Pour l’ancien ministre Makan Moussa Sissoko, un constitutionnaliste de renom et président de l’Association malienne de Droit constitutionnel, le choix de l’exercice solitaire du pouvoir a été rejeté par la Conférence Nationale, par la nation malienne dans un sursaut salvateur. Il analyse que la Loi fondamentale actuelle est le fruit d’un parcours fait de ruptures et de continuités. Ce qui n’exclut pas qu’elle soit revisitée. Au contraire.
La Constitution peut être schématiquement définie comme l’ensemble des normes qui déterminent le statut de l’Etat. Elle regroupe l’ensemble des règles qui, au sein de l’Etat, fixent : les modalités d’acquisition, de conservation, d’exercice et de transmission du pouvoir, le régime des droits et libertés des personnes.
L’histoire constitutionnelle d’un pays permet de comprendre comment s’est établi et développé un régime des droits et libertés et un système d’acquisition d’exercice et de transmission du pouvoir sur un espace territorial donné. Le Mali a cinquante (50) ans, son histoire constitutionnelle bien que brève, a connu trois (03) Républiques et cinq Constitutions.
La IIIème République, née à la suite de la révolution de mars 1991, est fondamentalement une réaction contre la dictature militaro-civile qui a frappé le pays de 1969 à 1991. Mais, on ne peut comprendre le régime du Général Moussa Traoré si l’on ignore celui qui l’a précédé, c’est-à-dire celui de Modibo Kéita et du parti unique de l’US – RDA. Il n’y a pas de hasard, tout se tient et les liens sont visibles entre les évènements constitutionnels. Pour comprendre le phénomène historique malien, il faut le prendre dans son ensemble.
L’histoire constitutionnelle du Mali moderne est une ” longue suite de ruptures et de continuité ” selon l’expression du Prof Eloi DIARRA. La période du Mali moderne commence avec la proclamation de l’Indépendance le 22 septembre 1960…
La République du Mali a déjà connu quatre ruptures depuis 1960 : deux brutales et deux douces.
La Première République née de l’éclatement de la Fédération du Mali a été interrompue par le coup d’Etat du 19 novembre 1968. De 1968 à 1974 s’instaure un régime d’exception, dominé par le Comité Militaire de Libération Nationale (CMLN).
Le retour “à une vie constitutionnelle normale ” commence le 30 mars 1979 par le Congrès Constitutif du nouveau parti unique l’UDPM qui a donné naissance à la deuxième République avec la mise en application de la Constitution du 2 juin 1974.
Cette IIème République connaîtra de nombreux soubressauts. Devant les résistances du pouvoir à l’ouverture démocratique, les oppositions se radicalisent et aboutissent à la rupture brutale, aux évènements de mars 1991, à la déposition du Général Moussa Traoré.
Cette troisième rupture consommée dans ce nouveau coup d’Etat militaire sera unanimement salué, car les auteurs du coup d’Etat qui avaient pris l’engagement de rendre le pouvoir aux civils, rapidement dans les plus brefs délais, ont tenu à respecter leurs engagements…
Le Constituant malien, contrairement à l’imagerie populaire, a toujours fait preuve d’audace, d’imagination. Il a, au cours de notre évolution constitutionnelle proposé des solutions originales de partage du pouvoir adaptée à notre environnement. Point besoin de s’attarder dans ces lignes sur les deux premières Républiques
CONSTITUTION DE LA I ère REPUBLIQUE
La constitution de la République soudanaise du 23 janvier 1959 (54 articles) avait constitué un régime parlementaire classique à l’image de la constitution de la Fédération du Mali du 17 janvier 1959 qui regroupait la République du Soudan et la République du Sénégal.
Après l’éclatement, le Constituant malien tirant les leçons de l’échec de la Fédération, a supprimé la dyarchie de l’Exécutif avec la Constitution du 22 septembre 1960 qui proclame clairement :
CONSTITUTION DE LA IIème REPUBLIQUE
Après la parenthèse 1968-1974, les militaires détenteurs du pouvoir politique ont, avec l’appui d’experts nationaux, élaboré la Constitution de la IIème République en tirant les leçons du passé et en s’inspirant du modèle politique de la Première République.
Le Constituant, prenant l’exemple sur la pratique de la Première République, a légalisé la dictature du Parti unique.
Il a décidé de constitutionnaliser le parti unique en organisant dans la Constitution elle-même les relations du Parti et des Institutions.
LA CONSTITUTION DE LA IIIème REPUBLIQUE
Il est apparu très vite évident aux auteurs du coup d’Etat qu’ils ne sont pas les véritables auteurs du renversement du régime. La nouvelle Constitution prendra en compte le passé tumultueux de la République pour appeler à une Refondation; le projet de Constitution fut adopté par la Conférence Nationale.
Le préambule rend hommage aux martyrs tombés sur le champ d’honneur pour l’avènement de la démocratie pluraliste et d’un Etat de droit, et proclame la fidélité de la IIIème République aux idéaux de Mars 1991. L’innovation fondamentale introduite par le Constituant de 1992 est le Titre Premier de la Constitution.
Ce Titre (24 articles) est consacré aux droits et devoirs de la personne humaine: liberté, égalité, sécurité, intégrité physique…pour rompre définitivement avec la dictature, l’autoritarisme et la négation des droits fondamentaux de l’Etre humain incarnés par les républiques précédentes.
Les libertés économiques sont proclamées avec l’option de la libéralisation de l’économie et le désengagement de l’Etat du secteur productif pour se concentrer sur ses missions régaliennes.
Le Titre II (Etat et souveraineté) introduit le multipartisme intégral en réaction au passé. Dorénavant au Mali, on est libre de créer et d’adhérer au Parti de son choix sans aucun risque.
Le Titre III concerne le Président de la République. Celui-ci est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois (article 30).
Le Président de la République, ayant été accusé d’affairisme sous la IIème République, l’article 35 dispose “Durant son mandat, le PR ne peut, ni par autrui, rien acheter ou prendre en bail un bien qui appartienne au domaine de l’Etat… Il ne peut prendre part par lui-même ni par autrui aux marchés publics et privés “. Il a l’obligation de faire une Déclaration de biens avant d’entrer en fonction. Le Président de la République élu doit prêter serment devant la Cour Suprême (art 37), il nomme le Premier Ministre et sur proposition du celui-ci les ministres (art 46). Il peut dissoudre l’AN (art 40) et peut exercer les pleins pouvoirs (article 50). Le PR est la clef de voute des Institutions, l’incarnation de l’unité nationale, le garant des Institutions (Modèle V République) ; le régime politique malien devient un régime semi-présidentiel avec un équilibre réel des pouvoirs entre l’Exécutif et le Législatif. Le gouvernement se compose du Premier Ministre et des ministres, il détermine et conduit la politique de la Nation. Il est responsable devant l’Assemblée Nationale.
Le Titre V dédié à l’Assemblée Nationale reprend le vieux principe de la chambre unique. L’Assemblée Nationale peut voter une motion de censure à l’encontre du gouvernement (art 79) qui est responsable devant elle. Il apparaît très clairement que le Constituant de la IIIème République a opté pour un régime semi-présidentiel qui correspond au régime parlementaire rationalisé n’en déplaise à ceux qui critiquent sans savoir. Notre régime politique est un régime parlementaire rationnalisé. Le choix de l’exercice solitaire du pouvoir a été rejeté par la Conférence Nationale, par la nation malienne dans un sursaut salvateur. La création de la Cour Constitutionnelle est aussi une nouveauté introduite par la IIIème République (art 85). Mais cette Cour n’outrepasse-t-elle ses prérogatives ? Un autre débat. Le Haut Conseil des Collectivités, embryon de la seconde chambre, est lui aussi une innovation. Il regroupe non seulement des élus des collectivités territoriales, mais également les Maliens établis à l’extérieur (art 102). Ses prérogatives sont précisées dans la Constitution.
Le Conseil Economique Social et Culturel apparaît aussi dans l’organisation institutionnelle de la IIIème République, avec des prérogatives précises en matière de consultation. La Constitution de la IIIème République est “le résultat d’une longue histoire jonchée de ruptures et de continuités”. Elle reflète la maturité politique du peuple malien qui a traversé de dures épreuves.
Elle est appelée à évoluer et évoluera nécessairement avec les circonstances. Elle devra s’adapter pour répondre aux attentes du moment, en intégrant les demandes nouvelles de la société en matière de conception et d’exercice du pouvoir, en matière de partis politiques, de libertés publiques et de représentation des collectivités territoriales.
Réviser la Constitution est un devoir imprescriptible pour tout peuple…
Pr. Makan Moussa Sissoko
Ancien ministre, président de l’Association malienne de Droit constitutionnel, actuel Directeur général de l’ANPE