Nous sommes à un tournant de notre histoire qui retiendra que des hommes et des femmes se sont réunis et ont décidé de conjuguer leurs efforts pour faire face à l’incurie d’un pouvoir qui a montré ses limites sinon son incapacité à juguler les maux du pays, à satisfaire les attentes des populations, leurs moindres besoins. Quelle que soit l’issue de cette lutte, chacun des acteurs en sera marqué et le Mali devra prendre un nouveau départ. Le pouvoir, même s’il survit à cette ultime épreuve, devra se résoudre à plusieurs concessions et pas des moindres. Quant à ceux d’en face, les partis politiques et associations réunis dans Le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), ils sont à un point de non-retour pour avoir placé la barre haut, très haut. Cependant, les organisateurs de ce mouvement de contestation doivent savoir que la victoire ne sera totale et définitivement acquise que quand ils auront fini non seulement avec le régime d’IBK comme ils le disent, mais aussi avec le système en place depuis 1992. Certes, ils en sont les initiateurs et les organisateurs, mais l’espoir qu’ils ont suscité fait qu’aujourd’hui ils n’en sont plus les seuls porteurs. C’est à eux de suivre le mouvement désormais au risque de décevoir voire trahir les millions de Maliens qui ont répondu à leur appel.
Mais avant d’en arriver là, les thuriféraires d’IBK ont commencé à vouloir discréditer le mouvement en disant que la demande de démission d’IBK est un coup d’Etat en perspective, à questionner sa constitutionnalité, etc. Nous n’allons pas nous attarder sur ces questions tant le ridicule de ces propos la dispute à leur futilité. Comment peut-on vouloir opposer à la rue qui gronde la constitutionnalité de ses revendications ? Comment chercher à convaincre des populations qui ont subi pendant 7 ans la frustration, les injustices, les brimades, qui ont été laissées elles-mêmes face aux vagues de tueries, d’enlèvements, des populations dont les villages ont été brûlés, rasés et qui comme de pauvres hères sans toits se retrouvent sur les chemins ou sur des terrains vagues. Maintenant que celles-ci se révoltent on vient leur dire que leur lutte n’est pas légale, qu’elle doit se conformer à une constitution violée plus d’une fois par ceux qui en sont les gardiens.
A écouter les nombreux débats dans les médias, plusieurs sorties de crise sont proposées qui pour la plupart sont jusque-là très loin en-deçà de ce que la rue demande : la reprise des élections législatives, partielles ou générales, démission de la cour constitutionnelle et formation d’un gouvernement d’union. Comme les propositions de la CEDEAO, elles visent toutes à permettre à IBK de demeurer à la tête de l’Etat pour le reste de son mandat, mais pire elles lui permettront de renforcer son pouvoir déjà bien fragile. C’est vrai que les résultats donnés par la cour constitutionnelle sur les dernières élections législatives sont les lieux de crispation de la colère de la rue, mais pourquoi se contenter de ces expédients alors qu’ils peuvent être tous obtenus de surcroit avec la démission d’IBK ?
Comme un air de fin de règne
Depuis le 19 juin 2020, il y a comme un air de fin de règne qui flotte dans Bamako, dans les ministères sans ministres, dans les états-majors des partis politiques et des organisations de la société civile et même à l’assemblée nationale, même si on continue de croire, de faire et de faire croire que tout va bien dans le meilleur des mondes. Mais si eux ils veulent (se) tromper, ils ne trompent personne. Ceux qui ont connu des fins de règne parfois plus glorieux que ce que nous vivons, savent reconnaitre des signes qui ne trompent pas. Ce sont par exemple des discours présidentiels creux, décalés par rapport aux réalités et aux revendications des contestataires. Ce sont des concessions déclarées impossibles hier et qui subitement deviennent réalisables en un petit discours après que le mal ait été fait, et qui malgré sa portée révèle subitement sa petitesse devant l’incommensurable gravité du mal pour la vie de millions d’enfants sacrifiés. Alors que le spectre d’une année blanche se profile, demandez à ceux qui ont connu cela du fait de ce même IBK dans les années 1980 qu’est-ce que cela été dans leur. Pour les plus chanceux, c’est juste un retard dans leur cursus scolaire, même si cela s’est répercuté à jamais sur leur carrière sinon leur vie. Il en est qui ne s’en sont jamais remis, beaucoup, à la suite de cette année blanche ont quitté à jamais l’école, d’autres c’est le Mali qu’ils ont pour ne revenir qu’après 1991, tandis que parmi eux, certains ne sont plus jamais revenus.
Les fins de règne se manifestent aussi dans les propos des affidés du régime chancelant qui, comme dans un baroud d’honneur se fendent dans des déclarations qui laissent penser qu’ils insultent l’avenir. Elles se manifestent dans la création de regroupements de défense du chef de l’Etat, de la constitution ou des institutions comme si celle-ci ont jamais été utiles dans la vie du pays et au moment où elles devraient jouer leur rôle ; dans l’organisation contre-productive sinon dangereuse de contremarches comme une réponse du berger à la bergère. Ont-ils oublié que les contremarches organisées pour soutenir Moussa Traoré n’ont pu empêcher sa chute si elles ne l’ont pas précipité ? Ou bien l’ignorent-ils simplement parce que trop jeunes ? Qu’ils aillent à l’école des anciens soutiens de Moussa Traoré. Le Mali seul suffit comme expérience et leçon pour eux.
Les fins de règne, on les reconnait aussi dans les débats organisés sur les radios et les plateaux de télévision où l’on entend des oiseaux de mauvais annoncer le chaos pour le Mali, le déluge voire l’apocalypse si leur héros venait à démissionner. Qu’à Dieu ne plaise, et s’il venait à disparaitre brusquement ?
Quand les rats abandonnent le navire
Les fins de règne c’est enfin les démissions organisées, négociées, forcées de certains considérés hier encore comme dieux sur terre dont on disait que leurs décisions sont sans appel, inscrites dans du marbre. Quelle que soit la forme mise pour la démission inimaginable il y a peu de la cour constitutionnelle, cela nous enseigne que demander la démission du chef de l’Etat n’est en rien blasphématoire, ni la fin du monde. Si malgré le verrou constitutionnel dont bénéficie la cour constitutionnelle, pourquoi ce n’est pas le Président qui peut être démis, lui qui n’est pas protégé comme l’était la cour ? Oui, les fins de règnes se lisent dans ces signes mais aussi dans ses petits riens qui prennent brusquement des proportions impensées qui précipitent tout. Comme la démission de la cour constitutionnelle ou la vacance prolongée du gouvernement. Dans un contexte de fonctionnement routinier des institutions, la vacance du gouvernement et la démission de certains membres de la cour constitutionnelle, même si elles traduisent une crise, seraient résorbées sans que cela aboutisse à une paralysie généralisée. Les fins de règne, c’est quand les rats abandonnent le navire… Cela commence parfois par un individu, ce peut être aussi une institution. Quel que soit le cas de figure, ceci intervient quand les uns et les autres ont compris, soit par instinct de survie ou après un calcul des coûts et profits de leur décision, qu’il vaut mieux quitter le navire avant qu’il ne sombre.
Une assemblée nationale délégitimée avec des députés sans envergure
En toute logique, quoiqu’en la matière il n’y a parfois aucune rationalité dans cette logique, l’assemblée nationale devrait être la prochaine institution qui devra subir le sort qui a été réservé à la cour constitutionnelle. Si les rats sont souvent les premiers à quitter le navire c’est tout simplement parce qu’ils sont comme les premiers à sentir le danger imminent. En d’autres circonstances, c’est le capitaine lui-même qui décide de se débarrasser de tout ce qui peut alléger le navire. Il commence par jeter à la mer les biens et les matériels inutiles, encombrants. Tant qu’il estime que le bateau peut arriver à bon port avec le minimum de poids, c’est au tour des hommes d’être jetés à la mer au mieux avec des bouées de sauvetage pour ne garder que les femmes et les enfants. IBk s’est débarrassé sans ménagement de la cour constitutionnelle, même si d’aucuns disent que cela a été négociés à coups de millions pour chacun des membres, il le fera de même avec l’assemblée nationale, si cela devrait lui permettre de sauver sa place. Et sans état d’âme car ce qu’il perd n’est en rien comparable à ce qu’il gagne à ne pas le faire. Mais il en est des hommes comme des femmes qui ne savent que subir et attendre que le malheur leur tombe sur la tête quand même ils le voient arriver, ou parce qu’ils le voient arriver. Ils sont incapables de prendre toute initiative, toute décision. Ce sont souvent des gens qui depuis leur petite enfance, n’ont jamais pris de décision pour tout ce qui les concernent. D’abord ce sont leurs parents qui ont décidé, après ce sont leurs maitres d’école, le patron… Pour certains, ce sont encore leur femme ou leur mari.
D’après les échos qui nous parviennent, les députés sont divisés en deux tendances au moins : ceux qui sont pour des élections partielles dans les circonscriptions où les résultats sont contestés et ceux qui cherchent à réunir les députés afin de faire face à la colère de la rue qui « déconne trop » et parce qu’ils craignent d’être « décapités » si la rue venait à l’emporter. Avec un président connu pour être passé maitre de la machette, et des députés qui ont fait l’apologie de la violence et de la stigmatisation dans leur discours de campagne, il n’est pas étonnant que ce mot qui renvoie à un autre âge se banalise même dans leur discours dans l’assemblée nationale. Pour avoir su ce que décapité veut dire, ils sont les premiers en avoir peur. Mais c’est l’assemblée nationale elle-même qui est déconsidérée quand l’élection de son président est saluée par ses pairs non pas pour ses mérites, sa compétence reconnue, ses capacités intellectuelles et managériales mais plutôt, dans un souci d’équilibre géostratégique, son appartenance à une communauté.
Toujours dans un esprit de sacrifice et pour faciliter la tâche au chef de l’Etat, les députés devraient être les prochains démissionnaires ou démissionné. Mais pour les députés du RMP cette démission devrait intervenir plutôt par un sursaut d’orgueil pour dire à IBK, « il suffit ! ». Il suffit de sept longues années d’humiliation, de privations des privilèges dus, de sacrifices consentis pour faire plaisir au prince, lui permettre de gouverner en toute sérénité. Oui, il suffit d’être la serpillière de ce double mandat, le mouchoir qu’on jette après usage. C’est pourquoi quand on entend ceux qui disent que le chef de l’Etat est seul face à l’opposition, face à la rue, on se demande s’ils sont aveugles ou amnésiques ou tout simplement de mauvaise foi. N’est-ce pas le chef de l’Etat qui a fait le vide autour de lui, du moins pour ces compagnons d’infortune en faisant appel à des ouvriers de la 25ème heure, à de nouveaux convives à la table une fois mise. Il lui est difficile de demander à ceux qui ont participé à la battue et ont ramené le gibier à la maison, après que la fête est finie, une fête à laquelle ils n’ont pas pris part, de venir débarrasser la table ou de passer à la vaisselle, alors qu’ils n’ont eu droit qu’aux miettes qui tombaient de la table pendant le festin. Seulement ces derniers auront-ils le courage de le lui faire comprendre aujourd’hui, alors que les lampions sont en train de s’éteindre ?
A défaut des députés du RPM qui ont fait preuve tout le long du règne d’IBK, d’une couardise désarmante, l’avenir du Mali est désormais aux mains des députés de l’opposition et quelques autres qui ont manqué d’intuition ou attirés par les ors du pouvoir, se sont précipités aux pieds d’IBK. Les députés de l’URD sont ici les premiers concernés, eux qui ont une première fois trahis Soumaila Cissé en votant pour le président de l’assemblée nationale, alors que leur Président est aux mains de ses ravisseurs et alors que le pouvoir d’IBK en est soit coupable ou en tous les cas responsable. Si leur parti, à l’instar du SADI, n’a pas pu les sanctionner pour ce forfait, eux-mêmes devraient avoir l’élégance de démissionner de l’assemblée pour permettre au Mali de sortir de cette impasse. Et ce n’est pas trop leur demander que d’accepter ce sacrifice. Quant aux députés de Yelema, cela devra être facile pour eux qui ont eu le mérite de prendre des positions courageuses à propos des déclarations de l’assemblée nationale. Nous ne parlerons pas par contre ici des députés de l’Adema car ce parti a renoncé depuis qu’il a perdu le pouvoir en 2002, à l’honneur et à la dignité. Tombé en disgrâce depuis le départ d’Alpha Omar Konaré qui n’a rien fait pour lui empêcher ce sort si, au dire de certains, il ne l’a pas provoqué, ce parti a été par, par la cupidité de ses dirigeants en manque d’ambitions, de tous les pouvoirs depuis 2002, sans avoir le pouvoir. Ceci est une prouesse que seule autorise la vénalité de la charge.
Le piège d’un gouvernement d’union national
Les gouvernements d’union, voilà la recette désormais désuète, le piège à cons des pouvoirs en perte de vitesse et des organisations internationales qui pensent tous que les contestations en Afrique sont le fait d’une opposition « qui a faim » et que par expérience, il suffit de leur « mettre quelque chose dans la bouche » pour être tranquille. Le dernier gouvernement du Mali est en effet la preuve de cette assertion qui de la bouche de quelqu’un qui, semble-t-il, est familier de la pratique. Si le M5-RFP veut connaitre le même sort que le FSD, c’est-à-dire être trahi par ceux-là mêmes qui en sont les porte-voix, et voir la naissance d’un FSD bis, qu’ils acceptent « la main tendue » qui ouvre la porte à un gouvernement d’union. Combien de fois a-t-on annoncé cette main tendue que l’on a voit jamais ou qui s’avère être finalement « le poing tendu » ? Il faut craindre déjà que cette information, qui n’est en réalité qu’un effet d’annonce, ne soit en pratique performative.
Il faut craindre effectivement que les effets de cette annonce ne se traduisent par de nouvelles rencontres secrètes et se terminent par de nouvelles trahisons. Comme celles auxquelles nous avons assistées il n’y a pas longtemps, elles sont en général le fait soit de ces hommes politiques en fin de carrière qui en faisant une rétrospective de leur parcours, estiment que leur engagement pour le Mali n’a pas été payé à « hauteur de souhait ». Il est souvent aussi le fait de ces jeunes un peu trop pressés, pressés de vivre comme leurs ainés qui ont leur duplexe, leur grosse cylindrée, leur verger à la périphérie de Bamako et qui passent ici pour être « ceux qui ont réussi ». Car ici la réussite se mesure à la possession de ces biens. Quels que soient d’ailleurs les moyens pour y parvenir, c’est le résultat qui compte. D’autant plus qu’une fois ces biens accumulés, tout le monde en vient à oublier le cheminement tortueux qui y a conduit. Aux yeux tous, c’est celui qui a réussi de cette manière qui est « l’enfant béni ». Celui-là par contre qui a mené une vie de labeur et vertueuse et qui ne possède rien de tout cela est « l’enfant maudit ». L’opposition regroupée n’étant pas à sa première trahison, a connu tous ces genres d’individus. Les premiers parce qu’ils sont au soir de leur carrière politique sinon de leur vie se disent qu’ils n’ont plus rien à perdre, sinon ce qui leur reste comme dignité. Quant aux seconds, ils pensent que le temps est leur meilleur allié pour se refaire une nouvelle virginité. Mahmoud Dicko qui est le parangon de la vertu pour le M5-RFP, le gardien des valeurs qui l’ont fondé, doit rester donc vigilant. Il ne doit pas surveiller ses arrières seulement mais aussi ses côtés. Le Mali d’après ? C’est le Mali débarrassé de ces hommes et femmes sans vertu qui ont été aux affaires de 1991 à nos jours. Il y a ceux qui sont de notoriété publique et il y a tous les autres à débusquer.
Bamako, le 24 juin 2020
Haoussa Mahaman Diawara