ANALYSE. La question mérite d’être posée alors que la transition politique se met en place et que les attentes des Maliens sur ce sujet sont immenses.
Les maux dont souffre le Mali aujourd’hui ont pour nom pauvreté, maladies, conflits, corruption et sont le résultat pour la majorité des Maliens de la mauvaise gouvernance. Le 5 juin dernier, c’est à l’appel de l’influent imam Mahmoud Dicko, l’une des figures religieuses les plus respectées du pays, que des Maliens descendaient dans la rue pour dénoncer la mal gouvernance et appeler au départ du président IBK et de son régime, responsables à leurs yeux de la dérive du pays. Le coup d’État mené par une poignée d’officiers supérieurs est venu parachever près de trois mois de contestation et permettre au Mali d’ouvrir une nouvelle page.
Alors que la transition politique se met en place, avec à sa tête l’ancien militaire Bah N’Daw, chargé d’organiser les prochaines élections présidentielles, une refonte du système électoral est attendue. L’objectif ? Faire en sorte que le scrutin soit juste, libre, transparent et crédible. Même si, le nouveau processus électoral n’endiguera peut-être pas la faible participation des Maliens aux différents scrutins électoraux, un des grands problèmes de la démocratie malienne.
Malgré ces saines résolutions, un autre acteur, qui influe depuis des années sur la politique du pays et les élections, ne semble pas devoir s’inquiéter de cette aspiration générale au changement et pourrait, dès les prochaines élections, s’immiscer dans le processus. Cet acteur puissant et discret, c’est le religieux. Au Mali, leur pouvoir est presque illimité. Ils sont tout à la fois capables de faire nommer ou démissionner des ministres, de mener le candidat de son choix aux responsabilités suprêmes. Le changement de gouvernance que les Maliens souhaitent, pourra-t-il faire l’économie d’une remise à plat de l’influence du religieux sur les affaires politiques du pays ? Rien n’est moins sûr.
Le politique et le religieux au Mali, un lien incestueux
« Il y a toujours eu une influence des religieux dans la société malienne. Les religieux ont toujours été impliqués dans la sphère politique. La seule période qui a été marquée par une absence totale des religieux sur la scène politique c’est pendant la période de Modibo Keita de 1960 à 1968. Car Modibo Keita a combattu les religieux du fait de son socialisme et aussi par le fait qu’ils étaient vus comme les collaborateurs de l’administration coloniale », explique Boubacar Haidara, chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le monde et auteur d’une thèse sur l’islam et la politique au Mali.
Après la dictature de Moussa Traoré ou les associations islamiques font leur retour mais n’ont pas droit au débat, les politiques vont montrer leur incapacité à satisfaire aux exigences de changement exprimées par les populations. Les contextes socio-économiques difficiles couplés à l’inefficacité de l’État et à une classe politique qui incarne pour le peuple la corruption et la mal gouvernance vont permettre au religieux de venir combler un vide laissé par l’État et favoriser l’incursion du religieux dans le domaine politique, en faisant d’eux des hommes providentiels.
C’est avec la création du Haut Conseil Islamique (HCI) fondé en 2002 et qui sera dirigé par l’imam Mahmoud Dicko à partir de 2008 qui le HCI s’immisce en politique. Le Code de la famille sera sa première lutte et une victoire à marquer d’une pierre blanche. Opposé à ce texte progressiste visant à instaurer un équilibre entre l’homme et la femme en termes de droits. Une démonstration de force qui fit reculer le président Amadou Toumani Touré. Le texte fut récrit en incluant de nombreux amendements, abandonnant par là même son progressisme pour un conservatisme plus conforme aux desiderata des religieux.
Ce même HCI, trois années plus tard, rare soutien du Premier ministre Cheick Modibo Diarra, conspué par la majorité de la classe politique pour son incompétence, obtiendra du Premier ministre de plein pouvoir la création d’un ministère des Affaires religieuses et du Culte, un ministère inédit jusque-là au Mali.
« Beaucoup se sont rendu compte de l’influence du religieux à partir du Code de la famille », souligne Boubacar Haidara. Il s’est par la suite noué une sorte de partenariat entre le religieux et le politique pour connecter leurs fidèles ou partisans, potentiels électeurs, aux candidats que les religieux choisissent de soutenir », poursuit le chercheur.
Un état de fait qui renforce la notoriété des principaux leaders musulmans maliens : Mahmoud Dicko, Chérif Ousmane Madani Haïdara et Chérif Bouyé Haïdara.
Alors qu’à la nuit tombée, les ombres s’allongent dans la cour de la Zawiya du cherif de Nioro, l’imam assis en tailleur sur d’épais tapis dans la fraîcheur du petit soir, laisse passer un silence, égrenant son chapelet, avant de se faire plus explicite : « Je ne suis pas politique. Quand on me sollicite, quand on demande mon avis, quand on me soumet un problème, je donne mon avis. IBK, je l’ai soutenu avec mon argent, avec ma langue et avec mes partisans. Mais je n’ai pas bougé d’ici ! Je n’ai pas été à un meeting, je ne suis pas parti le chercher. »
Selon son entourage, l’imam contribue à hauteur de 300 millions de francs CFA à la campagne du candidat IBK. Sur le terrain, le HCI entame la tournée des mosquées de Bamako et de l’intérieur du pays, qui hébergent pour l’occasion de véritables meetings pour inciter les fidèles musulmans à accorder leur vote au candidat IBK. Le jour où a été déclaré que la communauté musulmane allait voter pour IBK, l’occasion de véritables meetings pour inciter les fidèles musulmans à accorder leur vote au candidat IBK. Quand la déclaration du choix du candidat pour la communauté musulmane tout entière est faite, c’est à Nioro du Sahel, dans la maison du chérif.
« Dans la Tidjaniyah, les talibés, les élèves, doivent se mettre à la disposition du guide, ils doivent se plier à ses desiderata avec une parfaite obéissance. C’est le principe de la Tidjaniyah. Quand on décide d’adhérer au mouvement de Bouhyé, on lui fait allégeance. Dans le wahhabisme pratiqué par l’imam Mahmoud Dicko, il n’y a pas d’intercession possible entre l’homme et Dieu. Donc quand Bouhyé dit d’aller voter pour un tel, les fidèles et partisans s’exécutent. Les directives émises par ce dernier sont incontestables. Donc, on peut dire, sans se tromper, que les consignes de vote de Bouhyé sont absolument appliquées », précise Boubacar Haidara.
Nioro du Sahel sera d’ailleurs, le premier déplacement effectué par le nouveau président IBK après son élection et avant même son investiture, afin de remercier le chérif Bouyé Haïdara pour son aide. Toujours selon son entourage, le chef religieux soutiendra d’ailleurs les législatives à hauteur de 400 millions de francs CFA. Une complicité entre un leader politique et religieux qui a consolidéle pouvoir politique du président IBK, pour un court temps, avant que leur relation ne devienne ombrageuse.
Un Mali nouveau
Sur ce sujet, les dernières paroles de Cheickna Ould Hamalla Haïdara donnent une indication plutôt précise de la réponse : « La place des hommes religieux dans la société a changé. Avant, l’homme politique pouvait être élu sans consulter les religieux. Les événements qui se sont passés ont attiré l’attention des hommes religieux sur la politique et, aujourd’hui, il est impossible pour un homme politique d’être élu sans l’appui des religieux. »
Par Olivier Dubois, à Bamako
Publié le 26/09/2020 à 14:54 | Le Point.fr