ANALYSE. Nommé après la démission de Soumeylou Boubèye Maïga, ce technocrate, sans étiquette politique et bien connu des institutions internationales, doit à présent trouver des pistes de sortie de crise sur le terrain sécuritaire et social, tout en redressant l’économie nationale. Par Olivier Dubois, à Bamako.
Quatre jours après l’annonce de la démission de l’ex-Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, lundi 22 avril, les Maliens découvraient le nouveau locataire de la primature, l’ex-ministre de l’Économie et des Finances Boubou Cissé, bombardé Premier ministre sous pression, au vu des défis multiples qu’il aura à relever pour redresser, stabiliser et pacifier le pays qui traverse actuellement une grande période de crise. Bien qu’il semblât difficile, voire impossible, de trouver une personnalité consensuelle qui se détache et qui susciterait une vague d’opinion positive spontanée chez les Maliens, cette nomination a surpris.
Cet économiste, ministre « techno », discret, qui a fait ses classes dans des institutions financières internationales, demeure au fond une personnalité politique méconnue, qui après un passage au ministère des Mines, hérite de l’Économie et des Finances. Un maroquin qu’il conservera pendant plus de trois ans, laissant derrière lui une réputation reconnue de compétence et de sérieux. Pour autant, ce quarantenaire, issu de la jeune cohorte d’hommes politiques que le président IBK a su détecter, semble un nouveau venu qui, pour beaucoup, doit « faire ses preuves », mais aussi rapidement incarner ce chef de l’exécutif à l’écoute, ouvert au dialogue et prompt à prendre les bonnes décisions, que le pays attend.
« C’est un homme de caractère, très bien organisé, qui a su rester très discret, sans entrer dans l’orbite politique, c’est un proche du président et il a son estime. Il sait écouter et comprendre, c’est aussi quelqu’un de tranché dans ses analyses et qui n’a pas peur des problèmes. Il n’a pas hésité à écarter des dossiers qui lui paraissait douteux quand il a dû gérer les problèmes de créance internes de l’État, et les personnes concernées par ces dossiers n’étaient pas des poids plumes. C’est aussi quelqu’un qui n’a aucun contentieux politique avec les autres partis », dépeint un ancien ministre malien. « Il a tenu les rênes de la finance publique au niveau national pendant ces trois dernières années. Le mettre en pole position va permettre aux Maliens et à la communauté internationale de découvrir une autre facette de l’homme », résume ce cadre du Rassemblement pour le Mali (RPM).
« Ce qu’il y a, c’est qu’il manque de poids, de soutien politique, et il n’a jamais vécu cette expérience », soupire ce sympathisant du parti présidentiel, qui considère que, dans la situation actuelle que vit le pays, prendre un « nouveau venu » et le mettre à la tête de l’exécutif est un mauvais calcul, même s’il conçoit que nommer un homme politique de poids aurait été très compliqué, puisque cette personnalité « aurait eu forcément un agenda ».
Un économiste en pleine crise sécuritaire
Aujourd’hui, les Maliens désirent, sans illusions, un Premier ministre d’expérience, respecté et respectable, qui puisse rassembler, réconcilier les Peuls et les Dogons, prévenir les conflits inter ou intracommunautaires. Un Malien qui exercera une gouvernance vertueuse, qui connaît le pays, les communautés, qui est à l’écoute et peut parler à tout le monde. Sur la capacité du nouveau Premier ministre à répondre à ces attentes, voire à les incarner, beaucoup s’interrogent et nombreux sont ceux à douter. « Vous savez, c’est une spécificité malienne, on ne met pas de poids lourds politiques, des gens très influents, à la tête de la primature, depuis Alpha Oumar Konaré. Le président de la République a d’abord besoin de quelqu’un de loyal, de travailleur et de courageux, qui ne doit pas avoir un agenda politique et qui ne doit pas lui faire de l’ombre. Il faut que le tandem fonctionne », confie l’ancien ministre.
Le choix de ce technocrate nommé à un poste si hautement politique, de surcroît apolitique, étonne, voire déconcerte, notamment parmi l’opposition, « Pourquoi ne pas prendre le Premier ministre au sein du parti qui a la majorité au Parlement ? » interroge Demba Traoré, secrétaire chargé de la communication à l’Union pour la République et la démocratie (URD), le principal parti d’opposition du pays. « En démocratie, il est rare qu’un président choisisse un Premier ministre en dehors de la majorité parlementaire », ponctue l’opposant, dont le parti attend toujours une réponse au document d’accord politique remis au président IBK samedi dernier, lors d’une consultation entre la majorité et l’opposition pour discuter de « la situation sociopolitique du pays ». Un document considéré comme un préalable à une collaboration future au sein du gouvernement de « large ouverture » en composition.
« Pas de changement »
Une nouvelle formation gouvernementale et un chef de l’exécutif attendu au tournant par les syndicats dans un contexte social de crise, comme les enseignants, en grève pour de meilleures conditions de vie et de travail depuis novembre 2018 et qui ont mal digéré l’intervention du ministre de l’Économie d’alors, qui n’avait pas hésité, devant les élus de la nation, à défendre le blocage de leurs salaires. « Ces propos à l’adresse des enseignants ne sont pas acceptables. Boubou Cissé est souvent dans la violence verbale, c’est d’ailleurs ce qui a fait partir l’ex-Premier ministre », rappelle Woyo Konaté, docteur en philosophie politique et enseignant à la faculté des sciences juridiques et politiques de Bamako. Une violence verbale qualifiée de « langage de vérité » par les supporteurs du Premier ministre qui voient dans ce pragmatisme « sa force de dire les choses, de ne pas cacher les problèmes ».
« Avez-vous vu comme Soumeylou Boubèye Maïga était à l’aise à la passation des pouvoirs ? » interroge Woyo Konaté, qui s’empresse de répondre : « Il était à l’aise, parce que c’est une continuité ! Il n’y a pas eu de changement, on s’attendait à une nouvelle figure, mais on a juste remplacé la personne qui dérangeait et on a gardé la même politique », poursuit l’enseignant. « Aujourd’hui, la majorité comme l’opposition attendent la composition du gouvernement. Vous allez voir que, si l’opposition se sent moins représentée, elle viendra s’exprimer pour dénoncer une continuité de la politique de l’ex-Premier ministre », prédit l’enseignant.
Pour le moment, les Maliens attendent avec impatience et scepticisme de connaître les personnalités qui formeront la nouvelle équipe gouvernementale, qui devrait instaurer une sorte de « paix politique » entre les mécontents, les satisfaits et ceux qui se contenteront de ce qu’on leur donne. La mission du nouveau Premier ministre est de composer un gouvernement de large ouverture, pas forcément un gouvernement de mission, plutôt une formation qui contente tout le monde. L’épisode du mercato politique une fois passé, ce nouveau gouvernement, condamné à réussir ou à échouer ensemble, devra plancher sur des solutions efficaces pour relever le pays et, autre paire de manches, il devra parvenir dans un temps relativement court à les mettre en œuvre.