Ils sont venus. Ils sont tous là. UE, UA, ONU. Pour rappeler à Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) que les accords de Ouagadougou du mardi 18 juin 2013 engagent tous ses signataires. Et que ce sont ces mêmes accords qui font qu’il est, aujourd’hui, président de la République (cf. LDD Mali 0121/Lundi 3 février 2014). Djibrill Y. Bassolé, ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso, a même fait le déplacement à Koulouba, le mardi 21 janvier 2014, pour transmettre à IBK un message de Blaise Compaoré, médiateur de la Cédéao.
Message de « fraternité et de solidarité » scellant « des relations séculaires » entre le Mali et le Burkina Faso. Bassolé a rappelé à son interlocuteur que « l’accord cadre du 6 avril 2012 et l’accord préliminaire du 18 juin ont favorisé le retour à l’ordre constitutionnel par la mise en place d’une transition et la tenue de l’élection présidentielle. Ces accords ont aussi consacré les éléments essentiels pour la préservation de la souveraineté du Mali à savoir la reconnaissance par toutes les parties de l’unicité du territoire, de la laïcité, des droits humains et des libertés fondamentales ». Il a ajouté qu’il « appartient désormais aux Maliens de définir les modalités pour la poursuite et la finalisation du processus de dialogue politique pour aboutir à la restauration d’une paix stable et durable au Mali ». Enfin, il a suggéré qu’il serait « utile de profiter de la grande mobilisation actuelle de la communauté internationale pour la mise en œuvre efficiente de l’accord de Ouagadougou, en particulier ses dispositions relatives au cantonnement des combattants des mouvements armés du Nord Mali, afin de créer la confiance indispensable à un dialogue inclusif et fructueux ».
On ne peut pas être plus clair. Et pourtant, pour l’être plus encore un commando d’une quinzaine de personnalité a débarqué à Bamako (mais aussi à Mopti) au cours du dernier week-end (1/2 février 2014). Tous représentants du Conseil de sécurité. Dirigés par le diplomate français Gérard Araud. Un diplomate, mais pas n’importe lequel. Araud a été ambassadeur en Israël, directeur général des affaires politiques et de sécurité au Quai d’Orsay ; il est actuellement ambassadeur, représentant permanent de la France au Conseil de sécurité et chef de la mission permanente française auprès des Nations unies à New York. Cerise sur le gâteau : le 5 janvier 2012 il a été élevé à la dignité d’ambassadeur de France ! Araud est diplomate. Avant son entretien avec IBK, il n’a pas manqué d’affirmer que le « rétablissement de l’ordre constitutionnel » au Mali « nous le devons au peuple malien ».
O.K., on ne va pas chicaner pour quelques morts français, tchadiens et « minusmaniens ». Ce qui lui a permis d’enfoncer le clou : « Les membres du Conseil de sécurité souhaitent appuyer la mise en place, dès que possible, d’un dialogue national inclusif pour une solution durable au Nord du Mali. Une solution qui ne peut être que malienne, décidée par les Maliens et pour le Mali ». A l’issue de sa visite, Araud a été tout autant diplomate : « Le président a affirmé sa volonté de réunifier, de réconcilier les Maliens, ce qui ne m’a pas surpris ; mais aussi, du côté des groupes armés, tous ont naturellement dit qu’ils se plaçaient dans le cadre de la souveraineté et de l’unité du Mali ». Et s’il réaffirme que « le Mali ne peut pas exister avec les groupes armés », c’est pour rappeler que, justement, les accords de Ouagadougou posent clairement la nécessité du cantonnement et du désarmement.
« Nous partons de Bamako impressionnés par la dignité du peuple malien, par la vitalité des institutions. Le Mali a des institutions légitimes et c’est à ces institutions de diriger le processus de réconciliation et nous sommes rassurés par ce que nous voyons de part et d’autre – autorités et groupes armés – pour parvenir à une vraie réconciliation », a ajouté Araud. C’est mettre les maliens face à leurs responsabilités. Avec diplomatie. La même diplomatie utilisée pour dire que « l’aboutissement de la négociation » doit se faire à Bamako même si des discussions préliminaires peuvent être menées dans « les capitales voisines ».
Le « dialogue » plutôt que la « confrontation », c’est la feuille de route qui, selon l’ONU, est celle de IBK ; même si c’est jouer sur les mots et ne pas leur donner le même sens que le chef de l’Etat malien. Tout cela dans un contexte régional délicat ; et dans un contexte politique intérieur qui ne l’est pas moins. Au cours des mois passés, IBK a beaucoup voyagé. Son hyperprésidence, confortée par une Assemblée nationale à sa dévotion* présidée par Issaka Sidibé, « père de la belle-fille présidentielle »**, donne peu de visibilité à son premier ministre, Oumar Tatam Ly***.
Ly est pourtant l’instigateur du « contrat de législature » (cf. note *), qui se veut un acte politique fondateur fixant la configuration de la majorité présidentielle mais fait craindre, à certains commentateurs, le retour à la « politique du consensus » chère à Amadou Toumani Touré (ATT). C’est encore Ly qui s’est déplacé à Bruxelles, ces derniers jours, pour s’entretenir avec José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, et Kristalina Georgieva, Commissaire chargée de l’aide humanitaire d’urgence, ainsi qu’avec les responsables de la Mission EUTM-Mali qui assure la formation de l’armée malienne. Mais les entretiens ont surtout concerné, dans le cadre du suivi de la conférence des donateurs de mai 2013, les PTF (partenaires techniques financiers).
Selon Ly, sur les 1.902 milliards de francs CFA octroyés par les donateurs, 1.400 milliards ont déjà fait l’objet d’accords de financement signés et 767 milliards (soit environ 40 % des ressources) ont été engagés et ont fait l’objet de décaissements. Les PTF « ont salué les efforts de l’Etat dans la lutte contre la corruption et la délinquance financière et en matière de décentralisation ». Ly travaille. Dans le cadre du Programme d’actions du gouvernement (PAG 2013-2018) mais aussi dans le long terme fixé par l’Etude nationale prospective (ENP Mali 2025) qui se veut « un élément important du processus de réflexion sur le renouveau de la planification au Mali, fondé sur la définition des grands objectifs de développement du pays, au terme d’une démarche participative et en s’inscrivant dans une perspective à long terme de la société malienne suivant un horizon excédant la durée des mandats électoraux »****.
Reste à savoir, dès lors que la nouvelle Assemblée nationale est en place, quand et comment aura lieu le prochain remaniement ministériel. Que l’on dit imminent. Si Ly ne devrait être voir son poste remis en question, il est probable que plusieurs ministres perdent leur portefeuille, à commencer par Zahabi Ould Sidi Mohamed, ancien fonctionnaire des Nations unies, qui a bien du mal, face à IBK, à assumer sa tâche de ministre des Affaires étrangères.
* Un contrat de législature a été signé par 14 formations politiques de la nouvelle Assemblée nationale (ADP, Adema, APR, ASMA, UDD, CNID, MPR, Miria, CDS, RPM, Yelema, UM-RDA, Codem, FARE) regroupant 112 députés. Il n’y a donc que 35 députés « d’opposition » appartenant essentiellement à l’URD, au Parena et au PDES.
** Ce qui fait hurler une partie de la presse malienne qui, en dressant l’état des lieux des connexions familiales ou amicales, dénonce une « IBKarchie » après une « ATTcratie ».
*** Oumar Tatam Ly vient d’épouser religieusement Riyahata Touré, la fille de Younoussi Touré, président de l’Assemblée nationale intérimaire pendant la transition (le président en titre, Dioncounda Traoré, assurant l’intérim de la présidence de la République ; Touré était le premier vice-président). Considéré comme « un des rares cadres et hommes politiques [maliens] qui ne trainent aucune casserole », cet ancien premier ministre de Alpha Oumar Konaré (1992-1993), a été membre fondateur de l’Adéma-PASJ avant de créer l’Union pour la République et la démocratie (URD) avec Soumaïla Cissé (challenger de Ibrahim Boubacar Keïta lors de la présidentielle 2013) dont il était jusqu’à présent le président.
**** Discours de Oumar Tatam Ly lors de la cérémonie d’ouverture de la journée nationale de la prospective au Mali – 23 janvier 2014.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
Mr. Jean-Pierre BEJOT, IBK va devenir un “Zaban kolo” (fruit succulent de cet arbuste sahelien) qui va se cale dans ton “tuyau”. Si tu pousse trop fort, ton “canal” va se casser.
Va deverser ta bile ailleurs. On t’a assez vu.
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