Dans la mouvance du cinquantenaire, on n’a vu le Président de la République se pavaner à Kurukan Fuga. Quelques mois plus tard, le Ministre de la Révision Constitutionnelle propose la charte de Kurukan fuga dans le préambule de la Constitution du Mali. Proposition d’ailleurs acceptée. Même si amendée. Une vraie farce aux allures électoralistes.
Si seulement cette farce ne polluait pas notre atmosphère. Parce que Kurukan Fuga c’est le Manding. Et, il faut qu’on se le dise. Une fois pour toute. Le Mali n’est pas le Manding. Même si nous héritons du Manding. Comme nous héritons d’ailleurs de Ouagadu. Du Songhoy. Du Macina. Et de mille autres empires et royaumes. Connus ou non. En vertu de quoi, le Manding doit prévaloir sur ces autres héritages?
Simplement, un nouvel air de complexe s’est emparé de nous. Surtout de nos dirigeants qui sont encore dans la démonstration. Et, elle est permanente, cette démonstration.
Seulement, le Manding n’a besoin d’aucune démonstration. Il a vécu. Et bien vécu. Sa puissance n’a jamais relevé de la fiction. C’est un fait historique établi. Nul n’y peut rien. Et, ça fait plaisir d’évoquer ce passé. Glorieux passé dont tous les mandingues sont fiers. Tous les mandingues. Qu’ils soient Kakolos, Sarakolés, Malinkés, Dogons, Bobos, Bozos, Peulhs, Khassonkés, Ouolofs, Sérères, Dafing, Mossis…etc. Qu’ils soient du Mali ou d’ailleurs (Guinée, Sénégal, Mauritanie, Côte d’Ivoire, Sierra Léone, Burkina Faso, Gambie…etc.).
L’évocation de ce passé glorieux a également valeur pédagogique. En ces temps où l’Afrique elle-même semble être tombée en désuétude.
Il y a mieux, l’évocation de ce passé glorieux fait vendre.
Mais le Mali a aussi besoin de se construire. Du moins, pour qui sait que le Mali demeure encore une fiction. Une fiction qui a germé dans la tête de quelques individualités. Notamment, celles qu’on appelle aujourd’hui les pères de l’indépendance. Et dont le rêve s’est arrêté en si bon chemin. Ils ont à peine ébauché le Mali. Le coup d’Etat est intervenu. La dictature s’est installée. La lutte contre la dictature s’est engagée. Au terme, de vingt trois ans de lutte acharnée, un régime est terrassé. Vingt ans après, la racine est toujours là. Parfois, là où on ne l’imagine même pas. Où peut-être ce lieu ? Allez savoir !
Seulement, il nous faut construire le Mali. Le Mali de nos rêves. Et ce Mali, on ne le construit pas avec le seul passé. Aussi glorieux soit ce passé. Même glorieux, le passé c’est le passé. Il reste le passé. C’est-à-dire quelque chose de révolue. Qui relève d’une époque révolue.
Autrement dit, quelque chose dont on doit s’inspirer. Quelque chose dont il faut s’inspirer. Sans jamais perdre de vue que notre passé est le présent de nos ascendants. Celui de nos ascendants du Ouagadu. Celui de nos ascendants du Manding. Celui de tous nos autres ascendants dont nous sommes tout autant fiers. Nos ascendants se sont acquittés d’un devoir. Celui de nous avoir transmis un héritage.
Et nous ? Quel héritage laisserons-nous à nos descendants ? On a beau chercher, ce passé à transmettre n’existe pas. Pour la bonne et simple raison que ce passé que nous aurons à transmettre c’est notre présent.
Or, nous n’avons point de présent. Comment pouvons-nous d’ailleurs avoir un présent ? Nous n’avons même pas de pays.
Parce qu’un pays est loin d’être un territoire. Un drapeau. Un hymne. Un emblème. Une constitution. Des institutions. Encore moins des individualités. Ou des ressources. Encore que nous n’avons même plus d’institutions. A commencer par le Président de la République. Une institution qui perd chaque jour davantage sa substance.
Il en va de même pour nos ressources. Nos cours d’eau sont mal malmenés. Nos forêts se convertissent en désert. Nos terres ? Le pétrole se fait désirer. L’or se volatilise. Déjà, on parle d’épuisement des réserves d’or. Nous sommes en passe d’avoir seulement droit à nos réserves de sable. Et même ce sable, certains s’évertuent à nous l’arracher. Depuis un certain temps déjà. Et au grand dam d’autant d’individualités.
C’est dire à quel point un pays demeure un peuple. Or, là également, nous ne sommes pas encore « partis ». Parce que le peuple demeure livré à lui-même. Dans la misère la plus crasse. Avec son corollaire de mal-être, de mal-vivre et d’inculture. Où allons-nous?
Malheureusement, tous s’interrogent sauf le Président ATT et ses tire-flingue. Comment vont-ils d’ailleurs s’interroger ? Eux, ce qui les intéresse c’est d’épater. Et, ça, ils ont épaté. La galerie, s’entend.
Ainsi, le cinquantenaire aura servi à tout sauf à l’essentiel. A savoir la construction des fondements d’un véritable Mali. Un Mali digne de notre vaillant et vieux peuple. C’est comme ça que nous allons construire ce pays ?
Hawa Diallo
Charte du Kurukanfuga
I. DE L’ORGANISATION SOCIALE
Article 1 : La société du grand Mandé est divisée en seize (16) porteurs de carquois, cinq (5) classes de marabouts, quatre (4) classes de Nyamakalas (hommes de caste), une (1) classe de serfs (esclaves) (Mofé molu). Chacun de ces groupes a une activité et un rôle spécifiques.
Article 2 : Les Nyamakalas se doivent de dire la vérité aux chefs, d’être leurs conseillers et de défendre par le verbe les règles établies et l’ordre sur l’ensemble du royaume.
Article 3 : Les Morikandas lolu (les cinq classes de marabouts) sont nos maîtres et nos éducateurs en islam. Tout le monde leur doit respect et considération.
Article 4 : La société est divisée en classes d’âge. A la tête de chacune d’elles est élu un chef. Font partie de la classe d’âge, les personnes (hommes ou femmes) nées au cours d’une période de trois années consécutives. Les Kangbès (classe internationale entre les jeunes et les vieux) doivent être conviés à participer à la prise des grandes décisions concernant la société.
Article 5 : Chacun a le droit à la vie et à la préservation de son intégrité physique. En conséquence, toute tentation d’enlever la vie à son prochain est punie de la peine de mort.
Article 6 : Pour gagner la bataille de la prospérité, il est institué le Kön gbèn Wölö (un mode de surveillance) pour lutter contre la paresse et l’oisiveté.
Article 7 : Il est institué entre les Mandenkas, le Sanankuya (cousinage à plaisanterie) et le tanamanyoya (forme de totémisme). En conséquence, aucun différend né entre ces groupes ne doit dégénérer, le respect de l’autre étant la règle. Entre beaux-frères et belles-sœurs, entre grands parents et petits, la tolérance et le chahut doivent être le principe.
Article 8 : La Famille Keïta est désignée famille régnante sur l’empire.
Article 9 : L’éducation des enfants incombe à l’ensemble de la société. La puissance paternelle appartient en conséquence à tous.
Article 10 : Adressons-nous mutuellement les condoléances.
Article 11 : Quand votre femme ou votre enfant fuit, ne le poursuivez par chez le voisin.
Article 12 : La succession étant patrilinéaire, ne donnez jamais le pouvoir à un fils tant qu’un seul de ses pères vit. Ne donnez jamais le pouvoir à un mineur parce qu’il possède des liens.
Article 13 : N’offensez jamais les Nyaras.
Article 14 : N’offensez jamais les femmes, nos mères.
Article 15 : Ne portez jamais la main sur une femme mariée avant d’avoir fait intervenir sans succès son mari.
Article 16 : Les femmes, en plus de leurs occupations quotidiennes, doivent être associées à tous nos gouvernements.
Article 17 : Les mensonges qui ont vécu 40 ans doivent être considérés comme des vérités.
Article 18 : Respectons le droit d’aînesse.
Article 19 : Tout homme a deux beaux-parents : les parents de la fille que l’on n’a pas eue et la parole qu’on a prononcée sans contrainte aucune. On leur doit respect et considération.
Article 20 : Ne maltraitez pas les esclaves, accordez leur un jour de repos par semaine et faites en sorte qu’ils cessent le travail à des heures raisonnables. On est maître de l’esclave et non du sac qu’il porte.
Article 21 : Ne poursuivez pas de vos assiduités les épouses du chef, du voisin, du marabout, du féticheur, de l’ami et de l’associé.
Article 22 : La vanité est le signe de la faiblesse et l’humilité le signe de la grandeur.
Article 23 : Ne vous trahissez jamais entre vous. Respectez la parole d’honneur.
Article 24 : Ne faites jamais du tort aux étrangers.
Article 25 : Le chargé de mission ne risque rien au Mandé.
Article 26 : Le taureau confié ne doit pas diriger le parc.
Article 27 : La jeune fille peut être donnée en mariage dès qu’elle est pubère sans détermination d’âge. Le choix de ses parents doit être suivi quelque soit le nombre des candidats.
Article 28 : Le jeune homme peut se marier à partir de 20 ans.
Article 29 : La dot est fixée à 3 bovins : un pour la fille, deux pour son père et sa mère.
Article 30 : Venons en aide à ceux qui en ont besoin.
II. DES BIENS
Article 31 : Il y a cinq façons d’acquérir la propriété : l’achat, la donation, l’échange, le travail et la succession. Toute autre forme sans témoignage probant est équivoque.
Article 32 : Tout objet trouvé sans propriétaire connu ne devient propriété commune qu’au bout de 4 ans.
Article 33 : La quatrième mise bas d’une génisse confiée est la propriété du gardien.
Article 34 : Un bovin doit être échangé contre quatre moutons ou quatre chèvres.
Article 35 : Un œuf sur quatre est la propriété du gardien de la poule pondeuse.
Article 36 : Assouvir sa faim n’est pas de vol si on n’emporte rien dans son sac ou sa poche.
III. DE LA PRÉSERVATION DE LA NATURE
Article 37 : Fakombé est désigné chef des chasseurs. Il est chargé de préserver la brousse et ses habitants pour le bonheur de tous.
Article 38 : Avant de mettre le feu à la brousse ne regardez pas à terre, levez la tête en direction de la cime des arbres.
Article 39 : Les animaux domestiques doivent être attachés au moment des cultures, libérés après les récoltes. Le chien, le chat, le canard et la volaille ne sont pas soumis à cette mesure.
IV. DISPOSITIONS FINALES
Article 40 : Respectez la parenté, le mariage et le voisinage.
Article 41 : Tuez votre ennemi, ne l’humiliez pas.
Article 42 : Dans les grandes assemblées, contentez vous de vos légitimes représentants et tolérez–vous les uns les autres.
Article 43 : Balla Fassèkè Kouyaté est désigné grand chef des cérémonies et médiateur principal du Mandé. Il est autorisé à plaisanter avec toutes les tribus, en priorité avec la famille royale.
Article 44 : Tous ceux qui enfreindront à ces règles seront punis. Chacun est chargé de l’application stricte de ces articles.