Le trafic aérien à l’aéroport de Bamako doit connaître un boom exceptionnel. Il n’est pas un pays, en Afrique, qui aujourd’hui suscite autant d’intérêt, national, continental et international, que le Mali. Sept semaines après l’investiture de Ibrahim Boubacar Keita, le mercredi 7 septembre 2013, le chef de l’Etat est, après une période « de mou », sur tous les fronts. Et de toutes parts, comme des lièvres effarés par un feu de forêt, voilà que surgissent les spécialistes et autres experts du Mali, des Touareg, de la coopération décentralisée… pour apporter leurs bons conseils au chef de l’Etat malien.
Paris a expédié son ancien ministre de la Coopération, Charles Josselin, à la tête d’une flopée de parlementaires et d’experts en décentralisation, pour participer aux Etats généraux de la décentralisation qui ont ouvert hier (lundi 21 octobre 2013) à Bamako. André Bourgeot, directeur de recherche au CNRS, était du déplacement : il voudrait créer une chaîne universitaire sahélo-saharienne permettant aux Sahélos-Sahariens « de mieux se connaître afin de vivre ensemble dans l’harmonie ».
Rabat n’a pas été en reste. Abdelhamid Chabat, le secrétaire général du Parti Istiqlal, le vieux parti de l’indépendance du Maroc, est venu rappeler que si Mohammed VI avait fait le déplacement à Bamako pour l’investiture « internationale » de IBK c’est qu’il était attentif à ce qui se passait dans ce pays. Le Royaume chérifien n’a pas de frontières communes avec le Mali ; mais le Mali en a avec l’Algérie et la Mauritanie, deux pays qui sont pour Rabat des sujets de préoccupation « sécuritaire ». Ne dit-on pas, dans les médias, que le Nord-Mali pourrait devenir une zone grise comme l’est le Sahara occidental ?
A Bamako, on voit aussi, raconte-t-on, des Chinois partout. Des banquiers, des investisseurs, des formateurs… mais également des militaires. Finalement, se parler vaut sans doute mieux que s’ignorer. L’Afrique a expérimenté cela, voici deux bonnes décennies, avec les « conférences nationales ». Si les résultats n’ont pas toujours été probants, ces séances de défoulement ont sans doute, ça et là, évité le pire : le dialogue des machettes.
Ce matin (mardi 22 octobre 2013), dans L’Observateur Paalga, Hyacinthe Sanou était préoccupé par l’affluence (on parle de 600 participants) aux Etats généraux de la décentralisation : « Quand on voit le nombre pléthorique des participants, on a bien peur que le rendez-vous ne se transforme en foire d’empoigne comme c’est souvent le cas dans nos pays : à travers ce genre de grand-messe, on veut donner le sentiment d’une large concertation mais plus il y a de participants, moins les débats sont profonds ». Ne nous plaignons pas que la mariée soit trop belle après avoir craint qu’elle ne soit violentée par les « islamistes radicaux »… !
IBK surfe donc sur l’intérêt continental et international que suscite son pays. D’autant plus qu’il découvre, peu à peu, l’ampleur du problème auquel il est confronté. Et il n’est pas le seul. Bert Koenders, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour le Mali, et le ministre malien de la Réconciliation nationale, Cheick Oumar Diarrah, ont récemment (le 16 octobre 2013) tiré la sonnette d’alarme devant le Conseil de sécurité de l’ONU : la Mission intégrée de stabilisation de l’ONU au Mali (Minusma) manque d’hommes, de moyens de transport, d’hélicoptères, de fonds pour faire face à la crise humanitaire… Le sommet des chefs d’Etat de la Cédéao, à Dakar, le vendredi 25 octobre 2013, devra se pencher sur ce dossier.
L’organisation régionale est mobilisée au Mali, en Guinée Bissau et pourrait l’être en Guinée Conakry. Mais manque de moyens pour assumer les engagements auxquels elle souscrit. Sans s’en soucier autre mesure : ce que la communauté africaine ne fait pas, la « communauté internationale » sera bien obligée de le faire… ! Il est vrai que le Nigeria n’est pas au mieux de sa forme et que la Côte d’Ivoire n’est même pas encore convalescente. Or ce sont les deux poids lourds économiques de la zone. Autrement dit les préoccupations de la Cédéao sont d’abord économiques ; mais comment faire l’impasse sur la situation politique et sécuritaire qui prévaut dans la région : Boko Haram sème la terreur, chaque semaine, au Nigeria ; AQMI et quelques autres groupuscules « islamistes » et/ou « terroristes » sont encore actifs dans le « corridor sahélo-saharien » ; la situation est loin d’être stabilisée dans nombre de pays de la région…
Au Mali, IBK tente de remettre de l’ordre au sein de l’armée et des forces de sécurité. Il semble être parvenu à faire marcher au pas le capitaine-général Amadou Haya Sanogo. Et a dégagé le redoutable colonel Sidi Alassane Touré, homme lige de Sanogo, de son job de directeur général de la sécurité d’Etat (DGSE), un poste où il avait été nommé en avril 2012, au lendemain du coup d’Etat. Ex-chef de la Direction de la sécurité militaire (DSM) dont il avait été le patron de la cellule anti-terroriste (2004-2008), ancien du 2ème bureau de l’armée, officier de sécurité de l’état-major des armées (2001-2004), l’enfant de Niafounké, du côté de Tombouctou, diplômé du Prytanée militaire de Kati et de l’EMIA de Koulikoro, était l’âme damnée de Sanogo. Et aurait joué, au lendemain de la victoire de IBK à la présidentielle, un jeu politique trouble qui aurait pesé en faveur de son éviction.
Touré est encore un homme jeune (43 ans), IBK a choisi de le remplacer par un cadre qui a, semble-t-il, un peu « plus de bouteille » mais qui fait partie de ses proches. Le colonel-major Moussa Diawara a été l’aide de camp de IBK quand celui-ci présidait l’Assemblée nationale (2002-2009). Il était jusqu’à présent chef d’état-major de la Garde nationale. Issu de la première promotion du Prytanée militaire de Koulikoro et de la 15ème promotion de l’Ecole militaire inter-armes (EMIA), Diawara a débuté sa carrière militaire comme instructeur permanent à l’EMIA (1993-1995) puis comme commandant de compagnie à Mopti (1995-1996) avant de rejoindre l’école de la gendarmerie de Bamako (1996).
Il sera par la suite directeur du centre d’instruction de la Garde nationale (1996-1998), chef de son 3ème bureau (OPS) à l’état-major (1988-2000). Pendant cette période, il effectuera un stage de perfectionnement d’infanterie à Thiès, au Sénégal (1999-2000). Auprès de IBK, à l’Assemblée nationale de 2002-2009, il sera commandant du Groupement de maintien de l’ordre (GMO/GNM), suivra les cours de l’Ecole d’état-major national de Koulikoro, l’EEMNK (2004-2005), et le Cours supérieur interarmées de défense (CSD), l’école de guerre de Yaoundé, avant d’être promu chef d’état-major de l’opération Djiguitugu (« Combler l’espoir ») menée du côté de Tinsalak et Toulousimine, non loin de Kidal, contre les Touareg de Ibrahim Ag Bahanga par les colonels Alaji Ag Gamou (cf. LDD Mali 069/Vendredi 1er mars 2013) et Ould Meydou. En 2011-2012, il sera commandant de l’EEMNK.
Il y a urgence à remettre de l’ordre dans les « institutions » maliennes ; mais la tâche est loin d’être achevée. La situation humanitaire est délicate ; la corruption a atteint des niveaux inaccoutumés (et, pourtant, en la matière, le Mali était déjà bien placé), y compris au niveau des petits fonctionnaires ; les réfugiés ne sont pas encore rentrés alors que les législatives se profilent à l’horizon : 24 novembre 2013 pour le premier tour, 15 décembre 2013 pour le deuxième. Les Etats généraux de la décentralisation viennent de débuter. C’est une première étape qui vise, d’abord, à « remettre les pendules à l’heure » permettant de tester le rapport de forces des uns et des autres avant de passer aux choses sérieuses.
Il conviendra alors de ne plus discuter de ce qui devait être fait et ne l’a pas été (« Le transfert des compétences aux collectivités et l’attribution des ressources financières n’ont pas du tout été effectifs pendant les dix dernières années ») mais de ce qu’il faut faire, comment le faire et avec qui le faire. L’omniprésence de la « communauté internationale » sur le terrain est une garantie : personne n’a l’intention aujourd’hui de laisser le Mali en roue libre. C’est dire que dans ce pays et dans cette région rien, encore, n’est réglé.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
Source: Lefaso.net