Depuis le 30 mai 2017, Modibo Sidibé séjourne en France plus précisément à Paris. C’est la Fondation Prospective et Innovation, présidée par le Président de la commission des Affaires Etrangères, de la Défense et des Forces Armées du Sénat français, Jean-Pierre Raffarin, en partenariat avec la Municipalité de Bordeaux, qui ont invité l’ancien Premier ministre du Mali, Modibo Sidibé, par ailleurs Président des FARE An Ka Wuli, à intervenir à la session d’ouverture de la rencontre intitulée «Bonnes nouvelles d’Afrique», le vendredi 2 juin 2017 à l’hôtel de ville de Bordeaux. La conférence inaugurale sur le thème «Démocratie, Sécurité et Développement» a été respectivement introduite par les anciens Premier ministre Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin et Modibo Sidibé. Au cours de son séjour français, Modibo Sidibé a rencontré plusieurs associations de Maliens en France. Avant de revenir sur cette mission en France, nous vous proposons l’intégralité de la contribution du président Modibo Sidibé, qui était très fortement attendue.
Messieurs les Premiers ministres,
Mesdames et messieurs, en vos rangs, qualités et grades,
Permettez-moi avant de vous livrer quelques réflexions sur la thématique «Démocratie, Sécurité et Développement» qui nous réunit aujourd’hui de : Remercier la Fondation Prospective et innovation et la Ville de Bordeaux pour m’avoir invité à participer à cette 5ème édition du colloque «Bonnes nouvelles d’Afrique».
– Saluer la volonté des organisateurs à accompagner le phénomène de l’émergence, de la croissance économique et du développement de l’Afrique, meilleur rempart contre toutes les formes d’insécurité qui menacent l’émergence de notre continent ;
– Saluer la pertinence de leur approche qui a pour objectif, je cite, «de favoriser une prise de conscience et une réflexion prospective sur les transformations fondamentales du monde contemporain, afin d’aider les acteurs sociaux, depuis le gouvernement jusqu’au particulier, à innover à bon escient, et entrer activement dans l’avenir avec lucidité plutôt que d’y être entraînés.»
– Rappeler que cette démarche, résonne en moi car en tant que Premier Ministre, j’ai créé une cellule d’Analyse et de Prospectives (CAP) à la Primature, dont l’objectif était d’appréhender l’ensemble des grands défis du Mali et ceci tous secteurs confondus.
Mesdames et messieurs,
Les relations entre Sécurité, Démocratie et Développement sont reconnues.
L’absence de sécurité hypothèque le développement et réciproquement la fragilité économique favorise les conflits et l’insécurité, dit-on.
Présentées souvent comme deux objectifs contradictoires et concurrents, la sécurité et la démocratie sont bien plutôt complémentaires en Afrique qui connaît de profondes transformations sociales, économiques et politiques. D’éminents spécialistes et chercheurs dont certains sont parmi nous ici, ont eu un regard critique sur démocratie et développement, gouvernance et développement, sécurité et développement, sur la problématique de l’Etat, singulièrement en Afrique.
Les crises politiques complexes qui ont marqué les dernières décennies en Afrique, y compris le Mali mon pays, ont mis en évidence ce lien entre la démocratie, la sécurité et le développement. Mes propos illustrent bien cela quand parlant du Mali, je disais que sans une démocratie assurée, sans une vie politique guidée par l’intérêt général, sans un Etat respecté, sans un développement équitable et visible, il est à craindre que les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Comment parvenir alors à une «stabilité structurelle»* ?
Cette interrogation et ma modeste contribution se veulent à la croisée de la réflexion et de l’action politique, en pointant quelques aspects qui me semblent ouvrir de vraies perspectives à notre continent : l’exigence de renouveau démocratique, la sécurité comme «… service public aux populations», l’Etat comme «la cause et la solution».
Le Renouveau démocratique et citoyen
En 2010, lors de la commémoration du cinquantenaire de l’indépendance de nombreux pays africains, en affirmant comme tant d’autres que l’Afrique est le continent du 21ème siècle, nous soulignions que pour cela l’Afrique doit rester en démocratie. Mais alors quelle démocratie ?
On a pointé la démocratie, son déficit ou encore la mal gouvernance, les conflits électoraux, le faible impact sur le développement… Mais au fond, ce n’est pas la démocratie qui est en cause. Je ne crois pas que les Africains supporteraient de revenir à la dictature. En témoigne l’appétence grandissante des populations pour la gouvernance et la démocratie, singulièrement de la jeunesse. Ce qui est en cause, c’est la fiabilité de nos institutions et le manque de confiance. La rectification nécessaire exige de l’organisation et de la confiance-confiance en nous, confiance en notre Etat- des institutions respectables et respectées, construites à partir de nos valeurs, une égale répartition sur tout le territoire des services apportés par les pouvoirs publics. Inventer un nouveau fonctionnement institutionnel, une nouvelle alliance entre les citoyens et leur gouvernement est aujourd’hui un préalable au développement.
Singulièrement un prix Nobel… «soutient que l’essentiel de la démocratie réside non pas dans le vote, mais dans le débat public pour l’action commune.». Dans le cas du Mali, la situation est si complexe et critique, qu’on a besoin que les Maliens se mobilisent, pour être acteurs de leur processus de sortie de crise ; qu’ils se concertent, qu’ils se parlent, qu’on recrée, qu’on réinvente ensemble ces liens de confiance et de crédibilité. Construire ces légitimités dont le moteur est le renouveau citoyen.
La Sécurité comme «…service public aux populations »
Sans s’aventurer dans la revue des menaces du 21ème siècle en Afrique, que d’autres que moi sauront avec compétence nous entretenir, «Il ressort de l’analyse/des différents/évènements que les questions de sécurité ne concernent plus seulement la sécurité du territoire, mais aussi la sécurité et le bien-être des populations comme l’alimentation et la nutrition1, l’éducation et la santé. Il faut aujourd’hui reconnaître que le concept de sécurité recouvre à la fois la sécurité de l’Etat et la «sécurité humaine» 2. Elles sont toutes deux nécessaires pour le renforcement de la démocratie en Afrique et son développement. Elles doivent se renforcer réciproquement.»
Les problèmes de sécurité en Afrique se posent en termes d’organisation, de contrôle, de financement et de fonctionnement. Sans ignorer des aspects aussi importants que la gouvernance démocratique du secteur, il importe à mes yeux de : 1 La sécurité alimentaire 2 Terminologie du Programme des Nations unies pour le développement *voir «L’Afrique à l’heure du nouveau régionalisme sécuritaire*» ; Thierry Vircoulon* rendre effectif le «tournant du financement de la sécurité» sans tabou ; la formation seule ne suffit pas, l’équipement et le soutien aux opérations sont tout aussi importants. Evitons l’éviction des dépenses répondant aux autres «insécurités» soit de fait, soit par manque de ressources et donc rendre «…complémentaire le financement de la sécurité et du développement». *refonder le système de renseignement est capitale ; * prendre en compte la sécurité quotidienne tant réclamée par les populations et non pas seulement la lutte contre le terrorisme.
Face au terrorisme, la réponse n’est pas que sécuritaire, elle doit être aussi politique, économique, culturelle et sociale. Par exemple au Mali, elle doit s’articuler autour d’une vraie politique globale et stratégique de notre géographie, répondant à notre responsabilité dans la stabilisation de notre pays et dans celle de notre sous-région. Forte et cohérente cette approche globale et volontaire commande notre politique institutionnelle, notre politique sécuritaire, notre politique économique et socioculturelle, notre politique d’aménagement du territoire de façon équitable et équilibrée.
Au plan régional, pour une réponse régionale efficace et durable (long terme), les Etats doivent sortir des tranchées en créant de véritables forces multilatérales.* Une démarche qui engage les gouvernements et leur peuple en faisant de la construction régionale sécuritaire un objet de consensus, consolider une «capacité de réponse rapide, collective et efficace» à même d’innover face à un ennemi non conventionnel, et de donner son vrai sens au concept de «pays frontière».
L’Etat, «la cause et la solution»
La demande d’autorité et de responsabilité de l’Etat, la demande de sécurité des personnes et de leurs biens, la demande de sécurité du territoire, la demande de justice et de respect des lois, la demande de stabilité et de prévisibilité, la demande de transparence et de participation, et au total le «besoin d’Etat» qu’expriment actuellement les citoyens des pays d’Afrique interpelle tous les Etats et les dirigeants africains. Il faut une gouvernance de l’Etat pour le développement et la sécurité. Quand on parle d’Etat stratège, certes on parle de capacités d’anticipation, de contrôle de son territoire, de formulation et de conduite de stratégies, mais c’est également une autre vision de l’action étatique, celle au service du citoyen. Aussi, il importe d’intégrer le rôle, la place des populations et des territoires. Irriguer intelligemment l’administration du territoire avec l’esprit d’institutions locales auxquelles les gens croient, c’est se donner les moyens de l’intervention citoyenne et démocratique.
Tant que les citoyens sont partie prenante de ce qui se dessine, des «constructions institutionnelles…endogènes» dans lesquelles ils se reconnaissent, ils auront le sentiment qu’ils appartiennent véritablement à un ensemble, une nation, parce qu’ils sont considérés et acteurs, parce qu’ils sont protégés où qu’ils soient, parce qu’ils peuvent compter sur un Etat solidaire, efficace et juste. (Rôle et responsabilité de la société civile et du secteur privé).
De telles légitimités institutionnelles, un tel renouveau citoyen repositionnent l’Etat en lui conférant la confiance et la crédibilité comme acteur majeur. De cause, l’Etat devient la solution. Un Etat fort, efficace et juste réconcilie et donne toute sa plénitude à l’articulation démocratie, sécurité et développement et saura construire une réponse nationale globale et durable, en lien avec une vraie capacité régionale et un partenariat stratégique et confiant.
Pour construire cette «stabilité structurelle», osons innover, inventer, c’est la seule réponse durable et soutenable pour nos pays et pour les partenaires engagés à nos côtés.
Ce processus de refondation qui se projette nécessairement sur le moyen et long terme nécessite une révision de bien de paradigmes actuels. Dans ce sens, sur l’un des plus grands défis qui se pose à nous et qui peut être un formidable atout, notre jeunesse, le Groupe Initiative Afrique vient de publier «Jeunesse africaine, bombe à retardement ou opportunité historique» (l’Harmattan/Côte d’Ivoire). Et je sais beaucoup d’entre vous sur ce chemin qu’exprime FelwinSarr «L’Afrique n’a personne à rattraper. Elle ne doit plus courir sur les sentiers qu’on lui indique, mais marcher prestement sur le chemin qu’elle se sera choisi».
Je vous remercie !
Modibo Sidibé serait peut être une possible alternative crédible pour restaurer un certains nombre de valeurs (dignité, probité morale et intellectuelle, éthique) , sans lesquelles valeurs il n’y a pas de nation.
Je tire mon chapeau devant Modibo SIDIBE. Je suis convaincu que la solution du terrorisme au Mali passe par l’implication personnelle de Modibo SIDIBE.
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