L’Honorable Kalifa Doumbia aux futurs députés: «Bonnes lois égales bon pays, mauvaises lois, mauvais pays»

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Dans l’interview que le 6ème Vice-président  de l’Assemblée nationale nous a accordée, l’Honorable Kalifa Doumbia, député UDD élu sortant de la Commune VI, évoque les raisons de son absence dans la  course aux législatives 2013, la méfiance entre les élus et leurs électeurs et donne des conseils précieux aux futurs députés.

 

 

Les Echos du Parlement: On vous attendait dans la course pour briguer une réélection à votre siège de député en Commune VI, mais on ne vous a pas vu. Que s’est-il passé?

 Honorable Kalifa Doumbia: Vous savez quand Dieu décide de quelque chose, il faut s’en remettre à Lui. J’ai voulu briguer un deuxième mandat, en ayant le sentiment d’avoir bien accompli le premier. Mais il y a eu des problèmes entre moi et mon parti. J’ai choisi de ne  pas créer une polémique stérile et je me suis amendé, donc je ne suis pas parti. Le parti a décidé qu’il n’avait plus besoin de ma candidature, je m’en suis remis à Dieu, c’est tout.

 

 

 

Quelle appréciation faites-vous du premier tour des législatives 2013?

D’abord, tout le monde a constaté que le taux de participation était faible et, cette fois-ci, le premier tour a été très dur, avec une campagne très terne. Il y a certaines donnes qui n’étaient pas là, mais qui ont fini par entrer en ligne de compte. C’est le cas de l’immixtion du phénomène religieux dans la politique, que j’ai toujours condamnée.

 

 

Les religieux doivent constituer en soi une partie intégrante de la société civile. Cela veut dire qu’ils doivent être l’élément de veille de la politique et non devenir un acteur politique. Donc, il n’y aura plus de garde-fou. Nous devons éviter l’immixtion des religieux dans la politique. Une autre remarque, c’est que presque tous les députés qui étaient membres de la 4ème législature ne sont plus dans la course. Nous aurons un Parlement à 90% renouvelé.

 

 

 

Qu’est ce qui explique cela, selon vous?

Je pense qu’il y a toujours le phénomène religieux qui est là. Parce que j’ai entendu des propos selon lesquels tous ceux qui ont voté le Code des personnes ne devaient plus être sur les listes. Cela constitue un amalgame entre le travail parlementaire et le fait social. Je le répète encore: le Code de la famille que nous avons voté pendant notre législature est l’un des meilleurs d’Afrique, parce que, pour une fois, nous avons mis à la disposition du Juge des instruments pour pouvoir juger certains faits, ce qu’il n’avait pas avant, notamment pour les litiges en matière de succession.

Nous avons également fait des avancées par rapport à la légitimité. Nous, nous avons voté ce Code parce que nous savions qu’il était très bon. Et, si c’était à refaire, je voterai de nouveau ce Code, parce qu’il est bon. Je connais des familles où l’héritage est là depuis 40 ans, elles n’arrivent toujours pas à le liquider. En clair, on a fait une mauvaise propagande autour de ce Code.

 

 

 

Cela n’est-il pas du au fait que les députés n’ont pas joué leur rôle?

Le problème du Code a amené une méfiance entre les députés et leur électorat. Parce que les députés ont été menacés et qu’on n’a vu personne les défendre. Tout le monde s’est aligné d’une manière aveugle du côté de gens qui ne connaissaient pas le contenu du Code. Et on a même voulu agresser certains d’entre nous dans leur chair.

 

 

 

Cela n’est-il pas dû à un défaut de sensibilisation, que vous auriez dû faire?

Nous n’avons pas à faire de sensibilisation. La sensibilisation, c’est le Gouvernement qui la  fait, parce qu’avant d’adopter ce  projet de loi, il a entendu toutes les couches sociales et tous les ordres religieux. C’est suite à cela que le Code est venu à l’Assemblée nationale. Le parlementaire, quand il vote la loi, vient dire à ceux qui l’ont élu, voilà ce qui est dans la loi, voilà pourquoi nous avons voté cette loi. Mais on ne nous en a pas donné le temps. Personnellement, je me suis déplacé dans certaines mosquées pour expliquer le Code. Mais quand les  gens sont de mauvaise foi, ils ne comprennent rien.

 

 

 

Dans quelques jours, vous allez quitter l’Assemblée nationale. Quelles leçons tirez-vous  de cette législature?

Cette législature en a été une très grande, de par plusieurs enseignements. D’abord, nous avons eu des cadres de haut niveau à l’Assemblée nationale, qui ont joué leur partition vis-à-vis de la Nation. De grands technocrates ont siégé pendant cette législature.

Il y a 2 anciens Premiers ministres, 9 anciens ministres, de grands professeurs, des magistrats et avocats. Toutes les lois qui ont été votées pendant cette 4ème législature ont été étudiées dans l’intérêt de la Nation. Ensuite, c’est une législature qui a été dure et dont la fin a été marquée par le  coup d’Etat. Ce qui a rendu la tâche très ardue.

 

 

J’ai  été très fier de cette Assemblée, parce que nous  avons joué notre partition, à l’intérieur comme à l’extérieur. Sans cette Assemblée, je pense que la situation aurait été peut-être plus catastrophique. Nous avons accompagné la Transition et accompli bien des choses pour notre pays.

 

 

Il y a également une très grande incompréhension entre les députés et leurs électeurs. Quand un électeur demande à chaque fois que son député se réfère à lui avant de voter une loi, c’est  qu’il ignore comment on travaille à l’Assemblée nationale. Mais il y a des lois très délicates, qu’un député ne votera jamais sans en référer à sa base. C’est le cas, par exemple, de la peine de mort. Personne ne votera cette loi sans se référer à la pratique, au contexte  religieux de notre peuple.

 

 

Je dis encore qu’il faudra que les électeurs soient plus tolérants envers les élus. L’élu fait ce qu’il peut faire. Il fait du social, des démarches auprès des autorités pour résoudre certains problèmes, mais il n’est pas là pour construire des routes, une école, un dispensaire. Non! Le député n’a pas de budget pour faire face à cela. Cela relève du travail de l’exécutif communal. C’est pourquoi, il faut qu’il y ait un rapprochement entre les élus et leurs électeurs.

 

 

Je demande aussi à l’Etat de mettre les députés dans les conditions pour pouvoir faire ce travail. Quand un élu doit quitter Bamako pour aller à Gao, Kidal ou Tombouctou faire une restitution et qu’on lui donne 200 000 FCFA, vous voyez que ce n’est pas facile. Dans d’autres pays, tous les députés ont leur cabinet dans leurs circonscriptions. Cela leur permet de donner des consignes à ces structures pour qu’elles puissent véhiculer leur message.

 

 

Ce que j’ai compris, c’est que le député malien est pauvre. Il doit pourtant faire face  aux nombreuses manifestations de sa circonscription. Le député est un élu de la Nation, tout le monde pense qu’il doit le satisfaire. Si, par hasard, un groupe vient le voir et qu’il ne résout pas son problème, il y a automatiquement une mauvaise publicité qui est déclenchée contre lui.

 

 

 

Que diriez-vous à la nouvelle Assemblée?

Je souhaite très sincèrement que la nouvelle Assemblée nationale, qui sera mise en place bientôt, soit celle qui fera le bonheur de notre peuple. Aux nouveaux élus, je  souhaite une bonne législature. C’est d’ici que part la loi. Bonne loi égale bon pays, mauvaise loi, mauvais pays. C’est ce qu’il faut comprendre. Toutes les sociétés qui ont établi des principes justes et équitables, conformes, exécutables et exécutés, se sont tirées d’affaire.

Interview réalisée par Youssouf Diallo

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