Les éléments de la sécurité étaient plus nombreux que les marcheurs eux-mêmes. Face à ce flop magistral, Modibo Sangaré était obligé de faire appel à des badauds et de héler les passants. Tous sont restés sourds à son appel. C’était le vendredi dernier sur le Boulevard de l’Indépendance.
La montagne a accouché d’une souris. En effet, le premier acte de la série de marches contre la vie chère annoncée avec beaucoup de tapage par le président de l’Union pour la Renaissance Nationale (UNPR) Modibo Sangaré, pour dénoncer la vie chère, la corruption et la révision constitutionnelle, a été un flop magistral. Il y avait en fait plus d’éléments des forces de sécurité (police et garde nationale) que de manifestants. Une trentaine de personnes seulement s ont venus répondre à l’appel de Modibo Sangaré pour battre le pavé. Pour ne pas être ridicule, le président de l’UNPR donnait de la voix pour rallier à sa cause de jeunes buveurs de thé assis tranquillement dans un coin et les quelques spectateurs qui le regardaient faire son one-man-show, en ce vendredi 19 juillet 2011.
Il est 14 heures passées et la marche peine à commencer. Sur l’estrade de la Bourse du travail, une poignée de personnes attend le départ, sous l’œil goguenard de la centaine d’éléments de la sécurité mobilisés pour encadrer les manifestants.
Les minutes s’égrènent, le public se fait désirer. Nous avons cru un instant que la marche serait annulée. Mais c’était sans compter avec l’engagement de Modibo Sangaré, décidé à marquer sa rentrée politique, après une longue période d’hibernation.
Megaphone à la main, il n’avait d’autre choix que d’exhorter le public à sortir pour se joindre à lui. Une invite qui tourne presque à l’imploration: “ Vous qui êtes assis et qui nous observez, vous qui êtes en train de passer, venez vous joindre à nous. C’est pour vous que nous nous battons, que nous revendiquons. Ce n’est pas en restant assis que vous parviendrez à vous faire entendre de ce gouvernement. Donc venez vous joindre à nous. Vous le faites pour vous-mêmes”.
Mais les gens sont restés sourds à ses appels et le groupe de marcheurs ne grossissait toujours pas. D’ailleurs, la poignée de fidèles présents sur les lieux commençait à perdre patience. Finalement, le président de l’Union pour la renaissance nationale comprit que lorsque l’on n’a pas ce que l’on veut, on se contente de ce que l’on a. Il se résolut à donner le départ de la marche en direction de la Place de l’Indépendance.
Tout au long de l’itinéraire, le petit groupe mobilisé scandait des slogans inscrits sur les banderoles: ” La cherté de la vie, ça suffit ! Halte à l’incurie de l’Etat “, ” Le ver de l’ivoirité est dans le nouveau projet de Constitution “, ” Nous exigeons l’arrestation de tous les voleurs de deniers publics et des narcotrafiquants quel que soit leur rang “.
Au bout d’une dizaine de minutes, la petite procession de marcheurs s’immobilise au niveau du monument de l’Indépendance. La faible mobilisation ne semble pas émousser l’ardeur des cadres du parti qui ont estimé que ce qui comptait, avant tout, c’était de faire passer le message et d’attirer l’attention de la population sur les problèmes réels du pays.
Toutefois, l’absence des associations et autres organisations musulmanes ne cesse de faire jaser, si l’on sait que l’UNPR a toujours été présentée comme très proche des milieux islamistes. En effet, l’UNPR est souvent présentée, à tort ou à raison, comme un parti d’obédience islamique. La scène de vendredi devrait pousser à réfléchir sur cette question.
“Les populations sont déçues et ne croient plus en rien”
Après la marche de protestation qu’il a organisée, le vendredi dernier, pour dénoncer les maux dont souffre notre pays, le président de l’Union Nationale Pour la Renaissance (UNPR) Modibo Sangaré, nous a reçus, le lendemain samedi dans ses bureaux sis à Bolibana, pour une interview exclusive. Dans cet entretien, il est revenu sur les plaies qui minent notre démocratie et qui ont pour noms : népotisme, corruption, gabegie, mauvaise gestion des deniers publics, concussion, narcotrafic. La liste n’est pas exhaustive. Tout ce qui, d’après ce porte-parole des sans-voix, aggrave de façon dramatique la paupérisation des populations. Et cela dans l’indifférence totale des autorités.
L’Indépendant : La marche de protestation que vous avez organisée, le vendredi dernier, n’a pas drainé foule. Est-ce à dire que les Maliens ne partagent pas vos préoccupations.
Modibo Sangaré : Merci de m’avoir posé cette question. Ces préoccupations, pour lesquelles nous nous battons, sont avant tout celles des Maliens. Je ne crois donc pas que les Maliens ne les partagent pas. Seulement aujourd’hui, les populations sont déconnectées de la classe politique. Elles sont déçues et ne croient plus en rien. Il y a également le fait que l’espace politique a été envahi par l’argent. Finalement, même pour défendre leurs propres causes, les populations s’attendent à ce qu’elles reçoivent d’abord de l’argent. On assiste donc à une situation qui a perverti le comportement des Maliens vis-à-vis de la chose publique. Il y a aussi autres facteurs qui expliquent que la mobilisation n’a pas été à hauteur de souhait. Mais pour moi, ce qui importe c’est l’acte posé et qui va continuer.
Quels objectifs visez-vous à travers cette série de marches de protestation que vous envisagez dans les jours voire les mois à venir ? Il semble que vous souhaitiez un ” Printemps malien ” ?
MS : Vous savez autant que moi que les Maliens, dans leur écrasante majorité, souffrent énormément aujourd’hui. La cherté de la vie d’abord : les prix augmentent sans cesse et personne ne lève le petit doigt. Les hommes politiques ne font que maugréer dans les salons ; les populations, elles-mêmes, ne font que compter sur la fatalité. Tout simplement parce qu’elles pensent qu’aucune lutte n’aboutira. L’objectif que nous visons, c’est donc d’amener les pouvoirs publics à changer de politique. Car, les autorités se préoccupent très peu de la condition de vie des Maliens. Elles essayent chaque fois d’expliquer la cherté de la vie par des facteurs exogènes : la flambée du prix du pétrole, l’augmentation du prix du sucre sur le marché international… Oubliant de dire que les ressources que nous avons dans notre pays, si elles sont bien gérées, peuvent permettre aux Maliens, avec l’augmentation de leur pouvoir d’achat, de supporter le coût de la vie.
Ce qu’on constate aujourd’hui, c’est que des voleurs et des narcotrafiquants sont en train de piller notre pays. Des agents de l’Etat et des opérateurs économiques sont en train de se donner la main pour piller les ressources de l’Etat.
Les exonérations ne profitant qu’à une minorité. Et l’impunité est là pour couvrir cette minorité. Puisque c’est une bourgeoisie compradore, elle est de mèche avec les pouvoirs publics et les mentors du pouvoir à l’extérieur. Ce sont les facteurs endogènes qui font que nous ressentons durement les effets pervers des facteurs exogènes. Des milliards FCFA sont détournés par des cadres de l’Etat. Et ils affichent leurs richesses avec arrogance.
L’Etat se délite à telle enseigne qu’on dirait qu’il n’y a pas d’Etat aujourd’hui au Mali.
Que reprochez-vous réellement au projet de réforme constitutionnelle d’ATT que vous avez vilipendé lors de la marche de protestation ?
Ce projet constitue un véritable recul démocratique par rapport notamment à la lutte que nous avons menée en 1991. Nous pensons que le pouvoir doit être dans les mains du peuple et non entre les mains d’un seul homme. Même si ce dernier est un démocrate, il y a un grand risque qu’il devienne un dictateur avec autant de pouvoir. Car, très rapidement le pouvoir monte à la tête. Le projet de nouvelle Constitution est démocraticide. Il permet, par exemple, à l’Exécutif de recruter des députés qui pourront également être nommé ministres. Cela crée une sorte de clientélisme entre l’Exécutif et le Législatif. Surtout qu’un député nommé ministre pourra, après son service au Gouvernement, retourner reprendre sa place à l’Assemblée nationale. Le poste étant resté vacant pendant son séjour au gouvernement. Il va alors bénéficier de l’immunité parlementaire alors même qu’il est possible qu’il ait détourné des deniers publics. Il peut voler et aller se réfugier à l’Assemblée nationale. Comme on le voit, il n’a rien à perdre.
Abdoulaye DIARRA
Le Président de L’UNPR après la marche :