Grâce à une prorogation de mandature au même titre que l’Assemblée Nationale, le Haut Conseil des Collectivités a pu amorcer sa première session annuelle, il y a une dizaine de jours. Elle s’est malheureusement ouverte dans une atmosphère très peu habituelle, et pour cause : à un contexte de dysfonctionnement de collectivités sous occupation est venue se greffer une ambiance très peu conviviale sur fond de faciès et d’opportunisme politicien.
Le conseiller et président de la CDS, Mamadou Bakary Sangaré alias ” Blaise “, est passé par là. Ses ardeurs ont été certes freinées par la majorité dominante au sein de l’institution, mais l’épisode aura démontré que le microcosme politique malien est une véritable écurie d’Augias à nettoyer.
Ouverts lundi depuis le lundi 5 novembre dernier – sous le double signe d’un attachement à l’intégrité territoriale du Mali et de la solidarité envers les collectivités occupées, les travaux de la première session annuelle du HCC se poursuivront jusqu’à début décembre à son nouveau siège sis à l’ex-Primature. Mais, par delà la joie des retrouvailles entre collègues, l’atmosphère aura fortement été dominée par la surprenante motion de défiance portée par le conseiller national Mamadou Bakary Sangaré ” Blaise ” à l’encontre du président de l’institution.
À travers ledit document – qu’il a pris soin d’adresser individuellement à chaque conseiller- le très controversé élu de la Région de Sikasso incite ses collègues à l’insurrection contre Oumarou Ag Mohamed Ibrahim et les invite, pour ce faire, à une solidarité vis-à-vis d’une procédure de sa destitution. Unique représentant de son parti à l’institution consultative, le président de la CDS brandit pour seul argument, à l’appui de son grief, un jugement crypto-personnel sur la posture du président en le jugeant trop passif devant la crise sécuritaire et l’occupation du territoire par les assaillants indépendantistes et djihadistes.
” Blaise Sangaré “, candidat malheureux à la présidence du Haut Conseil contre le détenteur actuel de son perchoir, estime, en clair, que son ancien adversaire s’est montré en deçà de son rôle et de sa responsabilité, en tant que notoriété parmi tant de représentants du groupe ethnique principalement impliqué dans la crise sécuritaire. “Qui d’autre que lui (Oumarou Ag Mohamed Ibrahim Haïdara, ndlr) pourrait être meilleur médium pour le Mali entre les loyalistes, les rebelles et face à l’opinion internationale tant dans ses prédispositions d’originaire, natif, résident, élus communal, local, régional et national du Nord ? “, s’interroge-t-il sur la question. Et d’en profiter pour établir une complicité avec les séparatistes du MNLA, déduction à laquelle le conseiller CDS est arrivé à coups de raisonnements trop tirés par les cheveux. Et pour cause : son argumentaire repose exclusivement sur le “silence” du président du HCC, puis un passage en Mauritanie où résident des membres du Mouvement National de Libération de l’Azawad
Ce n’est pas tout. Très peu légaliste et outrageusement régionaliste, Mamadou Bakary Sangaré n’en profite pas moins pour basculer dans la remise en cause du Code des Collectivités Territoriales. Il s’en prend notamment à la possibilité que celui-ci offre aux minorités d’assurer la présidence d’une institution de la République comme HCC, au détour de tirades, dénonciations et interrogations très vicieuses comme suit : “…Comment comprendre et faire accepter que la Région de Kidal avec 67 638 habitants, Sikasso avec 2 625 919 habitants (sa région à lui, ndlr) ou Ségou avec 2 336 255 aient le nombre de représentants soit huit (8) élus chacune, chose qui jure avec toute proportionnalité ?… Ou encore que pour asseoir la volonté du Mali d’intégration des minorités à la gestion des affaires publiques au plus haut niveau jusqu’à lui dévaloir la présidence de cette institution depuis sa création ?”.
Autrement dit, le président de la CDS juge injuste que soient ignorées des considérations comme le poids démographique de la région et de l’ethnie d’appartenance, des conseillers dans la dévolution des hautes responsabilités de l’institution. Ce faisant, il verse pour le moins dans la remise en cause des dispositions constitutionnelles qui consacrent l’égalité des citoyens sans distinction ethnique, contre toute mesure discriminatoire.
Mais à la mesure donc de l’insipidité qu’elle inspire, la motion de défiance aux relents de ”faciès” n’a rencontré qu’une avalanche de désapprobations de la part des différentes composantes politiques du Haut Conseil des Collectivités. Au fait, la question a aussitôt eu droit au chapitre, mais c’était pour susciter un torrent de condamnations et de déclarations où chacune des entités politiques de l’institution a manifesté un soutien unanime au président Ag Mohamed Ibrahim.
En désapprouvant par exemple la démarche de Blaise Sangaré, quatorze (14) élus nationaux sur la quinzaine (15) que compte l’Urd explique qu’elle ne repose sur aucune disposition règlementaire de l’institution, ni sur une quelconque disposition de la constitution du 25 Février 1992, laquelle fixe la durée du mandat du président du Haut Conseil.
La réplique est beaucoup plus cinglante du côté de la famille politique du président Oumarou. Fort d’une donne demi-dizaine de formations parmi les plus grosses pointures de la scène politique malienne (Adéma-RPM-MPR-CODEM-CNID-PARENA), ledit groupe, au détour d’une motion de soutien au président, a réagi par des diatribes plus sévères à l’encontre des arguments développés par le conseiller de Bougouni. Tout en relevant que son document ne repose sur aucune motivation sérieuse et défendable, les quarante-quatre (44) signataires de la contre-offensive estiment que la démarche n’est inspirée que par “la haine et la méchanceté”.
Et contrairement aux “accusations gratuites et fallacieuses contre la personne du président de l’institution” de l’initiateur de la motion de défiance, le Groupe retient plutôt une gestion exemplaire de la crise sous l’égide du premier responsable de l’institution, Oumarou Ag Mohamed Ibrahim, qui continue ainsi de jouir de la confiance de l’écrasante majorité de ses collègues.
Sous la pluie de dénonciations qui l’isolent et le réduisent à sa juste expression au sein de l’institution, l’auteur de la motion de défiance n’a pas daigné prendre part aux débats y afférents. Sentant sans doute la déconvenue imminente, il a choisi d’esquiver les coups en prenant la poudre d’escampette à quelques encablures de l’ouverture de la plénière.
Quoi qu’il en soit, la posture du Conseiller Mamadou Bakary Sangaré alias “Blaise”, sa tendance au faciès et à la stigmatisation ethnique auront pour le moins alerté par rapport aux obstacles très sérieux que pourraient rencontrer les efforts de décrispation, de pacification et de reconquête de l’unité nationale.
En perte de vitesse depuis les élections générales de 2002, le président de la CDS en a visiblement perdu jusqu’au bon sens politique. Sa détermination à rebondir – qui viole toutes les frontières et recourt aux armes les moins conventionnels comme le faciès – aurait fait tâche d’huile et peut-être inspiré d’autres acteurs politiques en disgrâce si son envol extrémiste n’avait été brisé par l’écrasante majorité de ses collègues.
A.Keïta