Le Mali à 46 ans : Les péchés capitaux de l’élite politique nationale

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Le Mali tout entier a célébré le 46ème anniversaire de l’avènement du pays à la liberté le vendredi dernier. Un jour placé sous  le signe de la méditation et qui a permis, à ceux qui en ont le temps et les moyens, de réfléchir sur l’évolution du Mali de l’indépendance à  nos jours.

Avouons le tout de suite, on ne peut perdre de vue que les 46 ans d’indépendance n’ont  pas donné l’occasion  de venir à bout de la pauvreté. De la  première République à la troisième, en passant par la deuxième, nos compatriotes, dans leur écrasante majorité ont souffert dans leur chair et dans leurs os en raison d’une mauvaise gouvernance. Nous tenterons de donner quelques pistes de réflexion pour expliquer cette situation 

La première République

Elle a commencé le 22 septembre 1960 pour s’interrompre brutalement le 19 novembre 1968 en raison d’un pronunciamiento. Elle a été incarnée  de bout en bout  par l’Union Soudanaise-RDA. Ce parti qui remporta les élections de la fin des années 50 dans un climat politique dominé par le pluralisme n’a pas  voulu le pluralisme politique pour conduire les premiers pas du Mali indépendant. Le multipartisme était reconnu dans la première constitution, cependant, tout a été mis en œuvre pour étouffer toute opposition politique. Fily Dabo Sissoko et Hamadoun Dicko qui ont voulu mener cette opposition ont été réduits au silence par la méthode violente. L’élite politique de l’époque n’avait qu’une seule idée : ‘’Tu es avec moi ou contre moi’’. Dans  ces conditions, toute gouvernance ne pouvait qu’être entachée. Raison  pour laquelle la dévaluation du franc Mali n’a pas été suivie par une augmentation significative des salaires. Les travailleurs maliens ont vu leur niveau  de vie chuter de façon considérable par rapport à leurs homologues de la zone franc CFA. Le mécontentement s’est accru. Puisqu’il n’y avait pas d’opposition politique pour porter la contradiction aux princes de l’époque, alors les militaires ont fini par entrer dans la  danse en renversant le pouvoir en place. Les hommes en kaki ont été salués par la rue. Nombreux étaient nos concitoyens qui voyaient en ces porteurs d’uniformes des libérateurs du peuple malien. Mais ils finiront par déchanter. 

La deuxième République

On ne peut pas la situer dans un premier temps sans faire allusion à la période d’exception (1968-1979)  qui a contribué à porter atteinte à la culture politique des maliens en raison  de l’interdiction des activités politiques. Elle fut marquée par des règlements de comptes entre les membres de la junte militaire qui ont souvent abouti à des éliminations physiques. Beaucoup de prisonniers politiques ont été torturés puis assassinés dans les bagnes de Kidal  et de Taoudénit. Durant  ces onze ans de dictature militaire, la condition  du malien moyen n’a pas été  améliorée. Le Comité  Militaire de Libération Nationale’ (CMLN) ne s’est nullement préoccupé du sort des maliens. La corruption et l’affairisme ont miné toutes les bonnes volontés. La corruption  s’est même étendue à la distribution de l’aide alimentaire destinée aux populations touchées par la sécheresse des années 70. Il a fallu attendre l’année 1979 pour voir le Mali retourné à une ère dite vie constitutionnelle normale. La nouvelle constitution adoptée à l’époque faisait pire que la  première puisqu’elle ne reconnaissait que le parti unique. L’UDPM mise en place s’est comportée en parti-Etat en verrouillant la vie politique contre toute ouverture. Les activités politiques se déroulaient au sein du parti  contrôlé par les chefs militaires. Les débats démocratiques à l’intérieur de l’UDPM étaient fondés sur  les orientations politiques du président du parti, chef de l’Etat et du gofernement. Là  aussi, comme on pouvait  s’attendre la bonne gouvernance n’était pas de mise.

Le parti n’a fait que réunir des hommes et des femmes appartenant à des conditions sociales différentes. Il rassemblait des citoyens sans aucune  considération pour leur situation de vie en société. C’était un parti d’idées parce que étranger aux distinctions des catégories sociales d’où naissent les oppositions d’intérêt. Son programme faisait  place à des projets de réforme destinés à améliorer la situation d’un certain  nombre de catégories de citoyens, cependant le parti unique de la deuxième République n’envisageait pas une réforme totale de la société. Son ambition était limitée parce que l’idée qu’il faisait du  rôle du pouvoir étatique était, elle aussi mesurée. Le parti avait un appareil administratif qui se réduisait au bureau exécutif central dont la pensée n’est diffusée que par l’intermédiaire des médias d’Etat. C’est avec ce péché originel que les  différents programmes d’ajustement structurel de la 2e République (1980-1991) ont été  négociés sans les syndicats et les organisations sociales. Des sociétés et entreprises d’Etat déficitaires ou non ont été liquidées ou privatisées dans des conditions obscures. Des travailleurs ont été jetés  dans la rue, la fonction  publique ne recrutait  plus qu’au compte goûte. Pire,  des fonctionnaires ont été encouragés à prendre le chemin de la retraite volontaire. Une mesure qui a porté un grave coup aux secteurs de l’éducation et de la santé et dont les conséquences sont toujours visibles. La pauvreté a pris une ampleur considérable, les familles ont volé en éclats. L’élite politique fut coupable de signer des ‘’programmes de redressement économique’’ avec les institutions de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale) sans une moindre référence aux dimensions sociales des ajustements structurels. Les forces vives de la société ont été ignorées sinon mises de côté. Les victimes de ces ajustements qui se sont regroupées en syndicats (ATVR par exemple) ont  mené  et mènent  encore des mouvements sociaux pour se faire entendre. Ces syndicats ont gagné plusieurs procès contre l’Etat. Cependant, ils courent  encore  derrière leurs droits munis de leurs grosses judiciaires qui sont devenues leurs livres de chevet. Les liquidations et privatisations ont été faites dans une anarchie totale sinon comment comprendre la liquidation de la compagnie Air Mali qui fait la fierté de tout un peuple.

La troisième République

Elle est née sur les cendres de la deuxième République après 14 mois  de transition. Cette petite période d’exception a été précédée par une lutte populaire qui a  abouti au renversement du pouvoir autocratique  de Moussa Traoré. Avec  la troisième République, le pouvoir a cessé d’être seulement une force d’action en devenant un maître à penser. Il a la responsabilité de l’avenir du groupe et ne peut, cependant, au nom de cette responsabilité, imposer sa décision sans tolérer la discussion, il tente d’agir sur l’opinion pour l’élever jusqu’à la compréhension des difficultés de sa  tâche. Le multipartisme est devenu une réalité, la liberté d’opinion et de presse sont désormais totales. Ce climat favorable au progrès n’a pourtant  pas permis à l’élite politique de prendre de la hauteur pour lutter efficacement contre la pauvreté. Elle a péché en ne  parvenant pas à s’attaquer aux facteurs principaux de la pauvreté des maliens. Elle a même contribué à l’accentuer à faire ingurgiter aux populations des modèles imposés de consommation et de vie venus d’ailleurs. Ces modèles sont tout simplement, entre autres, le Pari Mutuel Urbain  (PMU), les institutions de microfinance… Au Mali, la loi interdit les jeux de hasard. Cependant, et contre toute attente, elle permet à un petit groupe de maliens d’user de ces jeux pour soustraire de l’argent à d’autres maliens. Il s’agit des actionnaires du PMU-Mali qui empochent chaque mois des millions de dividendes au détriment des parieurs. En réalité, le PMU-Mali devait être une propriété de l’Etat à 100% parce que les biens de l’Etat appartiennent à tous et non à quelques uns seulement. Les sociétés de microfinance ne contribuent pas à lutter contre la pauvreté, elles l’aggravent au contraire en raison  du taux d’intérêt élevés qu’elles pratiquent (25%.) Le scénario est simple. La BCEAO débloque le flux d’argent à 4% pour les banques classiques. Celles-ci vendent cet argent à la banque de solidarité à 11%. Cette dernière le vend aux institutions de microfinance à 18%. Ces institutions vont, à leur tour accorder des crédits aux couches démunies de la société en  appliquant un taux d’intérêt de 25%. Le riche opérateur économique qui a la possibilité de fournir des garanties de prêt à une banque classique obtient une ligne de crédit à un taux  d’intérêt de 11% seulement, or la pauvre maman du marché s’endette auprès des microfinances à un taux  de 25%. Qui  va s’enrichir davantage entre les deux ? La réponse saute aux yeux.

Somme toute, comme le dit Frantz Fanon on a fait que remplacer l’homme blanc  par l’élite politique locale  à l’indépendance pour qu’il fasse exactement comme lui sinon pire que lui. Les préoccupations des populations ne sont nullement prises en compte par les décideurs soucieux plutôt de la préservation de leurs intérêts au détriment des citoyens.

Ibrahima Labass Keïta

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