INVESTITURE. Désigné président de la transition à l’issue de son 2e coup d’État, le colonel Assimi Goïta a prêté serment devant la Cour suprême.
Ce lundi 7 juin, Bamako baigne dans une atmosphère particulière, comme une parenthèse au milieu de ses semaines de soubresauts. Depuis le début de la matinée, des centaines de personnes sont rassemblées tout au long de l’artère principale menant au Centre international de conférence de Bamako (CICB). C’est là que le colonel Assimi Goïta, 37 ans, autorisé à « garder sa coiffe », a prêté serment devant la Cour suprême et un parterre d’officiels. Avant la cérémonie d’investiture, la Cour constitutionnelle a déjà déclaré président de transition celui qui était jusqu’au second coup d’État du 24 mai le vice-président de Bah NDaw. En faisant arrêter le président et le Premier ministre de transition, deux civils, Assimi Goïta a fait basculer une deuxième fois son pays vers l’inconnu en l’espace de neuf mois seulement. « Nous n’avons pas droit une fois de plus de commettre les mêmes erreurs », répète-t-il. Depuis ces événements, le principal partenaire du Mali dans la lutte contre le djihadisme, la France, a décidé de suspendre ses opérations militaires avec les militaires maliens (Famas), « dans l’attente de garanties ». Elle a évoqué les « lignes rouges » tracées par la Communauté des États ouest-africains (Cedeao) après le putsch de mai. La Cedeao, suivie par l’Union africaine et l’Organisation de la Francophonie, a suspendu le Mali de ses institutions. Elle a exigé la nomination « immédiate d’un Premier ministre civil », affirmé la nécessité que la période de transition reste limitée à 18 mois comme les militaires s’y étaient engagés de mauvaise grâce après le premier putsch d’août 2020, et déclaré que la date prévue de la présidentielle devait être maintenue « à tout prix » au 27 février 2022.
Jusqu’à nouvel ordre, sa force Barkhane, qui intervient dans plusieurs pays du Sahel, ne sortira plus de ses bases pour des opérations sur le terrain au Mali, même si elle continuera à frapper, si l’occasion s’en présente, les chefs djihadistes.
Assimi Goïta veut imprimer une nouvelle dynamique
« Je jure devant Dieu et le peuple malien de préserver en toute fidélité le régime républicain […] de préserver les acquis démocratiques, de garantir l’unité nationale, l’indépendance de la patrie et l’intégrité du territoire national », a dit le colonel Goïta, qui a troqué pour l’occasion son treillis de camouflage contre un uniforme d’officier gris foncé. « La situation nous offre l’opportunité de remettre le processus de transition dans le sens souhaité par la population », a dit le nouvel homme fort du Mali après avoir fait observer une minute de silence en mémoire des victimes du terrorisme.
Inconnu il y a un an, chef aujourd’hui d’un État dans la tourmente, le colonel Assimi Goïta reconnaissable par son uniforme kaki et béret vert prend la tête d’un pays au milieu du gué. Apparu sur les écrans dans la nuit du 18 au 19 août dernier, après avoir renversé l’ex-président Ibrahim Boubacar Keïta, le taiseux colonel a fini par s’imposer. Fils d’un ancien directeur de la police militaire, il a étudié au Prytanée de Kati, la principale école militaire du Mali. En 2002, il a été envoyé dans le Nord et y a fait ses armes, basé successivement à Gao, Kidal, Tombouctou, Ménaka, Tessalit. Il a participé au combat contre les rebelles indépendantistes, puis djihadistes, et est monté en grade. Pas grand-chose ne distingue l’officier athlétique des hommes en tenue de combat qui l’accompagnent partout. « Paraître, ce n’est pas son problème. C’est un homme de terrain, on l’a vu dans le Nord », dit un colonel sous couvert de l’anonymat, cité par l’AFP. Au moment de son investiture, il a dit sa volonté d’organiser « des élections crédibles, justes, transparentes aux échéances prévues », c’est-à-dire février 2022.
Rassurer les partenaires du Mali
« Je voudrais rassurer les organisations sous-régionales, régionales et la communauté internationale en général que le Mali va honorer l’ensemble de ses engagements pour et dans l’intérêt supérieur de la nation », a-t-il développé à peine investi président de transition. En coulisses, le temps presse. Il ne reste que neuf mois avant la fin de la transition et tout reste à faire.
Sur le plan diplomatique, le Mali doit relever le défi de retrouver sa place dans le concert des nations tant dans la sous-région que dans la communauté internationale. Car, en étant exclu des instances des institutions aussi importantes que la Cedeao ou l’Union africaine, le Mali ne peut pas pendant toute la période présenter des candidatures maliennes dans ces organisations. Le pays ne peut pas non plus prendre part aux décisions sur des dossiers importants, ni donner son avis ou faire valoir son vote. Les militaires s’étaient engagés après un premier putsch le 18 août 2020 à organiser des élections présidentielle et législatives le 27 février 2022. Cet engagement avait cependant été mis en doute par le nouveau putsch le 24 mai dernier quand le colonel Goïta. Dans un signal politique, les ambassades occidentales avaient généralement décidé d’envoyer à l’investiture un collaborateur plutôt qu’un ambassadeur.
De toute cette activité diplomatique dépend l’avenir sécuritaire du Mali. La sécurité dans le pays reste un des défis majeurs à relever pour les nouvelles autorités de la Transition. Pour le pays, dont les forces manquent de moyens, le maintien des partenariats est un enjeu crucial. La situation sécuritaire dans la zone d’action notamment de Barkhane reste préoccupante. Au moins onze membres d’une communauté touareg ont été tués jeudi dernier par des inconnus près de Ménaka (Nord-Est). Non loin, le Burkina Faso voisin a pour sa part subi dans la nuit de vendredi à samedi l’attaque la plus meurtrière menée par des djihadistes présumés depuis 2015. L’effroyable bilan s’établit à au moins 160 morts, selon des sources locales.
Des défis immenses en interne
Sur le plan intérieur, Assimi Goïta a déjà engagé son pays dans des alliances loin d’être gagnées d’avance. D’abord avec le M5, le mouvement de contestation né en juin 2020 qui avait ébranlé la présidence Keïta et de plus en plus critique envers la junte. L’une de ses figures, Choguel Kokalla Maïga, devrait sauf surprise rapidement être désigné Premier ministre. Assimi Goïta a aussi persuadé les ex-rebelles du nord du Mali réunis au sein de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), d’abord réticents, de l’accompagner.
Sur le front socio-économique, la mobilisation sociale menée par l’Union nationale des travailleurs du Mali, syndicat de fonctionnaires et de salariés du secteur privé, était bel et bien le signe avant-coureur des dernières crispations politiques surtout après l’échec de négociations avec le gouvernement sur les salaires, les primes et les indemnités. Un contexte qui n’arrange pas vraiment la situation alors que la pandémie et la crise sociopolitique suite au coup d’État du 18 août ont plongé le Mali dans une récession économique, après des années de forte croissance tirée par les cours de l’or. Le PIB réel se serait contracté de 2 % en 2020, selon le FMI, reflétant la baisse de la demande mondiale, les difficultés d’approvisionnement, et les restrictions domestiques. S’y ajoutent la chute de la production cotonnière et la faible performance de la filière agricole, facteurs d’aggravation de la pauvreté, surtout en milieu rural. Depuis, le Fonds monétaire international a mis en place un programme triennal pour le Mali, et table sur une croissance de 4 % en 2021. En attendant, c’est le coût de la vie qui est dénoncé par les Maliens, les denrées alimentaires connaissent une hausse sur les marchés. « Les défis sont immenses et les attentes légitimes du peuple sont aussi grandes », a reconnu Assimi Goïta, lors de son investiture. Pour relever ces défis, le nouveau président de transition veut relancer le dialogue avec les partenaires sociaux. Goïta a également eu quelques mots pour les investisseurs, et les partenaires commerciaux comme la France qui contribue via ses sociétés sur place à 20 % des recettes fiscales maliennes. La mobilisation des recettes internes (douanes, impôts, domaines), reste l’un des points faibles de l’administration malienne, ainsi que la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite. Ces thèmes figurent en haut de la liste des attentes des Maliens. Parmi les priorités, les Maliens fixent également l’éducation, l’énergie, la réconciliation nationale et bien d’autres.
SOURCE: https://www.lepoint.fr/afrique