A la loupe : De grands-messes pour rien

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Ibrahim Boubacar Keita IBK
Ibrahim Boubacar Keita IBK

Le président de la République est sorti de sa réserve que tous lui reprochent depuis quelques mois et a rencontré la classe politique, majorité et opposition, lors de grands-messes officielles et solennelles, en présence du Premier ministre sortant. L’occasion était bonne et belle pour des explications franches sur sa gestion cahoteuse des finances, sur fonds de malversations et de gabegie, sur sa gestion de la crise du nord et de l’épidémie Ebola. Mais l’exercice d’exorcisme tant attendu a vite tourné à l’habituel et traditionnel sermon dominical et paternaliste.

 

Aux représentants de la convention des partis politiques de la mouvance présidentielle, Ibrahim Boubacar Kéita affirme ne pas les reconnaitre. Autrement dit, le président ne se reconnait pas en sa propre famille politique, dont les membres, fils naturels ou légitimes, sont empêtrés dans une course ouverte aux strapontins. Cette compétition pour des intérêts personnels et particuliers aurait détourné la plupart de ces mauvais parents de la seule qui vaille : le projet de société du chef de l’Etat, autour duquel une mobilisation est impérative en ces temps de turbulences. IBK a « besoin d’une majorité de confiance », une équipe qui fait preuve d’un soutien constant et non d’individus hétéroclites qui se contentent de répliques aux attaques de l’adversaire.

 

 

Les bœufs après la charrue

L’opposition également était conviée à une grand-messe. Elle est venue avec l’espoir de participer à un véritable dialogue politique dans le cadre d’échange pour le renforcement du processus démocratique, espace promis par le chef de l’Etat le 4 juin dernier. Pour cette occasion du 20 novembre, le président du Parena Tiébilé Dramé, toujours perspicace et lucide surtout quand il s’agit de questions touchant à la nation, est venu avec les vraies questions, prouvant qu’il est le chef de file incontestable de l’opposition, aux côtés d’un revenant de loin, Ahmadou Abdoulaye Diallo, le tout nouveau président du parti d’ATT, le Pdes, et de Soumaïla Cissé, le patron de l’Urd.

 

Principal interrogateur, le président du Parena est parvenu à faire sortir le chef de l’Etat de ses gonds quand il lui a demandé de cracher le morceau sur l’acquisition d’un second présidentiel et sa stratégie de lutte contre l’épidémie de la fièvre hémorragique à virus Ebola. IBK qui, visiblement, n’avait pas les réponses adéquates a rabroué son interrogateur et lui a dit qu’il n’a pas de comptes à rendre. Mais quel est donc ce président qui affirme sans sourciller qu’il n’a pas d’adresse à faire à sa nation alors qu’il passe tout son temps à voyager de pays en pays, avec même le risque de choper un virus, pour s’expliquer sur des questions que personne ne lui a posées? Pourtant, en ces moments de panique, IBK devrait expliquer aux Maliens pourquoi le Mali est le quatrième pays qui compte le plus de victimes d’Ebola.

Toutefois, le président a raison sur un point : fermer la frontière, comme le demande Soumaïla Cissé, relève de la pure bêtise humaine car ce serait amener les habitants à emprunter les nombreux points de passage sans aucun contrôle sanitaire ou sécuritaire et accroitre les risques de contamination à cause de la grande porosité des frontières et des liens séculiers qui existent entre les populations à cheval sur cette frontière.

 

Si cet exercice était attendu et par la majorité et par l’opposition, il aurait dû intervenir longtemps avant ce jeudi. Notamment bien avant la reprise des négociations en cours à Alger entre le gouvernement malien et les groupes armés terroristes, dont essentiellement le Mnla, le Hcua et le MAA. Des consultations auraient permis à l’ensemble de la classe politique de s’exprimer sur ce Pré-accord qui fait désaccord à plusieurs niveaux. Y compris dans l’enceinte de l’Assemblée nationale largement dominée et contrôlée par les partis de la mouvance présidentielle, où la quasi-totalité des députés ont désapprouvé le pré-accord et le document de synthèse qui en est issu, pondu par la médiation internationale. Outre le RPM et ses affidés de la majorité, le parti Cnas de Soumana Sako, indéfinissable mais qui se prononce toujours fort opportunément, et d’autres partis et acteurs majeurs de la scène politique ont haussé le ton pour fustiger le document de synthèse des éléments pour un accord de paix global et définitif.

 

Le pré-accord du désaccord

Mais même si Abdoulaye Diop, ministre des affaires étrangères en négociation avec un autre Etat, persiste à dire que le document de synthèse de la médiation constituait une bonne base pour aller à un accord dans la mesure où il prend en compte le respect de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Etat du Mali ainsi que de sa forme républicaine et laïque, nombreux sont ceux qui pensent qu’il est un cheminement vers un fédéralisme voilé, donc une partition en devoir. De fait, à part le gouvernement et la médiation, personne n’était d’accord avec le pré-accord, et tous ont émis des réserves, amendements, critiques qui n’augurent rien de bon. Beaucoup de ces amendements n’auraient pas été pris en compte, selon certains, par le gouvernement qui s’en est tenu à la première mouture imposée par la médiation.

 

Le chef de l’Etat, qui a laissé mettre les bœufs derrière la charrue, aurait pu infirmer ou confirmer cette information au cours de cette double sortie largement médiatisée. Mais il a préféré s’enraciner dans les généralités alors qu’il s’agissait pour lui de répondre à des questions précises que les représentants de l’opposition n’ont pas manqué de poser et qu’il a pris grand soin d’éluder. Il a préféré s’installer dans des banalités alors que l’avenir du pays est en jeu sur plusieurs fronts. Bref ! la messe a été dite mais le sermon est-il passé ? Certainement pas. La majorité n’est pas prête de sortir de la logique dans laquelle elle excelle le plus, l’ostracisme, et ce ne sont pas les incantations et injonctions d’un prêtre déboussolé qui pousseront Boulkassoum Haïdara et ses camarades, fiers de leur nouveau joujou, la CMP, à renoncer aux basses manœuvres érigées en forces antigouvernementales. Conséquence, cette mouvance n’aide pas son président, au contraire elle contribue à plus de 80% à l’impopularité d’un IBK plébiscité avec plus de 80% des voix. L’opposition est restée sur sa faim et n’est pas prête à avoir en face d’elle un pouvoir de dialogue qui n’aura autre chose que des objurgations. Quid du peuple ? Il n’est pas prêt de connaitre le fin mot de toutes ces histoires qui ont fait fuir les PTF, et n’aura même plus ses yeux pour pleurer. Quant aux médias, ils n’ont qu’à continuer à souffrir de faim ou à se laisser acheter par les plus offrants, en l’occurrence ceux qui ont accès aux deniers publics.

 

Cheick TANDINA

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