traoré, c’est lui qui a sauvé de la honte, de l’humiliation, de la folie, nombre de chefs de famille en leur payant à date échue les salaires qui ne tombaient plus qu’avec trois à six mois de retard selon que vous soyez à Bamako ou à Kidal. C’est à lui que nous avons fait appel pendant la transition pour nous aider à mettre le Mali sur les rails. Alors je pense que cet homme est valable pour satisfaire les doléances qui traînent depuis 1990. Je ne suis pas membre du club de soutien à Soumana Sako, mais je suis sympathisant de Soumana SAKO et de beaucoup de patriotes convaincus et intègres tels Oumar Mariko et beaucoup d’autres patriotes intègres que vous n’avez pas cités ici. Je ne suis pas venu battre campagne pour Oumar mais tout le monde reconnaît son engagement patriotique et sa détermination dans la lutte contre la corruption et la délinquance financière. C’est pour cela que le soutiens.»
A la question de savoir si la situation l’imposait, est-il prêt à sortir comme en 1990, il affirme : « Si je n’ai pas eu peur de sortir sous la dictature, je n’aurai pas peur de sortir sous des gens que nous avons élus démocratiquement. Je suis et je resterai à la disposition de mon pays pour dénoncer la corruption et la délinquance financière et pour revendiquer davantage de justice, de liberté, d’emploi pour les jeunes, de bien-être social pour l’ensemble des Maliens.»
Pour sa part, Dr Oumar MARIKO est allé tout droit dans la brèche en fustigeant la prise en otage de la démocratie par des forces occultes et oligarchiques. Pour lui, il n’y a rien à faire, la démocratie malienne a été une véritable désillusion, c’est pourquoi il faut réagir très vite. L’ancien dirigeant estudiantin, homme politique de nos jours, fustige le débat sur le fichier électoral. Pour lui, ce débat est assez caractéristique du manque de volonté des autorités qui n’ont rien à foutre des préoccupations de la Nation. Sinon comment peut-on, à quelques mois du scrutin se retrouver avec un tel débat, «pendant tout ce temps que faisait le ministre de l’Administration Territoriale…. Pour notre part, ce qui nous préoccupe, c’est des élections crédibles et transparentes, un point c’est tout, le reste ne nous regarde pas …», a conclu Dr Mariko.
Il est important de préciser que M. Moussa KEITA a séjourné ces 20 dernières années à l’étranger. En tant qu’ancien membre du mouvement démocratique en retrait, son avis est important surtout à la veille des scrutins importants de 2012.
Youba KONATE