Pour dissiper les forts préjugés de l’opinion, les deux opérations majeures qui se profilent au Nord de notre pays doivent garder comme boussole le respect des principes
L’un des plus ardents souhaits des populations qui se débattent dans une crise dont elles ne distinguent pas encore l’issue définitive ? Qu’arrive très rapidement le moment où chez tous les protagonistes les questions essentielles se posent dans les mêmes termes, les urgences sont détectées de manière identique et les solutions sont portées par une détermination unanime. Car rien n’est ni simple, ni linéaire dans la résolution d’un drame national. Surtout lorsqu’à son chevet se croisent divers médiateurs et que les partenaires appelés à faire avancer les choses ensemble tirent souvent des conclusions divergentes à partir des mêmes faits constatés. Aucune mauvaise foi, aucun parti pris délibéré, aucune cécité coupable dans ces différences. Mais fréquemment de vraies oppositions dans l’analyse des racines, dans la lecture des situations conflictuelles, dans l’appréciation des résultats engrangés et surtout dans la perception des réalités profondes d’un pays. En matière d’intervention salvatrice et d’ingérence humanitaire, la communauté internationale a pratiquement expérimenté toutes les formules d’action possibles. Mais sans pouvoir s’épargner à chaque nouvelle crise la déception de voir ses solutions s’enliser et ses efforts être contestés.
Ce perpétuel recommencement dans la recherche de compromis conciliateurs a eu comme effet prévisible au niveau des intervenants internationaux le renforcement simultané d’une plus grande réticence à s’engager sur le terrain et d’une circonspection plus prononcée à l’égard de la sincérité des acteurs nationaux. Il est donc bien loin le temps où l’expédition « Restore hope », bardée de nobles certitudes et d’une détermination alors proclamée comme inébranlable, lançait triomphalement les troupes d’intervention en Somalie. Les casse-têtes laissés sans solution en Afghanistan et en Irak ont ensuite fini de détruire les dernières illusions quant à la possibilité d’une éradication chirurgicale d’un régime contestable et à l’utopie de substituer automatiquement aux maîtres honnis une autorité absolument vertueuse.
Les limites des grandes opérations internationales ont donc été depuis longtemps établies. Mais fort heureusement ce fait n’a pas entrainé l’extinction de la nécessité de l’ingérence humanitaire ou démocratique. Il a seulement rendu celle-ci plus complexe à appliquer. Les acteurs internationaux les plus importants se questionnent en permanence sur les précautions à prendre pour limiter une éventuelle implication militaire, sur le niveau raisonnable de confiance à accorder aux forces dites de libération ou d’opposition et sur la nature des compromis à accepter avant que l’engagement ne se transforme en embourbement. L’on retrouve un étalage édifiant de ces hésitations dans le conflit en Syrie où seule de toutes les grandes puissances, la Russie a fait montre de constance dans l’établissement des alliances (en faveur de Béchir El Assad) et dans la détermination des priorités (l’égale importance accordée à la neutralisation des groupes rebelles et des colonnes de Daech).
AVEC LA MÊME SÉVÉRITÉ. La situation au Nord du Mali n’a fort heureusement pas été au cours du quart de siècle écoulé le théâtre d’aussi fortes et dommageables divergences. Mais elle n’a pas été totalement épargnée par des interprétations erronées faites par certains de nos partenaires extérieurs et les critiques hâtives portées sur les gouvernants maliens. Il faut en particulier se souvenir de l’éreintant combat mené depuis les années 1990 pour convaincre de multiples centres de décision officiels que les troubles dans notre Septentrion n’étaient pas la conséquence de l’oppression sociopolitique et culturelle exercée par un pouvoir centralisateur sur une minorité brimée. Et que les inégalités de développement mises en avant par la rébellion frappaient avec la même sévérité toutes les populations de la zone. Les préjugés défavorables ont eu la vie dure dans l’examen du cas malien et aujourd’hui encore, ils pointent au détour du jugement d’un responsable onusien ou encore entre les attendus d’un document international. Il est inutile d’écrire toute une complainte sur cette réalité. Il faut juste savoir vivre avec en attendant que le vent de la bonne interprétation fasse définitivement converger tous les avis sur une exacte perception des difficultés à résoudre.
A cet égard, les autorités maliennes s’engagent dans les prochaines semaines dans deux entreprises majeures pour la réalisation desquelles elles auront à affronter des préjugés profondément implantés dans l’opinion et liés aux vicissitudes d’un passé récent. Nous avions déjà commenté de manière suffisamment détaillée dans de précédentes chroniques l’esprit dans lequel devrait se faire l’installation des futures autorités intérimaires. Il nous semble cependant indispensable d’insister une fois de plus sur le fait – et la loi récemment adoptée le précise -, que cette installation ne se fera que dans les localités où le fonctionnement du conseil de la collectivité s’avère impossible « pour quelque cause que ce soit ». Le constat de cette impossibilité doit être dressé par le représentant de l’Etat dans la région. La commission Administration territoriale et Décentralisation de l’Assemblée nationale avait souligné dans ses conclusions le danger d’une installation systématique des autorités intérimaires dans les 103 collectivités du Nord du Mali, voyant dans une telle démarche « une source de frustration et d’injustice ». Remarque pertinente s’il en est, car correctement interprétée, la disposition évoquée plus haut éviterait le démantèlement de conseils qui ont réussi à préserver leur fonctionnement en dépit d’une très forte adversité.
Le principe du tri raisonné ne sera certainement pas facile à faire appliquer puisque les regroupements politico-militaires ont l’ambition de prendre date pour le futur et d’étendre leur influence bien au-delà des localités qu’ils détiennent de longue date et où la désignation de personnalités liges ne leur posera aucun problème. Un observateur averti de la zone nous faisait remarquer la semaine passée que face à la pression très vive exercée tant par les envoyés de la Plateforme que ceux de la Coordination, d’anciens responsables de collectivités et ainsi que des représentants de l’autorité traditionnelle commencent à fléchir. N’étant pas assurés que leurs appels adressés à l’Etat pour que soient préservées leur légitimité et leur représentativité, ils se résigneraient à passer sous la bannière des différents Mouvements. Il est impossible pour le moment de vraiment vérifier l’authenticité et l’étendue de ce possible basculement. Mais s’il se produisait, il représenterait une pierre de taille jetée dans le jardin de l’Accord et une accentuation de la situation exceptionnelle qui prévaut en certaines parties de notre Septentrion.
UN PHÉNOMÈNE INÉDIT. Le processus d’intégration et de réinsertion des ex combattants est, lui, attendu avec suspicion par la majorité de notre opinion nationale qui craint la répétition d’anomalies déjà relevées dans la mise en application de précédents accords de paix ou de cessez-le-feu. Toutes les assurances ont été pourtant données avec force détails par le ministre chargé de la Défense quant à la rigueur avec laquelle seront menées les opérations. Tiéman Hubert Coulibaly a notamment assuré que « l’urgence ne doit en aucun cas prendre le dessus sur la nécessité du respect des principes fondamentaux ». Cependant, le mur des préventions est toujours là. A vingt ans de distance, le souvenir des avantages accordés aux ex éléments des Mouvements et fronts unifiés de l’Azawad, tant au niveau de l’Administration publique qu’au niveau des forces armées et des corps paramilitaires, reste vivace dans les esprits. Tout autant que demeure forte dans les mémoires l’empreinte laissée par les désertions et les désaffections des « intégrés » dont a été victime l’armée nationale lors des événements de Kidal en mai 2006 et aux premiers mois de la rébellion de 2012.
La persistance de ces préjugés a été renforcée par l’apparition et le développement au cours de ces derniers mois d’un phénomène inédit sur lequel notre consœur Doussou Djiré avait produit une enquête magistrale : la course à l’inscription dans les Mouvements. Ou plus précisément la ruée à l’inscription sur la liste des éléments supposés démobilisables et « réinsérables ». L’on ne sait exactement qui a lancé cette fumeuse initiative. Mais l’information s’est très vite répandue selon laquelle il serait possible de faire porter son nom sur la liste des ex combattants d’un mouvement en s’acquittant de deux préalables : le versement d’une commission à « l’inscripteur » et la présentation d’une arme de guerre (à acquérir éventuellement auprès du même individu). Des cohortes de jeunes sans emploi se sont donc mises en route, de manière plus ou moins organisée, vers le Septentrion à la quête du mirifique sésame. Il suffit d’additionner les attentes de ces aspirants à l’emploi à celles des jeunes résistants sédentaires qui attendent un geste de la patrie reconnaissante et à celles de personnes qui se prévalent d’une recommandation d’un responsable de mouvement pour imaginer l’agitation qui va régner autour d’une opération déjà suffisamment complexe en elle-même.
C’est sans doute le climat particulier créé par cette somme d’appréhensions et de préventions mêlées qui a poussé l’opposition à surfer sur l’humeur populaire et à durcir aussi bien son discours que ses positions. En l’espace de trois semaines, celle-ci a en effet tenu à souligner de manière radicale ses points de désaccord avec les autorités. Tout d’abord en boycottant le vote de la loi portant modification du Code des collectivités qui instituait les autorités intérimaires en remplacement des délégation spéciales. Ensuite en saisissant la Cour constitutionnelle aux fins de contrôle de constitutionnalité de la loi ci-dessus évoquée. Puis en suspendant sa participation au cadre de concertation avec les partis politiques mis en place par le ministère de l’Administration territoriale et qui avait dans son agenda l’organisation des futures communales et régionales. Enfin en annonçant l’organisation pour le 23 avril d’une marche de protestation (depuis suspendue) contre la mauvaise gouvernance du pays.
LA VIGILANCE PLUS QUE LA CONTESTATION. Les griefs avancés par les opposants pour expliquer ces différentes initiatives ? Le piétinement du dialogue républicain ouvert avec la majorité et récemment remis en cause par les accusations portées par le Secrétaire général du RPM, le climat détestable instauré à l’Assemblée nationale lors du débat sur l’institution des autorités intérimaires, la menace de partition du pays que ferait peser la modification du Code des collectivités de la loi récemment votée, l’approche jugée par l’opposition désinvolte du ministère chargée de l’Administration territoriale dans la programmation des futures communales et régionales et enfin la non prise en charge par les autorités des évolutions institutionnelles prévues dans l’Accord pour la paix et la réconciliation.
L’opposition politique a-t-elle également jugé que la récente déclaration de Bocary Treta avait sonné le glas de l’éphémère tentative d’échanges entre elle et le camp présidentiel ? Il est certain que les opposants avaient accueilli non sans stupeur les propos du Secrétaire général du RPM qui lors une rencontre avec ses militants les avait accusés à l’approche de la commémoration du 25ème anniversaire du 26 mars de « préparer un coup d’Etat contre le président de la République et les institutions ». On peut donc penser que les partisans d’une riposte proportionnée ont fait accepter le scénario d’un durcissement tactique et d’une nette prise de distance avec la majorité. Mais il n’est pas du tout acquis que sur toutes les décisions arrêtées, le choix de l’intransigeance soit le plus productif pour l’opposition.
Sauf à démobiliser leurs propres partisans et à s’exposer au risque d’un exode de leurs candidats, les plus importantes formations de l’opposition ne peuvent objectivement se dispenser de participer aux prochaines communales et régionales. Or, la politique de la chaise vide leur ôterait la possibilité ne serait-ce que d’infléchir les choses à l’intérieur du cadre de concertation et les ferait aller à la compétition selon des modalités totalement discutées sans leur participation. Sur un tout autre plan, rien n’assure que – si elle a lieu – la marche programmée constituera une démonstration de force, conglomérant toutes les insatisfactions du moment, ainsi que le recherche le large éventail des motifs invoqués. Car sur les questions polémiques évoquées plus haut, l’humeur populaire à l’égard des décideurs serait, à notre avis, plus à la vigilance suspicieuse qu’à la contestation virulente.
La logique des accrochages politiques qui ont émaillé le processus de négociation d’Alger s’est maintenue pour la mise en application de l’Accord pour la paix et la réconciliation et la question du Nord du Mali reste donc un champ de bataille politique entre la majorité et l’opposition. Le pacte implicite de non-belligérance conclu sur ce dossier lors des premières années de la IIIème République n’a plus cours depuis l’insurrection de Kidal en mai 2006. Convient-il de le regretter ? Assurément. Il faut surtout espérer que ne se prolonge pas trop longtemps cette séquence faite de bruit et de fureur. Car les proches enjeux exigent qu’on les aborde, le cœur ardent, mais la tête froide.
G. DRABO
Mes chers journalistes du Mali, prenez exemple sur votre Ainé G. DRABO
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