Mali sous IBK : Quand la démocratie manque de support intellectuel

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Le Mali aborde l’année 2019, dans un tableau clinique des plus critiques de son histoire. La crise sécuritaire ne faiblit pas loin s’en faut, elle rentre dans une logique d’enlèvements ciblés des enseignants, journalistes, des juges etc., dans les zones infestées. La crise morale révélée par le dossier de « l’éducation sexuelle complète », vient assombrir davantage la mauvaise gouvernance du pays. Le nécessaire dialogue politique est remplacé par le spectacle, l’auto-satisfecit et l’invective d’un chef de gouvernement en panne de vision stratégique.
Après les élections présidentielles de 2018 totalement tronquées, c’est peu dire que le pays tourne à vide. Le Mali donne l’impression que l’ensemble du corps politique a totalement perdu son souffle. Notre vie politique rentre dans une phase de stérilité sans pareille. Analyse.
La dangereuse politique de répression systématique de toutes manifestations de l’opposition par le pouvoir de fait, ne suffit pas à expliquer toute la morosité que connait la vie politique.
Il est pour le moins saugrenu que de simples déclarations de présidents de partis, groupement de partis transformés en plateforme ou d’autres personnalités, se concentrant presque toujours à faire échos d’évènements provoqués par d’autres entités sociales, soient présentées comme une activité politique dans ses dimensions stratégiques, intellectuelles et pratiques.
Depuis un bon moment, plutôt que d’être une action réfléchie et conçue avec une certaine autonomie, l’activité politique prend quasi exclusivement les contours et l’aspect d’une réaction. Les déclarations sur les révélations concernant « le manuel sur l’éducation sexuelle complète », illustrent parfaitement la situation.
Les plus déprimantes des réactions sont celles qui ont trait à la tenue du congrès del’Alliance pour la solidarité au Mali/Convergence des forces patriotiques (ASMA/CFP) du Premier ministre. La ruée en cours vers cette formation des députés de la majorité sortante et d’autres cadres opportunistes est un déshonneur pour notre classe politique.L’étiolement de ladite majorité n’apportera rien de nouveau ou de solide à notre démocratie en état de putréfaction politique avancée, bien au contraire les luttes intestines n’en seront que plus exacerbées. Nous l’avons déjà souligné comment les méthodes employées par le Premier ministre et son parti portaient au plus haut niveau la perversion de nos mœurs politiques. En seulement trois mois à la primature, le parti du Premier ministre, peut revendiquer 21 députés et des cadres à la représentativité incertaine, alors que durant toute la législature finissante, sa présence était insignifiante à l’Assemblée nationale. Ce parti passe en deux mois de 145 à 300 conseillers.
Ce n’est pas en se donnant une majorité factice, construite depuis le sommet de l’Etat, dans l’espoir pour les nouveaux adhérents de participer à la distribution de rentes politiques, que ce parti pourrait prétendre à une implantation politique nationale.
Pendant que le Premier ministre interdit toute liberté d’expression, réprime les libertés publiques en particulier le droit de manifestation, avec une vision politique des plus archaïques, il donne libre cours au braconnage de toutes les valeurs morales et éthiques dans notre vie politique par une des transhumances politiques des plus grotesque de notre histoire, obstruant ainsi toute perspective de modernisation de notre démocratie.
C’est dans les démarches en vue de la modernisation de vie politique que les citoyens attendent beaucoup des partis politiques. Tout en étant attentifs à leurs réactions aux autres aspects de la vie nationale, les citoyens attendent des formations politiques une certaine pédagogie, des actions de vulgarisation de la culture politique et la participation à réflexion commune.
Sous d’autres latitudes, où le développement politique, culturel et économique a marqué des avancées considérables, il existe bien des partis qui ne sont jamais parvenus au pouvoir, mais qui ont marqué la société et les idées, laissé leurs empreintes dans l’histoire de leurs pays respectifs et formé de nouvelles générations de militants, formant le futur personnel politique.
L’éducation et la promotion des femmes sont très stratégiques dans ce sens, aucun pays n’a de chance d’évoluer en confinant dans la marginalité les femmes qui constituent ses principales ressources humaines. Le dynamisme intellectuel des femmes est un gage de la vitalité sociale, culturelle et politique du pays.
Au Sénégal près de nous, des partis comme le RND de Cheikh Anta Diop, le PAI de Majhmoud DIOP, l’AJ/MRDN de Landing Savané, Le PIT de AhmatDansonko et la LD/MPT de Abdoulaye Bathily ont joué ce rôle.
Des années durant, ces partis ont publié des livres et des journaux, fondé des sites électroniques, créé de cercles de débats et de réflexions et influé profondément sur l’opinion. On peut bien être peuple en conseillant les rois, pour ainsi paraphraser un célèbre vers de Rudyard Kipling. Dans ce domaine, le capital intellectuel des partis au Mali paraît des plus faibles. Ils intègrent moins des activités journalistiques, des conférences publiques, des cercles culturels et d’autres moyens de sensibilisation et de formation.
La crise politique qui a suivi l’interruption du processus électoral en 2012, semble avoir conduit le pays vers le début d’une longue période de « glaciation» intellectuelle. L’instrumentalisation de la crise sécuritaire sur les décombres de la crise sociale, l’exacerbation de luttes de clans et des conflits d’intérêt à l’ombre l’insécurité généralisée, la marginalisation de la place de l’école et de l’université dans la société, tous ces facteurs, ont contribué à dépolitiser davantage la société et à rejeter la jeunesse sur les chemins de l’errance, de la sous-culture, ou de l’ersatz de culture, qui s’appuie sur le gadget, et, enfin, à rendre presque impossible le décryptage des enjeux de la nouvelle ère.
Le pouvoir qui confisque la direction du pays, les élites culturelles et universitaires, les formations politiques qui sont nées dans la dynamique de l’année 2012, n’ont pas accompli d’efforts pédagogiques et intellectuels indispensables afin d’accompagner le formalisme juridique du multipartisme, aussi bien par des débats et des réflexions scientifiques, que par des pratiques à même de rendre les idées et les principes politiques familiers aux Maliens. Ils se sont contentés, dans le meilleur des cas, de tribunes de journaux, animées par des universitaires, loin de tout contact avec le terrain.
En somme, l’intellectuel malien s’est replié, comme nous le disions, dans son coin, il a choisi l’asile dans son propre pays, pour survivre à l’abri des salons feutrés et embaumés. Pour semble-t-il échapper à la misère devenue une terrible arme aux mains des gouvernants, pour annihiler toute velléité d’opposition active. Les partis politiques ont déserté le champ des idées et de la formation à la citoyenneté.
La société, quant à elle perd, sans réagir, ses derniers repères sans en avoir construit d’autres. Dans ce contexte rien d’étonnant que le Premier ministre actuel et ses courtisans se permettent le comportement en œuvre dans la recomposition du paysage politique par la manipulation des institutions et de la constitution en dehors de tout processus électoral.
Le discrédit qui affecte aujourd’hui les territoires de la réflexion et de la pratique politique, estt, de ce fait, loin d’être une « génération spontanée ». Il s’agit d’une désaffection et d’une « allergie » sustentées par de fausses élites politiques, lesquelles, dans la majorité des cas, sont nuisibles à toute évolution démocratique du pays.
L’analyste qui s’intéresse à notre pays, y découvre étonnamment, une révolte populaire contre les partis politiques, qui sont pourtant des structures essentielles à l’édification d’une vie politique démocratique.
La vacuité politique dont souffre la jeunesse d’aujourd’hui est nécessairement aggravée par la crise de vision au pouvoir. Aucune alternative sérieuse ne lui est offerte, hormis l’enrôlement dans les bandes armées, l’immigration clandestine, la guerre de gros bras dans les quartiers et les grottes qui entourent la capitale, la consommation de drogue et les autres maux sociaux que la presse rapporte au quotidien.
Pendant ce temps, le climat général du pays est fait de dissidence sociale quasi permanente et de léthargie politique inquiétante, qui ont fini par neutraliser toute forme de réflexion féconde et objective.
Ce qui donne des heures sombres au contrat social. C’est dans la mise en œuvre de ce contrat social que les hommes trouvent les plus grandes difficultés, du fait que les intérêts des uns et les appétits des autres évoluent généralement au gré des positions respectives des uns et des autres dans l’échiquier social et des rapports de force en présence, mais toujours précaires.
Pendant plus d’un quart de siècle de pluralisme politique formel, ni l’école ni l’université n’ont pris en charge – sur le plan de la pédagogie, de l’histoire, des études académiques et de la recherche – le développement des idées politiques et leur relation avec la bonne gouvernance, la citoyenneté et le développement économique. Comment, dans cette ère de glaciation culturelle, peut-on faire revivre le printemps des idées politiques, en dehors d’instances hermétiques et stériles actuelles ?
Près de trois décennies de « non-politique »- intervalle fait d’une parenthèse d’une vaine « industrie électorale et de terroriste»- ont fini par venir à bout des espoirs démocratiques nés des douloureux événements de mars 1991. Pire, la crédibilité des partis et des personnalités politiques est devenue la denrée la plus rare dans le grand marché de la péroraison.
Le défi est aujourd’hui de donner à notre vie politique un support intellectuel, pour y arriver il faut aux forces patriotique une nouvelle stratégie de remobilisation de la société, le renouveau culturel en sera un des facteurs essentiels.
Souleymane Koné
Ancien Ambassadeur

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