Sans soutien populaire, la mise en œuvre de l’accord pour la paix ainsi que les réformes au Mali n’auront pas d’effets stabilisateurs.
Le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, a finalement décidé, le 18 août dernier, de surseoir à l’organisation d’un référendum sur la révision de la Constitution. Cette décision a été prise sous la pression d’une partie de la classe politique et de la société civile, réunies au sein de la Plateforme « Antè Abanna », qui signifie « On ne veut pas, c’est tout » en langue nationale Bambara.
Elle est intervenue dans une atmosphère tendue après des semaines de violence verbale entre partisans et opposants au projet, alors que la réconciliation et l’unité nationales demeurent fragiles dans ce pays qui traverse une crise sécuritaire depuis 2012.
« Les chefs traditionnels et religieux ont joué un véritable rôle d’amortisseurs sociaux »
Pour le gouvernement, la réforme constitutionnelle répond à trois exigences principales : tirer les leçons de la crise sécuritaire qui a débuté en 2012 ; corriger les lacunes et les insuffisances révélées par l’application de la Constitution ; et mettre en œuvre les réformes prévues dans l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, signé en 2015.
La plateforme « Antè Abanna », quant à elle, estime que la révision envisagée non seulement augmente considérablement les pouvoirs du président de la République, mais viole également l’article 118 de la Constitution de 1992 qui interdit notamment toute révision en cas d’atteinte à l’intégrité territoriale. Or, pour la plateforme, l’absence de l’État dans la région de Kidal et certaines localités du Centre constitue une atteinte à l’intégrité territoriale du pays.
La décision du président, à court terme, a contribué à apaiser le climat social. Cependant, le débat autour de la révision constitutionnelle a révélé de profondes dynamiques sociales auxquelles les autorités maliennes et leurs partenaires devraient être attentifs. Trois aspects en particulier méritent leur intérêt.
« Les arguments en faveur de la mise en œuvre de l’accord laissent encore certains Maliens dubitatifs »
Premièrement, cet échec illustre le fossé existant entre les attentes des Maliens et l’action publique. Pour rappel, l’installation du Parlement malien, à la suite de l’élection législative de décembre 2013, avait marquée une étape cruciale dans le processus de sortie de crise du pays. L’une des principales préoccupations des populations étaient de voir cette institution, longtemps perçue comme une « caisse de résonance » du gouvernement, jouer un rôle plus déterminant dans le processus législatif. L’action du Parlement était donc très attendue dans la mise en œuvre des réformes envisagées.
Or, le 3 juin 2017, avant la décision du président, le Parlement avait adopté le projet de révision de la Constitution avec 111 voix pour et 35 contre. L’Assemblée nationale, alors même qu’elle disait avoir mené des consultations, n’avait pas su prendre la mesure des réticences et des réserves face à cette révision constitutionnelle mettant ainsi en perspective sa déconnexion des attentes de nombreux Maliens.
Deuxièmement, la polarisation de l’opinion publique nationale entre le « oui » et le « non » à cette réforme avait fini par créer une tension palpable dans la population. Pour apaiser le climat, les chefs traditionnels et religieux ont joué un véritable rôle d’amortisseurs sociaux en entamant une médiation qui a abouti au sursis du projet de révision.
« La réconciliation et l’unité nationales demeurent des défis majeurs dans ce pays en proie à une crise sécuritaire depuis 2012 »
Le rôle de ces derniers serait passé inaperçu si, au cours du débat sur la révision de la Constitution, leur participation aux instances de gouvernance du pays n’avait pas été mentionné, notamment en ce qui a trait au Sénat dont la création est proposée dans le projet de révision. Il est important, après cet épisode, de s’interroger sur les conséquences de l’institutionnalisation à un niveau politique du rôle de ces autorités traditionnelles.
Troisièmement, la révision constitutionnelle, malgré qu’elle soit présentée par le président de la République et le gouvernement comme une « exigence » de l’Accord pour la paix et la réconciliation, fait l’objet de contestations populaires. Ces manifestations ont rappelé celles, réprimées dans la violence, qui se sont déroulées à Gao, en juillet 2016, lors de la mise en place des autorités intérimaires, également prévue par l’accord.
À la suite de ces événements, le président de la République avait déclaré, en juillet 2016, que « ces incidents regrettables (Gao, NDLR) sont une illustration manifeste d’une méconnaissance des aspects féconds du contenu de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale ». Ce constat témoigne du fait que, même s’il y a eu très peu de contestations ouvertes au moment de sa signature, les arguments en faveur de la mise en œuvre de l’accord laissent encore certains Maliens dubitatifs. Il rappelle également qu’une phase de pédagogie et d’explication de l’accord demeure indispensable.
Le gouvernement ainsi que les parties prenantes peuvent prendre les dispositions pour l’application des réformes législatives en attendant que les conditions soient réunies pour la révision de la Constitution qui s’impose, au-delà des « exigences » de l’accord pour la paix.
L’annonce du sursis de la révision constitutionnelle, sans qu’une nouvelle date n’ait été fixée, et les clivages majorité / opposition, « oui » / « non » dans le débat autour du projet ont rappelé certaines limites du processus de paix au Mali, notamment l’absence d’appropriation populaire pourtant nécessaire à sa réussite.
La mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation ainsi que les réformes qui en découleront sont nécessaires, mais elles ne pourront avoir un effet stabilisateur que si la population y adhère.
Il incombe non seulement aux parties signataires, mais aussi aux autorités maliennes et aux partenaires engagés dans le processus de paix, d’impliquer davantage toutes les sensibilités de la société malienne dans les différentes mesures envisagées et ce, dès leur conception.
Baba Dakono, chercheur, ISS Dakar
Cet article est d’abord paru sur le site de l’Institut d’études de sécurité