Le Président ATT et la crise en Libye :Des raisons d’être inquiet

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Le président de la République du Mali, Amadou Toumani Touré, a mille fois raison- et trop tôt avant beaucoup- d’envisager des solutions globales aux problèmes sécuritaires dans la vaste bande sahélo- saharienne. La situation que vit actuellement la Libye pourrait faire une victime collatérale de taille : le Mali. Seul le réalisme politique partagé avec les Occidentaux pourrait éviter à notre pays un nouveau cycle d’instabilité.

Une fois n’est pas coutume, le service de communication de la présidence de la République a jugé utile d’informer sur l’une des nombreuses audiences présidentielles, en particulier celle accordée le 14 avril 2011 par le Président ATT aux diplomates de l’Union européenne. Chapeau donc à notre confrère Issa Doumbia qu’on aimerait lire plus souvent pour en savoir davantage sur ce qui se passe derrière les lambris dorés du Palais de Koulouba.

Au cœur des sujets de préoccupation au cours de cette audience, la situation en Libye. Quand on sait qu’il y a deux semaines le panel de cinq chefs d’Etat de l’Union Africaine, parmi lesquels ATT, effectuait sans grand succès une mission de médiation entre le pouvoir central à Tripoli et les rebelles de Benghazi, on comprend tout l’intérêt du Mali pour la crise libyenne. En effet, le Mali est au cœur de la tourmente et pourrait être, si on n’y prend garde, une victime collatérale de la crise au pays de Mouammar Kaddafi. Entre les questions de principe, le désir de vengeance des Occidentaux contre un ennemi juré qu’ils tiennent aujourd’hui par la gorge, le choix résolu du Mali doit être celui du réalisme politique afin d’éviter de basculer dans un nouveau cycle d’instabilité politique.

Le nord du Mali un no man’s land

En effet, ils sont nombreux nos compatriotes originaires du nord, touaregs et arabes en l’occurrence, qui combattent depuis longtemps au sein de l’armée du colonel Mouammar Kaddafi, sans compter les simples immigrés tous indexés aujourd’hui comme étant des mercenaires. Du temps où, jouant sur la géopolitique internationale, Kaddafi se voulait un des leaders incontournables du monde et, pour cela, il avait accru son pouvoir de nuisance en se dotant d’un arsenal militaire exceptionnel et en formant une légion étrangère constituée essentiellement de Maliens, Nigériens, Tchadiens … C’est cette légion qui a alimenté toutes les guerres de rébellion au nord de notre pays, renforcée ces dernières années par les Salafistes algériens et leurs internationalistes afghans, irakiens, libanais … La nébuleuse Salafiste, baptisée depuis peu Aqmi (Al Qaïda au Maghreb Islamique), a pris pied au Mali dans l’espoir d’y créer un Emirat. Son implantation a été d’autant plus facile que le Mali a évacué toutes les bases militaires dans le nord, ne laissant que des postes de contrôle qui n’ont d’autres choix que de laisser agir islamistes armés et trafiquants de drogue. Autant dire que le nord Mali est aujourd’hui un no man’s land, c’est-à-dire ce territoire qui est aujourd’hui en train d’être totalement investi par Al Qaïda. Venus initialement aider les rebelles libyens, les islamistes d’Al Qaida sont aujourd’hui mal vus en Libye, car leur présence discrédite le mouvement et alimente la propagande du régime en place.

Rebelles libyens inexpérimentés

Ainsi, le 4 avril dernier, selon diverses sources toutes fiables, huit véhicules 4X4 chargés de lance-roquettes, de kalachnikovs et d’explosifs de toutes sortes traversaient tout le désert pour atterrir au Mali. Ces armes viennent des stocks pillés par les rebelles qui, pour l’essentiel, ne savent pas s’en servir et les revendent donc à Aqmi qui dispose d’importantes recettes financières en devises étrangères, fruit des différentes prises d’otages. Il n’y a qu’au Mali que Aqmi dispose de bases militaires, contrairement au Tchad, au Niger, en Algérie où le mouvement est suffisamment pourchassé et traqué.
Plus la guerre dure, plus le trafic d’armes peut s’intensifier, car les rebelles libyens, malgré toute l’importance qui leur est accordée par les Occidentaux, n’ont aucune expérience de guerre et ne pèsent pas lourd face aux vétérans d’Afghanistan ou d’Irak devant lesquels ils peuvent facilement se dessaisir de leurs armes.

Gagner en temps et en efficacité en négociant avec le roi et non avec son envoyé

L’Union Africaine a d’ailleurs raison d’intervenir pour proposer une solution négociée, car, que la bande sahélo- saharienne s’enflamme après la Libye est bien le cadet des soucis des Européens qui veulent juste se défaire de Kadhafi. En outre, personne n’imagine l’ONU cherchant à régler un problème similaire dans un des pays membres de l’Union européenne contre l’avis des puissances européennes. La division du monde en zones géographiques autour desquelles zones ou régions les institutions des Nations- Unies sont gérées correspond à une réalité géopolitique qui ne doit pas être occultée. La prééminence des organisations régionales dans la gestion des conflits doit parfaitement jouer dans le cas de la Libye. Quant au Mali, il ne s’agit point de croire que c’est le temps de la vengeance qui est arrivé pour nous, mais de faire en sorte que Salafites en débandade, islamistes indésirables en quête de terre d’accueil et de bases de repli et autres apatrides sans repères, ne trouvent refuge sur notre territoire. Et c’est cela qu’il faut faire accepter par les Européens. Il faut espérer que ATT se fasse un point d’honneur à faire partager cette vision par eux qui sont plus aveuglés par le désir de vengeance et se montrent incapables de comprendre les conséquences de la guerre sur les pays sahélo sahariens, en particulier le Mali qui en est le maillon faible. En en appelant à une solution négociée, ce n’est point le va-t- en guerre Kaddafi que l’on défend, mais plutôt la paix à plus long terme recherchée dans notre pays. Pour y arriver, le panel des cinq chefs d’Etat doit plutôt élargir son cercle d’interlocuteurs en y incluant l’Union européenne, la Chine la Russie et, pourquoi pas, l’Inde. Les rebelles libyens ne sont rien d’autres qu’une création des Européens et un adage de chez nous dit qu’ « il vaut mieux discuter avec le Roi lui-même que de perdre son temps avec son envoyé » (car c’est au Roi que reviendra après tout le dernier mot). C’est ainsi, et seulement ainsi, que l’on pourra infléchir la position européenne et, partant, celle des rebelles libyens. Autrement, après la Libye, Al Qaïda pourrait être tenté de consolider ce qu’il considère comme ses acquis au Sahel en créant des bases difficiles à détruire par la suite.
Assif Tabalaba

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