A la loupe : Cour africaine de justice : un sanctuaire

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En début de semaine dernière, Nicolas Sarkozy, ancien président de la France à qui on prête l’ambition de se représenter à la prochaine présidentielle de son pays, en 2017, a été interpellé par le pôle financier de la police judiciaire, gardé à vue pendant près de quinze heures de temps avant d’être mis en examen. Son avocat et deux magistrats, impliqués dans le même dossier, eux seront mis sous contrôle judiciaire.

 

Le Président IBK au XXIIIème Sommet des Chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union Africaine à Malabo, Guinée Equatoriale (26 juin 2014)
Le Président IBK au XXIIIème Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union Africaine à Malabo, Guinée Equatoriale (26 juin 2014)

Peu de temps auparavant, à des milliers de kilomètres de l’Hexagone, les chefs d’Etat et de gouvernement du Continent, réunis en sommet de l’Union africaine à Malabo (Guinée équatoriale), décidaient de la création d’une Cour africaine de justice (Cour des droits de l’homme et des peuples). Cette juridiction supranationale, à l’échelle d’un seul continent, interdit la poursuite contre des chefs d’Etat africains en activité même si ceux-ci sont soupçonnés ou confondus de crimes contre l’humanité, crimes de guerre, génocides, etc. La police d’assurance tout risque vient d’être signée par le syndicat des chefs d’Etat africains, une assurance d’impunité.

 

Les deux faits ne sont pas forcément liés en eux-mêmes mais permettent néanmoins de comprendre la perception de la justice d’un continent à l’autre.

 

Cette décision des pays du continent est une réponse à la Cour pénale internationale (CPI) pour la création de laquelle leurs dirigeants ont signé le traité fondateur de Rome. Jaloux de leur impunité et de leur liberté destructrice, ébranlés par la CPI qu’ils accusent de ne poursuivre que des dirigeants africains, après avoir longtemps grogné et pleurniché, ils se sont retrouvés enfin pour se donner les moyens de contourner la justice internationale en inventant, à leur seul usage, une juridiction exceptionnelle qui les met à l’abri de poursuites judiciaires.

 

Les motifs de la mise en examen, de l’inculpation et de la condamnation des dirigeants africains ne manquent pas. Le premier reflexe du citoyen bana bana sera de penser à ceux qui ont pris le pouvoir par les armes, surtout en déposant des présidents démocratiquement élus. Ceux-ci se rendent effectivement coupables d’abord de coup d’Etat, d’interruption du processus démocratique, de la confiscation des libertés individuelles et publiques, des pires exactions sur des citoyens vaincus et sans défense comme au Mali avec le capitaine Sanogo; ensuite de répression sauvage de manifestations populaire comme en Guinée du temps de Dadis. Mais outre ces putschistes, il y a bien encore quelques dictateurs même si leur race est en voie d’extinction, leurs anciens mentors occidentaux ayant trouvé les moyens de les reconvertir en démocrates de façade. Ainsi, au Congo, au Cameroun, au Tchad, au Burkina Faso, etc. persistent des autocrates qui vivent aux côtés des fils de…qui ne doivent leur fauteuil de président qu’à leur ascendance (au Togo, en RDC, au Gabon, etc.). Autour d’eux, il y a tous les autres, ceux qui sont venus par les urnes, ceux qui ont accédé au trône par les armes. Mais beaucoup de ces chefs d’Etat ont un point en commun : leur désir de s’éterniser au pouvoir, quelle que soit la manière dont ils l’ont conquis, se succédant sans cesse à eux-mêmes jusqu’au moment où ils trouveront le dauphin idéal à qui passer le relai sans crainte d’être poursuivis. Pour s’enraciner au pouvoir, leur sport favori est devenu le tripatouillage de la constitution de leur pays en vue de faire sauter un verrou limitatif du mandat présidentiel. Une garantie contre la longévité mise en place, quelques décennies auparavant, au cours de conférences nationales organisées ça et là par des acteurs politiques faisant le dur apprentissage de la démocratie.

 

Il faut dire que beaucoup d’entre eux ont échoué à apprendre cette nouvelle forme de gouvernance parce qu’ils sont les premiers à vouloir violer des principes qu’ils ont eux-mêmes mis en place. Leur comportement n’a rien de démocratique quand ils essayent de modifier la constitution de leur pays ou quand ils organisent des élections dont les résultats sont connus avant le jour du scrutin. En s’adonnant à de tels comportements antidémocratiques, nos dirigeants ambitionnent de perdurer au pouvoir ou de ne céder le trône qu’à leurs proches. Pour le moment, sur la cinquantaine de pays que compte le continent seule une poignée (Ghana, Malawi, Cap-Vert,  Mali, Sénégal, etc.) a accepté démocratiquement de réaliser l’alternance. Dans la plupart des autres pays, des consultations populaires ont été suivies de contestations populaires ou, pire, de violences postélectorales souvent meurtrières. Cas de la Côte d’Ivoire dont l’ancien président, Laurent Gbagbo, est entre les mains de la CPI pour avoir refusé les résultats des urnes et encouragé des actes de violence. Cas du Kenya dont le chef de l’Etat et le vice-président sont poursuivis par la CPI pour les pires crimes.

 

La sous-région africaine où la démocratie est bafouée le plus engendrant souvent des cycles de violences, c’est bien l’Afrique occidentale. A part le Sénégal qui n’a jamais connu de coup d’Etat, le Bénin où le président est renié par ceux-là mêmes qui l’ont aidé à gagner des élections régulièrement organisées, le Nigéria  en proie à la menace islamiste de Boko Haram ou le Mali dont le processus démocratique a été interrompu en 2012 et qui tarde à redémarrer, cette sous-région est un véritable champ de ruines et de désolation. Le record de longévité au pouvoir y est battu par le Burkinabé Blaise Compaoré qui, arrivé au pouvoir par les armes après l’assassinat de son ami s’y est maintenu grâce à des urnes non transparentes. Malgré ses 27 ans au pouvoir, il est en train de susciter la violence populaire en tentant de faire sauter le verrou qui fixe le nombre de mandat présidentiel. Il est suivi de près par son homologue gambien venu au pouvoir en juillet 1994, Yaya Jameh pour qui le mot démocratie est totalement inconnu.

 

Mais si cette région est également celle qui a connu le plus de coups d’Etat, les autres n’ont jamais été à l’abri des instabilités les plus diverses par la faute des dirigeants africains.

Ceux-ci ont donc tout intérêt à se mettre à l’abri de la justice internationale en restant le plus longtemps possible au pouvoir, sûrs qu’ils sont de ne jamais être poursuivis par une justice nationale aux ordres de l’exécutif. Car ici en Afrique, une justice indépendante n’a pas la même signification qu’en Occident, notamment en France où la justice nationale peut poursuivre d’anciens présidents comme Chirac ou Sarkozy.

 

Cheick TANDINA

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