Le Pr Ali N. Diallo au Président ATT : « Laissons les reformes à vos successeurs »

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Dans une interview exclusive qu’il nous a accordée, le Pr Ali Nouhoum Diallo, ancien président de l’Assemblée nationale du Mali, donne son appréciation du nouveau gouvernement et tire la sonnette d’alarme sur les risques que peut encourir notre pays en cas de mauvaise préparation des élections. Il met en garde contre toute prolongation du mandat présidentiel, même si tout le monde est représenté dans l’actuel attelage gouvernemental.

Le Républicain : En 1991, le peuple malien se soulevait pour renverser une dictature militaire et de parti unique. Aujourd’hui, vingt ans après, quelle appréciation faites-vous de l’état de la démocratie dans notre pays ?

Pr Ali Nouhoun Diallo : Le peuple malien s’est mobilisé pour renverser une dictature. Ce qu’on peut dire 20 ans après, c’est qu’il n’y a plus de dictature. 20 ans après, ce qui frappe, c’est le foisonnement des partis politiques, d’associations professionnelles, le multipartisme syndical et la tentative des associations politiques de maintenir leurs activités. Ce sont ces associations politiques à l’origine du renversement de la dictature qui ont pris conscience de la nécessité de sauvegarder la démocratie malienne, de veiller à toutes les dérives autoritaires et d’ancrer réellement la culture démocratique dans le pays. Lorsque Cheick Mahmoud Thiam a lancé l’idée de commémorer la marche unitaire du mouvement démocratique du 30 décembre 1990, l’idée a été saluée d’abord par son propre parti, ensuite par tous les acteurs du 26 mars, qu’ils soient dans des partis issus du mouvement démocratique ou qu’ils soient dans des associations, auteurs de la chute du régime de Moussa Traoré et desquelles associations sont nés des partis politiques démocratiques et de progrès.

Quelles sont les difficultés qui empêchent les acteurs du mouvement démocratique de se rassembler aujourd’hui ?

Si nous arrivions à réduire la dimension des égos, la dimension des considérations personnelles, nous serions venus à bout de tout ce qu’on appelle divergence. Parce qu’à regarder de près les programmes des différents partis, il m’arrive souvent de dire que je n’ai jamais entendu ni le Miria, ni le Rpm, ni l’Urd renier le projet de société, le programme défini par le premier congrès de l’Adema. Depuis la séparation je n’ai jamais entendu une de ces formations faire une critique réglée du projet de programme et de société défini par l’Adema-Pasj, les 25 et 26 mai 1991.

Il n’y a pas une divergence fondamentale sur les projets ?

En comparant le projet et le programme du Congrès national d’Initiative démocratique Cnid-Fyt et celui du parti Adema, je n’ai jamais vu de différence fondamentale. Et je crois qu’à un moment donné, le Cnid quand il était uni avait cherché comme nous à rentrer à l’international socialiste. Et aujourd’hui le Parena, je pense, se sent plus proche de l’International socialiste que de l’International libérale. Le parti Adema et le Rpm sont à l’International socialiste, tous les deux, donc sont sensés partager à peu près les mêmes valeurs. Donc fondamentalement on ne comprend pas pourquoi ces partis là ne peuvent même pas fusionner. Et comme vous le savez, le Parena avait voulu ces derniers temps une fusion d’avec le parti Adema. D’ailleurs ce n’est pas la première fois. Le Parena même quand Yoro Diakité était au Parena avant la création de Baara avait entrepris des démarches très avancées pour une alliance stratégique avec l’Adema, pouvant conduire même à la fusion. C’est toujours mystérieusement que les avancées vers le rapprochement, la fusion ou une plateforme vraiment commune, sont stoppées pour des raisons qui me sont inconnues.

Avec toute cette dispersion qu’on connait, les acteurs du mouvement démocratique après avoir vaincu ne courent-ils pas le risque d’être vaincus aujourd’hi ?

Vous avez totalement raison, c’est pour ça que dans notre entretien j’ai fait mien le propos de mon cadet Tiebilé Dramé, « s’unir ou périr ». Il faut qu’on trouve la forme, mais dans un premier temps, il faut surtout qu’on ait un programme d’actions.

Parce que le discours ne suffit pas …

Aller à l’action. Et aujourd’hui, un nouveau gouvernement est formé dans lequel le Président Amadou Toumani Touré a fait un grand effort de prendre en compte les désidératas des partis politiques, en les mettant en avant. Quand on regarde ce gouvernement on voit des figures très importantes du mouvement démocratique.

Voulez-vous dire que le Président ATT a fait une bonne lecture des prises de position des acteurs du mouvement démocratique lors de la célébration de ce 20ème anniversaire ?

J’avoue que je ne peux pas répondre à cette question. Je fais ma lecture de son gouvernement et je constate qu’il y a des hommes qui sont dans ce gouvernement dont personne ne peut contester l’appartenance au mouvement démocratique…

Maintenant ce que j’ai souvent dit, j’ai peur que par courtoisie, par gentillesse, par souci de ménager, ils acceptent d’avaler plus de farine qu’ils n’ont de salive. Je le dis de la Première ministre, je le dis de chacun d’entre eux, je pense que leur objectif aujourd’hui est en principe de tout faire pour que les élections à venir soient les plus brillantes, les plus crédibles, les plus propres que le Mali ait connues. Et cette tache à elle seule est suffisante pour les occuper pour les douze mois à venir. Je serais à leur place, j’aurais dit au Président Amadou Toumani : honnêtement les reformes là, si utile soient elles, si magnifiques soient-elles, nous n’avons pas le temps de les faire correctement. Laissons cela à vos successeurs, aux hommes politiques, qui dans leurs campagnes, tous ceux qui sont présidentiables doivent nous dire quelle constitution ils veulent pour le Mali. Et que dès qu’ils vont s’installer à Koulouba, qu’ils ouvrent des concertations pour ça. Le Mali a-t-il besoin de changer de constitution aujourd’hui ? Et si nous devons changer de constitution, voulons-nous un régime présidentiel pour dire qu’on va calquer sur la culture malienne ou ne connaissons pas le bicéphalisme ? Pour nous le pouvoir, c’est le pouvoir et le pouvoir est à Koulouba. Au nom de ça, on peut choisir de faire un régime présidentiel, tout en sachant que partout où il y a un régime présidentiel, le président contrairement à ce qu’on pense, Obama ne peut pas faire ce qu’il veut aux Etats-Unis. Le Congrès est là pour le limiter dans tout ce qu’il fait. C’est un contre pouvoir réel. Même dans le choix des grands commis de l’Etat.

Pensez-vous que le président malien a trop de pouvoir ? Contrairement à ce qu’on est en train de nous proposer, le Président de la République, dans le projet Cari, nomme le Premier ministre, le démet quand il le veut. Il n’est pas obligé de le nommer dans la majorité présidentielle, aucune contrainte ne lui est faite pour ça. Il définit la politique nationale dont il ne répond pas devant l’Assemblée. Il nomme le président de la cour constitutionnelle, le président de la cour suprême, celui du conseil supérieur de la communication, du conseil supérieur de la magistrature, presque tout. Je crois des décisions comme ça sont suffisamment graves pour qu’on ne les fasse pas en douze ou huit mois. Je dis huit mois parce qu’on vient encore d’apprendre qu’il y a des Directeurs relevés, après les Daf.

Comment percevez-vous ces actes ?

Rien que les Daf constituent une paralysie administrative et financière de l’Etat.

Les adjoints assurent leur intérim Mais les adjoints au Mali ne font rien, c’est connu. Leur souci sera est-ce qu’ils seront confirmés directeur plein. Ils travailleront dans ce sens et n’oseront rien entreprendre de peur de déplaire. Comment et quand est-ce que les Daf seront-ils nommés ? Une fois nommés comment ils vont prendre le repère. Ensuite on apprend que d’autres directeurs sont relevés, peut-être d’autres vont suivre. Donc au nom d’une lutte contre la corruption, d’abord relever tous les Daf en même temps, pour moi est fondamentalement injuste. Et surtout c’est distiller un discours extrêmement mauvais pour l’avenir : « tous sont pourris, tous sont mauvais ». « Tous », est-ce qu’il s’agit de tous les partis politiques ? « Tous », est ce qu’il s’agit de tous les intellectuels maliens ? « Tous », s’agit-il de tous les cadres maliens ? Ce sont des discours extrêmement mauvais.

Si un Président de la République dispose de l’audit fait par le vérificateur général, mais diable, pourquoi sur la base de cet audit, il ne renvoie pas ceux qui méritent d’être renvoyés, et les renvoyer devant la justice ? Et maintenir ce qui mérite d’être maintenus ?

Le Président a pris une décision collective

Pourquoi une décision collective qui frappe tout le monde et qui paralyse le fonctionnement de l’Etat? Et si on ajoute à ça les directeurs qui vont suivre, donc on travaille à la paralysie de l’Etat. J’attire l’attention des membres du gouvernement, qui sont des politiques vrais, des hommes de droiture, sur la nécessité réellement de s’occuper d’organiser des élections. D’essayer de résoudre des problèmes de notre école, ce qu’ils peuvent résoudre en attendant. A la date d’aujourd’hui (le 21 avril), jusqu’à présent l’année scolaire 2010-2011, on ne sait pas ce qu’il en est. Nous avons une école, honnêtement en panne.

Avant d’avancer dans le dossier de l’école, permettez président, vous avez insisté sur les élections, alors que vous savez que le fichier que nous avons n’est pas crédible, alors … ?

C’est pour ces raisons que la tâche d’organiser les élections est largement suffisante pour les mois qui restent. On ne sait pas si ça sera sur la base du Ravec.
Il ne faut permettre à personne, même à la Bozizé, président de la RCA de pouvoir proroger son mandat même de quelques temps en violant la Constitution de la République centrafricaine, quitte après à dire qu’il ne la violera pas une seconde fois et à organiser les élections quand ça l’arrange et à passer au premier tour. Mais, on voit aujourd’hui le résultat de ceux qui passent au premier tour. Blaise tout près a passé au premier tour et on ne sait comment il va s’en sortir. Zine Abidine Ben Ali était passé au premier tour, avec 80 %, Moubarak pareil. C’est au sortir d’élections qu’il y a eu tous ces problèmes. Yayi Boni est passé au premier tour. Donc attirons l’attention.

Et même ceux qui ne passent pas au premier tour, si la règle n’est pas jouée jusqu’au bout, le problème n’est pas exclu : le cas de la Côte d’Ivoire …

Le Parena aime beaucoup répéter une expression que j’ai trouvée fort belle : « éviter la tragédie de la Côte d’Ivoire et le ridicule du Bénin ». Je ne sais pas, c’est ou de Tiebilé ou de PPR. Je crois que c’est PPR qui a sorti cette formule magique. Ce que je peux dire aujourd’hui, nous avons un gouvernement promoteur, un gouvernement formé de cadres politiques et qui ont une grande expérience de la lutte pour la démocratie. Je ne peux qu’exhorter tous ces camarades à être éminemment vigilants et à pouvoir dire au Président : « Président, nous ne voulons pas d’une nouvelle transition, nous sommes effectivement venus pour les douze ou quatorze mois qui nous restent et nous ne sommes pas tentés pour les délices du pouvoir, de violer la constitution de notre pays. Et si nous nous attachons aujourd’hui à vouloir dire que nous voulons faire des reformes, c’est sûr que nous aboutirons à ça. Maintenant réglons le problème de la liste électorale, du fichier électoral, appelons les partis politiques, pour qu’effectivement eux aussi prennent leurs responsabilités ». Et j’exhorte les partis politiques à prendre plus au sérieux le problème d’organisation propre pour éviter à notre pays de basculer dans la violence.

Propos recueillis par Boukary Daou

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