Mali : un mercato politique en faveur du Premier ministre fragilise Ibrahim Boubacar Keïta

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Le poignet de main glaciale entre le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga (à g.) et le président Ibrahim Boubacar Keïta, le 3 février. © Présidence du Mali

Depuis quelques mois, des élus, notamment des députés de l’Assemblée nationale, convergent massivement vers le parti du Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, au détriment de celui du président Ibrahim Boubacar Keïta. De quoi créer des rumeurs sur des tensions entre les deux hommes.

Alors qu’il n’avait que quatre députés à l’Assemblée nationale, le parti du Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga se retrouve désormais avec plus de vingt députés à l’Assemblée. Fin 2018, au moins 17 députés ont migré en seulement deux mois vers son Alliance pour la solidarité au Mali-Convergence des forces patriotiques (Asma-CFP). Au Mali, ce phénomène appelé « transhumance politique » est courant, mais ce dernier record enregistré par l’Asma-CFP sort de l’ordinaire. Le parti du Premier ministre n’était qu’un-micro parti jusqu’en 2013.

Départ de membres fondateurs du parti d’IBK

Conséquence : une dizaine de ces députés qui ont rejoint l’Asma-CFP ont quitté le parti du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), le Rassemblement pour le Mali (RPM). De quoi créer des tensions au sein de la majorité présidentielle et fragiliser la cohésion au sein du couple exécutif, formé par le président et son Premier ministre. Surtout que « beaucoup de ces députés transhumants étaient des membres fondateurs du parti d’IBK », confie à Jeune Afrique Mamadou Diarrassouba, responsable des sections du RPM et député à l’Assemblée nationale.

Pour limiter les dégâts, fin 2018, des cadres du RPM avaient rencontré le président malien à la Villa des hôtes pour évoquer le départ de leurs députés vers d’autres formations, notamment celle de Soumeylou Boubèye Maïga, qui ne cache plus ses ambitions de succéder à IBK à la tête du pays.

Depuis cette rencontre, la rumeur au sujet d’une tension entre le président et son Premier ministre ne faiblit pas à Bamako. Le 3 février dernier, un photographe de la présidence a immortalisé une poignée de main visiblement glaciale entre les deux personnalités lors des funérailles de la femme d’un ex-Premier ministre. Quelques heures plus tard, cette photo est devenue virale sur les réseaux sociaux, laissant un effet de bombe prendre la place de la rumeur.

« Aucune pression » pour débaucher des hommes politiques

La transhumance de ces députés est, au fond, le reflet de la crise qui touche le parti du président Ibrahim Boubacar Keïta en son sein même. Les députés en question ont quitté le navire RPM, n’ayant pas été investis candidats du parti dans leurs circonscriptions électorales pour les législatives prévues aux mois de mai-juin prochain.

« La situation est que certains de nos députés ont eu de sérieux challengers au sein de leurs sections. Ces challengers avaient passé cinq ans à faire le travail de terrain au même moment que les députés étaient à Bamako pour travailler à l’Assemblée nationale », explique le député RPM Mamadou Diarrassouba. Qui ajoute : « Si la section locale du parti a décidé de choisir un autre candidat qui n’est pas l’actuel député, c’est qu’il est le mieux placé pour gagner dans cette localité, et il est difficile pour nous de ne pas suivre le choix de la base ».

De leur côté, les dirigeants de l’Asma-CFP affirment n’avoir exercé aucune pression pour débaucher des hommes politiques, dont ceux en provenance du RPM, un parti qu’ils considèrent comme l’un de leurs alliés. « Le RPM est un allié mais nous ne pouvons pas refuser les gens qui viennent chez nous », explique Alou Badara Berthe, vice-président de l’Asma-CFP, précisant que « chacun est venu volontairement ». Selon lui, cette transhumance politique ne fragilise pas la majorité, « au contraire, si ces députés étaient partis dans l’opposition, cela aurait discréditer le pouvoir ».

« Nos députés et ministres suivent là où il y a de la verdure »

Les leaders du RPM reconnaissent cependant l’existence du problème. « Il est difficile de retenir quelqu’un qui veut aller vers un autre parti, mais ce qui est regrettable, c’est que quand on est responsable d’un parti politique, cela veut dire qu’on partage ses idéaux, on ne l’utilise pas juste pour accéder à des postes », regrette Mamadou Diarrassouba.

En clair, à cette tension poreuse qu’a créée ce mercato politique à Bamako, sort un autre problème de taille : « Ce mouvement d’un parti politique à un autre prouve que nos députés et ministres suivent là où il y a de la verdure, et s’occupent d’eux-mêmes et non de la population », analyse Moussa Mara, ancien Premier ministre malien.

JEUNE AFRIQUE – 06 février 2019 à 19h21 | Par Baba Ahmed – à Bamako

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