Dans un an, à l’issue de l’élection présidentielle d’avril 2012, Amadou Toumani Touré ne sera plus au pouvoir. Au Mali, la bataille pour sa succession, très disputée et indécise, est lancée.
« Si Dieu me prête vie, le 7 juin 2012, je ne dormirai pas à Koulouba. J’y reviendrai le lendemain pour passer le témoin au successeur que les Maliennes et les Maliens auront élu », raconte fréquemment le président malien, Amadou Toumani Touré (ATT), à ses visiteurs. Une façon de confirmer, une bonne fois pour toutes, que la prochaine élection présidentielle sonnera l’heure de l’alternance. Après deux mandats successifs, le locataire du palais de Koulouba va donc rendre son tablier. Même si l’entourage du chef de l’État, soucieux de préserver ses privilèges, a ardemment milité pour une prolongation du bail, l’éventuelle tentation d’une révision de la Constitution n’aura jamais dépassé le stade de l’hypothèse politique, habilement diffusée pour préserver intact le commandement du chef et observer avec gourmandise le parcours sinueux des dauphins putatifs contraints d’afficher leur allégeance tout en creusant leur propre sillon. De fait, cette chronique de l’après-ATT consacre un retour en fanfare de la classe politique, totalement éclipsée au cours de cette décennie de « démocratie consensuelle »
Dix ans après avoir renversé Moussa Traoré, organisé une conférence nationale, doté le pays d’une nouvelle Constitution et remis le pouvoir aux civils, c’est en candidat indépendant qu’Amadou Toumani Touré brigue la magistrature suprême, en 2002. À la classe politique, il propose un large consensus autour de son programme. Ainsi est née la démocratie consensuelle, qui a eu l’avantage d’apaiser les tensions – le règne d’Alpha Oumar Konaré (AOK) avait été marqué par les odeurs de gaz lacrymogène –, mais qui va considérablement affaiblir les contre-pouvoirs et diluer le jeu classique entre majorité et opposition. La relative popularité d’ATT, ses succès économiques et sa stratégie ont durablement fait de l’ombre aux partis. Aujourd’hui, ils trépignent d’impatience avant le rendez-vous de 2012.
Primaires. Si on dénombre plus d’une centaine de partis au Mali, moins d’une dizaine disposent d’une réelle implantation nationale. Née en 1991, l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adema) constitue toujours la première force, mais, de rivalités en scissions, elle est affaiblie. Un peu à l’image d’un Parti socialiste français, elle n’est pas encore parvenue à régler la question de son leadership depuis le départ d’Alpha Oumar Konaré. En 2000, son président, l’ancien Premier ministre Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), furieux de ne pas être le candidat naturel pour briguer la succession d’Alpha Oumar Konaré, démissionne et crée dans la foulée le Rassemblement pour le Mali (RPM). De nombreux cadres du parti le rejoignent. Quelques mois plus tard, seconde crise. Entre les deux tours de la présidentielle, la direction de l’appareil trahit son propre candidat, Soumaïla Cissé, pour rallier ATT. Au lendemain d’une défaite inévitable, amer, Cissé s’en va et lance sa propre écurie, l’Union pour la République et la démocratie (URD). Nouvelle saignée.
Échaudée par ces deux traumatismes, l’Adema veut à tout prix éviter un remake en 2012, et s’apprête à organiser, en juillet, des primaires pour départager les prétendants à l’investiture. L’actuel chef de la diplomatie, Soumeylou Boubèye Maïga, s’étant engagé à ne pas se lancer dans la course, seuls deux candidats de poids devraient concourir pour convaincre les militants : l’actuel président de l’Adema et président de l’Assemblée nationale, Dioncounda Traoré (ancien chef de la diplomatie d’Alpha Oumar Konaré), et l’ancien ministre du Tourisme et ex-maire de Bamako, Iba N’Diaye. Avec une nette avance pour le premier. Six autres prétendants ont également annoncé leur participation aux primaires de l’Adema : les deux anciens ministres Sékou Diakité et Marimatia Diarra, ainsi qu’un entrepreneur, deux fonctionnaires et le patron d’une caisse d’épargne.
S’agissant des autres partis, la question de l’investiture ne posera pas de problème. Les candidatures sont naturelles : IBK pour le RPM, Soumaïla Cissé pour l’URD, Tiébilé Dramé pour le Parti pour la renaissance nationale (Parena), Choguel Maïga pour le Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR, se réclamant de Moussa Traoré), Oumar Mariko pour Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi)… Quant à la mise sur orbite de Cheikh Modibo Diarra, annoncée même si l’intéressé montre peu d’empressement pour aller à la rencontre des électeurs, elle devrait être en « mode automatique » puisqu’il est le seul aux commandes.
Fièvre. Autre concurrent en piste, l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, résolument silencieux depuis la dissolution – et non la démission, la nuance est importante – de son gouvernement, le 3 avril dernier. Il n’a pas encore fait part de ses intentions, mais le suspense n’est qu’un effet. Ses comités de soutien sont de plus en plus actifs sur le terrain, des affiches fleurissent sur les murs de Bamako… Et une cargaison en provenance de Chine, comprenant motos, téléphones portables, tee-shirts… pour mener campagne, serait arrivée au début du mois à Bamako.
Certains de ses partisans militent pour que l’Adema en fasse son candidat. Problème : Modibo Sidibé n’y a jamais milité. « Le règlement intérieur exclut cette éventualité », assure Ousmane Sy, secrétaire politique du parti. Autre possibilité, le Parti pour le développement économique et social (PDES, parti éponyme du programme présidentiel d’ATT). Si la formation que dirige le ministre de l’Équipement et des Transports, Hamed Diané Séméga, investissait Modibo Sidibé, cela signifierait qu’ATT a donné sa bénédiction. « Tout sauf le dauphinat ! s’exclame le président malien. Dans quelques mois, j’achève mon deuxième mandat et j’ai toutes les raisons d’être fier de mon bilan. J’ai bâti, pacifié, réformé, consolidé les acquis, pourquoi voulez-vous que j’éclabousse un tel bilan par un processus électoral biaisé ? Je n’ai pas de favori, même si je sais déjà à qui je vais donner ma voix. Je ne suis pas du tout inquiet pour l’avenir car ce pays a produit de nombreux hommes d’État. » Modibo Sidibé est-il un homme d’État ? La réponse fuse : « C’est un bon commis de l’État. » L’intéressé appréciera.
Pas de doute, la fièvre monte. Les esprits s’échauffent. Les partis affinent leur stratégie et mettent en place leur dispositif pour faire campagne. Dans les maquis transformés en agoras – les grins – où chacun joue les spin doctors, les paris sont ouverts : cote des candidats, staff des « présidentiables », slogans, couleurs des affiches… Tout y passe. Soumaïla Cissé, technocrate accompli de retour au pays après huit années à Ouagadougou, où il a présidé l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), a la faveur des pronostics. Il a contraint ATT à un second tour, en 2002, avant de le soutenir en 2007. Viennent ensuite Dioncounda Traoré – pour peu que l’Adema, véritable machine électorale, se mette au service exclusif de son président – et IBK s’il parvient à faire oublier sa maladresse ivoirienne. En soutenant mordicus Laurent Gbagbo, alors que les milices de l’ancien président s’en prenaient aux Maliens de Côte d’Ivoire, le candidat de 2002 et 2007 a dérouté bon nombre de militants.
Sinon, c’est la question du fichier électoral qui domine les débats entre le gouvernement et les partis politiques. Entre le Recensement administratif à caractère électoral (Race, élaboré en 2000) et le Recensement administratif à vocation d’état civil (Ravec, entamé en 2009 et, semble-t-il, inachevé), le choix est cornélien. Faire avec ce que l’on a, au risque d’apporter des arguments aux vaincus qui dénonceront un fichier caduc, ou faire avec ce que l’on pourrait avoir, au risque de précipiter le processus afin d’être prêt à temps ?
Certains y voient une manœuvre d’ATT pour orchestrer l’impossibilité d’organiser la présidentielle dans les délais constitutionnels et ainsi obtenir une rallonge. Une tentation Tandja, en quelque sorte, qu’ATT balaie d’un revers de main. « Il n’y aura pas de report et encore moins la mise en place d’une transition », a-t-il assuré lors de la traditionnelle conférence de presse du 8 juin, date de son arrivée au pouvoir. Dans un an, un autre président répondra aux questions des journalistes.
Source: jeuneafrique.com
Par Cherif Ouazani, envoyé spécial de J.A. à Bamako – 27/06/2011 à 17h:19