Cinquante ans après l’indépendance et dix-neuf ans après la révolution de mars 1991, qui a balayé le régime dictatorial du Général Moussa Traoré, les Maliens ne désespèrent plus. Ils désespèrent de pouvoir espérer.
En Afrique, et particulièrement au Mali, nous avons trop cru à la providence. Nous avons été trop optimistes, longtemps optimistes. « L’esclavage est fini, nous sommes sauvés. Tout ira bien désormais ! », croyaient nos ancêtres. Vint, ensuite, la colonisation.
Réunis au sein du Comité Militaire de Libération Nationale (CMLN), un groupe d’officiers, dirigés par le lieutenant Moussa Traoré, prennent le pouvoir. C’était le 19 novembre 1968.
Soulagés, les Maliens se mettent à chanter, à danser, en scandant « Liberté ! ». La dictature qui va s’en suivre va durer 23 ans. Avec, à la clé, des arrestations, des tortures, suivies de la déportation des leaders politiques d’alors au tristement célèbre bagne de Taoudénit d’où, ils ne reviennent jamais.
Du moins, dans leur écrasante majorité. Du coup, le détournement des fonds publics est devenu un sport national. Et la corruption, d’un naturel insoupçonné. Victimes de la mauvaise gestion, les caisses de l’Etat étaient vides. Désespérément, vides. Les salaires des fonctionnaires accusaient des retards de trois, voire cinq mois. Les fonctionnaires usaient de tous les moyens, même illicites, pour joindre les deux bouts.
Mais le vent de la démocratie, soufflant sur le continent, a fini par ébranler le « régime des généraux ».
L’ouverture démocratique, réclamée par le « Mouvement démocratique » et les organisations de la société civile, a été réprimée dans le sang.
C’est ainsi qu’en mars 1991, l’Union Nationale des Travailleurs du Mali (UNTM) décrète une grève illimitée sur toute l’étendue du territoire national.
Du moins, jusqu’à la démission du Général Moussa Traoré. Le pays est paralysé. Elèves et étudiants vident les classes et les amphithéâtres. Avant de rejoindre les rangs des manifestants. Les marches de protestation se multiplient. Les forces armées et de sécurité tirent, à balles réelles, sur les manifestants.
C’est dans ce contexte, que dans la nuit du 26 mars 1991, le Général Moussa Traoré a été arrêté, au palais de Koulouba, par un groupe d’officiers. Avec, à leur tête, le lieutenant –colonel Amadou Toumani Touré, plus connu sous ses initiales : A.T.T.
C’était en 1992. Les présidentielles ont été remportées par un certain Alpha Oumar Konaré. Le suite, on la connaît. Tous ceux qui ont chanté et dansé pour le changement ont fini par déchanter. Les martyrs de la révolution de mars 1991 se retournent dans leur tombe.
Certes, le Président Konaré a changé le visage de notre pays. Des ponts, des routes, des écoles, des centres de santé, des stades, des monuments … ont été construits. Mais il a oublié l’essentiel : la construction de l’homme malien, avec une nouvelle mentalité, celle d’un patriote dévoué à son pays. Conséquence : la corruption a repris du poil de la bête. Le pillage des finances publiques, aussi. La justice est, selon la célèbre formule de Me Fanta Sylla, ex-ministre de la justice, indépendante de tout sauf de l’argent sale.
Plus grave, l’école malienne sombre dans la dépression. Acquise au prix du sang, la démocratie est clochardisée. L’espoir suscité, par la révolution de mars
L’ex –Général de Brigade est élu président de
Nul ne met en doute le patriotisme d’A.T.T. Mais sa volonté de combattre la corruption et la délinquance financière a été prise en otage par son entourage, plus prompt à s’en mettre plein la besace qu’à mettre son programme de société en œuvre.
Sous son premier, comme sous son second mandat, des écoles, des ponts, des hôpitaux, des routes, des logements sociaux… ont vu le jour. Sans compter les barrages et les usines.
Mais comme son prédécesseur, A.T.T a oublié de construire l’homme malien. Un homme « génétiquement » modifié par 23 ans de régime Kaki, auxquels s’ajoutent 10 ans de « règne Adema ».
Comme sous ces deux régimes, qui se sont succédé à la tête de notre pays, l’école malienne est devenue une fabrique de « demi –lettrés ». Mais aussi, d’« intellectuels –analphabètes ». Avec des maîtrisards incapables de sortir une phrase de leur bouche. Sans secouer le cercueil de Vaugelat. Le pillage des finances publiques se poursuit. Et les contrôles inopinés du Vérificateur général n’y font rien. La pauvreté a franchi le seuil du tolérable.
L’écrasante majorité de nos concitoyens peinent à se procurer trois repas par jour. Les prix des denrées de première nécessité ont pris l’ascenseur. Le chômage est endémique. Surtout, au sein de la jeunesse. Pour se sortir de cette situation, les jeunes –avec ou sans diplôme –bravent les océans à la recherche d’un mieux –être, ailleurs.
Bref, les Maliens se croient sans avenir. Or, être sans avenir, c’est mourir un peu. C’est mourir tout court.
Oumar Babi