Pour certains, l’Afrique noire serait mal partie alors que pour d’autres, elle refuserait tout simplement le développement. Avis d’experts sur le mal développement du continent noir, un véritable désastre pour ses populations. Aucun pays ne peut se développer durablement avec la culture des autres, sans le génie créateur de son peuple. Les pays dits développés ont en commun d’avoir un socle culturel solide sur lequel ils s’efforcent de créer les conditions d’une saine gestion des affaires publiques grâce à une administration performante. Ils se battent surtout sans relâche pour constituer de grands espaces économiquement viables, en se donnant les moyens individuels et collectifs d’en assurer la défense et la protection. Au Mali, on est malheureusement passé d’un système traditionnel certes fort à une colonisation acculturative au sortir de laquelle on a hérité d’institutions inadaptées s’appuyant sur une administration qui a fini par se transformer en une hydre dévorant tout au grand dam des administrés. Alors, comment repenser le développement sans régler les questions institutionnelles et de gouvernance ?
Les questions institutionnelles et la
séparation des pouvoirs et des rôles
Il y a un quart de siècle environ, lorsque des chefs d’Etat et des politologues européens avaient affirmé que la démocratie était un luxe pour l’Afrique ou que l’Afrique n’était pas encore mûre pour la démocratie, ils ont été l’objet d’une attaque en règle des croisés de l’époque. Et pourtant avec le recul, on a aujourd’hui le sentiment net d’y être allé sans préparation et d’avoir brûlé des étapes importantes. En effet, la plupart des dirigeants issus des croisades des années 1990 ont reconduit (à leur corps défendant ?) une gouvernance de parti unique se focalisant plus sur la neutralisation des adversaires politiques que le développement du pays, violant même parfois les textes pour s’accrocher au pouvoir. Ils ont fini par être rattrapés par la réalité économique et contraints de faire appel aux institutions de Bretton Woods. Cependant, si le principe de la bonne gouvernance dans le cadre de la commande publique a pu être imposépar ces institutions comme condition de l’aide au développement, celui de la séparation des pouvoirs (exécutif et législatif) est quasiment resté un leurre. Le Juge qui a fait une bonne lecture des rapports entre ces deux pouvoirs est lui aussi vite entré dans le contexte. Voilà comment le principe de connivence des élites au sommet de l’Etat a fini par exproprier le citoyen et mettre en berne le drapeau de la démocratie et des libertés.Il faut avouer que le passage du système traditionnel au parti unique après la parenthèse douloureuse de la colonisation a de quoi désorienter. La colonisation a opéré une rupture violente en s’attaquant aux fondements même de la société. Le parti qui s’est opposé à la colonisation rassemblera sous la bannière de l’indépendance en vouant aux gémonies ceux qui voulaient rester dans la Communauté avec la France. Ce faisant, il est devenu accapareur et intolérant en instaurant des privilèges et des honneurs pour ses militants de la première heure et en réservant les brimades pour ceux qui étaient opposés à la ligne du parti. C’est pourquoi des coups d’état et autres révolutions démocratiques ont fini par avoir raison des partis uniques. Toutefois, on ne tardera pas à comprendre que la plupart des « démocrates » voulaient plutôt être califes à la place du calife. Les perdants aux élections ont crié à la tricherie électorale, contraignant le vainqueur encore fragile à capituler et s’engager dans la recherche d’un compromis qui tournera rapidement à la compromission. Alliés contre le parti unique, adversaires politiques lors des élections, on les verra gouverner ensemble sans état d’âme. Le chef du parti unique déchu et ses ouailles malmenés comprennent alors avec le reste de la population qu’il faudra attendre pour obtenir le changement annoncé.
Le rôle du Président de la République est capital pour le retour à une vie politique vertueuse au Mali. L’expression « président de la république » n’a pas son équivalent dans nos langues et dans nos cultures. On utilise généralement les mots « mansa » pour parler du roi, « fama » pour le chef ou encore « diamanatigui »qui est plus proche de chef de l’Etat. Alors, comment diriger un pays dont les citoyens ont du mal à s’identifier culturellement au régime politique républicain ? C’est à ce niveau que la pédagogie présidentielle doit opérer car sur le navire qu’il commande, il n’y a que des groupes sociaux dont la vie est vouée et liée au spirituel. Pour les animistes par exemple (Dieu sait qu’il y en a dans ce pays), le chef qui commande aux hommes ne peut être au dessus des fétiches protecteurs dont tout le monde bénéficie de la protection. Pour les religieux qu’ils soient musulmans ou chrétiens (Dieu sait si les professions de foi sont nombreuses), le chef qui commande aux hommes est en réalité établi par Dieu, Symbole par excellence et par essence de l’omniscience, de l’omnipotence et de l’omniprésence. Et la laïcité dans tout cela? Elle n’a pas le même contenu qu’en Occident où la seule mesure véritable de toute chose reste la loi. Les immixtions du spirituel dans le temporel ne se comptent plus au Mali. Combien de responsables doivent leur place à l’entremise de chefs spirituels ou de féticheurs ? Beaucoup, sinon presque tous. Peut-on occulter ou même condamner cela ? Combien de personnes y compris de nombreux intellectuels connaissent bienla constitution du pays et l’appliquent ? Très peu. Donc, le chef d’Etat qui décide de se comporter en président de la république en oubliant la dimension sociétale de sa mission ne peut être un bon leader dans l’état actuel de l’évolution sociale. Il a besoin de la touche du chef traditionnel pour emporter durablement l’adhésion des populations et asseoir son leadership. L’exemple du masque devrait aider à comprendre cela. Le masque est connu et reconnu dans la communauté traditionnelle comme le symbole de la puissance occulte et de l’autorité. Pour cela, il est respecté et souvent craint. Pourtant, c’est bien un homme qui porte le masque ! Avant le port du masque, il a une vie ordinaire mais une fois sorti du bois sacré avec ses attributs de masque, il n’incarne plus que la puissance et l’autorité qui s’imposent à tous sans exception. Le président doit emprunter à la culture traditionnelle en adoptant la posture du masque. Se mettre au service de l’équilibre social et de l’intérêt général, se faire respecter et être craint à l’occasion, c’est d’abord revoir la dévolution et le fonctionnement de l’administration publique sur laquelle s’appuie son action. Comme il .n’y a pas de modèle démocratique unique, de système de gouvernance unique applicables à tous, savoir s’adapter en la matière reste une des clés de la paix sociale et du développement.
Laquestion de la gouvernance avec
administration publique performante
Une administration publique honnête au service de la Nation est en réalité ce dont le pays a le plus besoin en ce moment. Cela lui est même plus utile que la démocratie au regard des résultats obtenus en plus de vingt ans d’exercice. En effet, une administration capable d’assurer la continuité de l’Etat partout sur le territoire, la promotion et la défense de l’intérêt général, l’amélioration du climat social et des affaires manque cruellement au Mali alors que c’est sur ce type d’administration qu’on peut s’appuyer pour bâtir une démocratie viable. Dans quel état se trouvait déjà l’administration avant les évènements de mars 1991 ? Qu’en a-t-on fait depuis ces évènements ? Tout le monde sait qu’on a fait le choix du « tout politique »en soumettant l’administration au politique avec des conséquences dramatiques pour l’école, la justice, les forces de défense et de sécurité, l’environnement des affaires. On ne réussit plus en travaillant honnêtement mais en faisant de la politique ou en s’acoquinant avec des politiciens véreux. Voilà l’image terrible offerte à la jeunesse par de nombreux responsables dont l’attitude a conduit au rejet de leur personne et du système. Ceux qui ont des yeux pour voir savent pertinemment qu’il n’y a pas eu de coup d’état militaire le 22 mars 2012. L’Etat s’est affaissé tout seul et la soldatesque qui passait par là n’a fait qu’en ramasser les lambeaux. Et c’est certainement l’une des raisons de la rétrocession facile et rapide du pouvoir aux autorités de la transition. Jamais la frénésie des détournements de deniers publics soutenue par l’impunité la plus totale n’avait tenu en haleine qu’au cours des deux dernières décennies. Et paradoxe des paradoxes, la palme de la mauvaise gouvernance au Mali est très largement détenue par les présidents de l’ère démocratique. Modibo Kéita reste à ce jour le seul président qui avait un projet de société et un programme économique clairs et cohérents. Au regard des 77% de voix qu’il a obtenues, IBK doit comprendre que les Maliens veulent qu’il tourne résolument la page. Le pays est lourdement en panne de repères et de modèle politique depuis Modibo Kéita. Tourner la page, c’est d’abord oser des changements dans la dévolution et le fonctionnement de l’administration publique. C’est ensuite effectuer les changements politiques indispensables à un recadrage responsable du champ politique autour des projets de société et non des individus. A défaut d’une remise en question profonde, rien, absolument rien ne changera.
Le besoin de changement est d’autant plus grand que les constats sont alarmants : corruption à tous les niveaux, politisation des postes dans l’administration et les départements ministériels, inefficacité administrative et économique. Remodeler l’administration en lui assignant des objectifs réalistes et un mode de gestion axé sur la performance et les résultats, faire des administrateurs civils (préfets et sous préfets) des agents capables d’impulser le changement et le développement, d’organiser des élections propres, d’assurer un suivi responsable des projets de développement locaux, de réguler correctement l’environnement économique et social dans un partenariat fécond avec les entreprises privées et les communautés locales, sont les chantiers dont la mise en œuvre intéresse les citoyens et les partenaires étrangers. Les entreprises privées ne doivent plus être perçues comme des vaches à traire sans modération et sans discernement mais comme les chevaux qui tirent la charrue de l’économie nationale en créant des richesses et des emplois. Les citoyens doivent pouvoir à tous les niveaux définir leurs besoins, leurs priorités, les moyens de les réaliser dans le respect de la culture de chaque terroir. Combien de citoyens se reconnaissent-ils dans l’appellation numérotée de nos régions alors que d’autres appellations font vibrer leurs fibres patriotiques ?Wassoulou, Kénédougou,ne contiennent-ils pas plus de charges émotionnelles que3ème région ? Pourquoi se priverait-on de créer des pôles de développement qui s’appellent ADRAR des IFOGHAS, GOURMA ou AZAWAD si cela peut être perçu comme un facteur de réhabilitation et d’émulation pour le développement régional ? Réaliser de grandes choses, c’est savoir se remettre profondément en cause. Les Maliennes et les Maliens, partout sur le territoire national doivent pouvoir trouver des noms consensuels aux contrées qu’ils habitent dans le cadre de la renaissance du pays. Il faut quitter les sentiers battus car le repli identitaire n’est plus une menace pour l’unité nationale comme aux premières heures de l’indépendance. Il ne reste plus que des défis économiques à relever et on ne pourra le faire qu’ensemble avec une administration transformée. Recréons donc le Mandé, le Khasso, le Bélédougou, le Karta, le Bafing, le Macina, le pays Dogon, le pays Soninké, et que sais-je encore pour qu’explose enfin le génie créateur du peuple malien. Chacun se sentirait chez lui et en territoire malien, responsable de son destin dans le cadre d’une décentralisation administrative bien pensée et non imposée. Si certains frères ont pu être frustrés dans le passé, il s’agit de faire en sorte que toutes les frustrations, y compris celles jusque-là contenues d’autres communautés soient apaisées durablement. Donnons vie à nos contrées qui portent les plus beaux noms. Désignons-les comme les populations le font déjà avec beaucoup de fierté. Bien qu’absents des registres officiels de l’administration, ces noms n’ont pas disparu pour autant parce qu’ils restent plus que jamais vivants et gravés dans le cœur des populations.
La démocratie ne peut être effective sans une administration au dessus des intérêts partisans et aucun développement durable ne peut être envisagé sans une adhésion des populations, donc sans la prise en compte du fait culturel dans la conception et la mise en œuvre des programmes de développement. La renaissance du Mali est à ce prix.
Mahamadou Camara
C’est pas mal comme réflexion, toutefois je pense qu’il va falloir puiser loin dans nos racines pour choisir notre voie du développement en mettant de côté la cupidité, l’ostentation,l’ethnocentrisme, le dénigrement inutile, l’injustice et l’ascension du matérialisme. Qu’on accepte de respecter nos différences et notre environnement, favoriser l’intégration de valeurs, avoir de bons rapports respectueux avec nos voisins et amis, mettre en place un système éducatif irréprochable, arrêter de chercher les coupables ailleurs et nous remettre en cause constamment. Tout est encore possible et j’y croie.
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