En 16 mois, les challenges n’ont guère varié pour les Premiers ministres qui se sont succédé à la tête du gouvernement. Mais les urgences, si. Lorsque Oumar Tatam Ly entrait en fonction le 5 septembre 2013, les analystes étaient quasi unanimes pour lui affecter comme priorité la relance économique. Non seulement parce que son profil le prédisposait tout naturellement à cette mission, mais aussi parce que les dossiers politiques majeurs – particulièrement celui de la question du Nord du Mali – paraissaient relever logiquement de la prérogative du président de la République et surtout parce que ces dossiers paraissaient s’acheminer plus ou moins rapidement vers un règlement apaisé. Il faudrait certainement rappeler qu’à l’époque la situation sécuritaire dans le Septentrion malien s’était notablement améliorée, l’armée malienne capitalisait de manière apparemment satisfaisante le début d’expérience acquis dans la participation à l’opération Serval et aucun signe du retour des djihadistes mis en déroute n’était encore perceptible.
La préoccupation principale concernant le Septentrion se concentrait alors sur le très laborieux rétablissement d’un début de normalité socio-économique dans les grandes villes du Nord du Mali et sur la difficile réhabilitation d’un vivre ensemble considérablement éprouvé au niveau des différentes communautés. La seule véritable épine dans le pied de la nation était alors la situation de Kidal où le MNLA s’était réinstallé à la faveur de la libération de la ville par les troupes françaises et où l’entrée des forces maliennes faisait l’objet de très complexes tractations.
Sept mois plus tard, à l’intronisation de Moussa Mara le 5 avril 2014, la résolution de la question de Kidal avait atteint le niveau d’exigence principale au sein d’une opinion nationale ulcérée par un épisode survenu quelques semaines plus tôt. Le Premier ministre Ly, qui devait se rendre en visite dans la capitale de la 8ème Région, avait été contraint d’annuler son déplacement à la suite d’une manifestation de femmes qui avait bloqué la piste de l’aéroport. Mesurant toute l’intensité de l’attente populaire, le nouveau chef du gouvernement choisit d’y répondre en tentant le 17 mai un séjour à haut risque dans la capitale des Ifoghas, séjour conclu par une rencontre avec les représentants de l’administration territoriale. L’exercice politique aurait pu constituer pour son auteur une réussite magistrale s’il avait été conduit avec doigté et prudence. Mais l’acte qui était apparu dans un premier temps comme l’affirmation de l’autorité de l’Etat sur une partie contestée du territoire national et qui avait été salué sans réserve par une très large majorité de nos compatriotes, fut rapidement endeuillé par le massacre au gouvernorat de Kidal de huit fonctionnaires innocents, puis entièrement anéanti le 21 mai par une terrible déroute des FAMas à Kidal.
UN FAIT D’ARMES REMARQUABLE. Alors qu’il s’installe dans sa fonction, le tout nouveau chef de l’Exécutif gouvernemental affronte un challenge plus compliqué que celui proposé d’emblée à son prédécesseur. Mais il dispose aussi d’un avantage appréciable pour relever le défi dévolu. Modibo Kéita a, en effet, pris l’exacte mesure des difficultés qui l’attendent dans le dénouement du dossier de la paix et de la réconciliation. Cette question a atteint un degré inattendu de complexité amené par le durcissement de certains groupes armés qui fondent leur intransigeance sur ce qu’ils estiment être leur supériorité militaire ; par la radicalisation et la récurrence des affrontements sur le terrain entre éléments de la Coordination et de la Plateforme ; par l’intensification des actions terroristes dirigées contre les forces internationales ; par le retour de l’insécurité dans les parties australes du pays que l’on croyait débarrassées de cette menace ; et enfin par une forte réticence populaire à un certain nombre de concessions qui pourraient être accordées à ceux des mouvements rebelles partisans de l’instauration du fédéralisme.
Modibo Kéita, qui a eu la possibilité de prendre le pouls des acteurs sociaux à travers toute une série de rencontres, mesure mieux que beaucoup comment dans une situation où l’inflammabilité passionnelle a atteint un niveau incroyable, les arguments les plus convaincants peuvent se fracasser sur le mur de la négation obstinée. Son expérience et son tempérament le mettent fondamentalement à l’opposé de la tentative impétueuse de son prédécesseur, tentative qui aurait pu être le fait d’armes politique le plus remarquable de l’ancien P.M., mais qui s’est vite transformée en accusation la plus utilisée par les contempteurs de ce dernier et qui a détourné de lui la faveur populaire.
Alors que Moussa Mara a quitté l’avant-scène publique, une question se pose inévitablement : était-il venu trop tôt dans une fonction trop grande pour lui ? Répondre de manière péremptoire par l’affirmative serait excessivement sévère. Nous étions de ceux qui, à l’entrée en fonction du plus jeune Premier ministre qu’un président la République ait donné à notre pays, pensaient que le nouveau patron de l’équipe gouvernementale pouvait habiter sa fonction. Nous ne sous-estimions pas le handicap que représentait sa méconnaissance de la machine de l’Etat, ni son inexpérience dans une haute responsabilité publique. Mais nous pensions qu’il avait pour lui la saine d’ambition de se montrer un politique novateur et entreprenant, une évaluation exhaustive des pesanteurs qui avaient engourdi, puis désagrégé la gouvernance malienne et une perception intuitive des grandes attentes populaires, perception forgée tout à la fois par sa pratique d’élu municipal et la rapidité avec laquelle il appréhendait les codes des univers sociaux qui ne lui étaient pas naturellement familiers et qu’il avait eu la curiosité d’explorer.
Nous pensions qu’il réussirait le double challenge d’avancer tout en se fortifiant dans son métier de P.M. (car c’en est un de métier) en sachant s’entourer et en développant une grosse capacité d’écoute. Malheureusement, tous les atouts énumérés plus haut se sont rapidement dissous dans trois erreurs. D’abord, une approche fougueuse des dossiers à cause de laquelle, trop souvent l’intendance ne suivait pas l’idée. Ensuite, un agenda politique personnel trop clairement affiché et mené tambour battant, ce qui non seulement avait attisé l’animosité du RPM à son égard, mais avait aussi provoqué à certains moments l’agacement du chef de l’Etat. Enfin – et cela constitue un échec paradoxal pour celui qui fut un excellent communicateur dans d’autres fonctions -, une communication maladroite basée sur l’omniprésence et qui a créé autour de l’image de Mara tout à la fois un effet de saturation, une sensation d’accaparement et une impression d’éparpillement.
LA FIN DE L’ÉMIETTEMENT. Le nouveau Premier ministre ne se perdra certainement pas au milieu des mêmes écueils. Aussi bien son tempérament que sa longue pratique des affaires publiques et le positionnement particulier qui est le sien sur la scène publique le préservent des périls auxquels a succombé son prédécesseur. Grand commis de l’Etat, sa principale ambition sera certainement de remplir à satisfaction une mission extrêmement difficile et de trouver dans cet accomplissement le couronnement d’une carrière enviable. Modibo Kéita n’encourra certainement pas l’hostilité que le parti présidentiel avait nourrie à l’égard de ses prédécesseurs, hostilité que les deux jeunes Premiers ministres avaient, par leurs maladresses, contribuer à alimenter. Oumar Tatam Ly avait commis l’erreur de croire que le chef du gouvernement était automatiquement le chef de la majorité présidentielle et il s’était pris les pieds dans le tapis en essayant de piloter l’élection du président de l’Assemblée nationale. Moussa Mara avait été, pour sa part, immédiatement perçu par les Tisserands comme un challenger politique qui ne devrait pas boxer dans la même catégorie qu’eux sur le ring national, mais qui chercherait à compenser son déficit en poids par l’avantage que lui assurait sa rallonge primatoriale.
Le nouveau chef du gouvernement a soigneusement veillé à neutraliser les motifs d’antagonisme. Au lendemain de sa nomination, il avait rendu une visite de courtoisie à la direction du RPM et avait eu droit en retour à un communiqué chaleureux de ses hôtes qui ont également favorablement réagi à la formation du gouvernement. Le Rassemblement a de bonnes raisons d’être satisfait du traitement qui lui a été fait puisqu’il obtient dans l’Exécutif une position plus conforme à son importance. En effet, son Secrétaire général (représentant hiérarchiquement le plus important du Bureau politique national de sa formation) et ministre du Développement rural, Bocary Tréta, est désormais le N° 2 du gouvernement derrière le Premier ministre alors que dans la précédente équipe il se trouvait au 7ème rang.
Avec ces actes posés en direction de son premier partenaire politique, le chef du gouvernement a donc la certitude de s’éviter un compagnonnage acrimonieux avec le parti le plus important de l’Assemblée nationale, avantage ne sera pas de trop dans la très délicate partie qu’il entame. Sur un autre point, Modibo Kéita ne s’épargnera pas entièrement les remarques sur la taille du gouvernement, remarques qui avaient surgi dès l’entrée en fonction de Oumar Tatam Ly et qui au fil du temps étaient devenus l’un des griefs majeurs formulés par le citoyen moyen. Lequel garde toujours une nette préférence pour une équipe commando serrée comme un poing.
Au regard de l’attente populaire, la cure d’amaigrissement opérée est donc modeste. Mais, telle que gérée par le P.M., elle a au moins deux utilités. D’une part, elle met fin à un émiettement de responsabilités qui plaçait certains ministres en situation de « super directeurs » et qui rendait donc quasi inévitables les ingérences des uns dans le domaine des autres. D’autre part, elle permet de récupérer une partie des « économies » ainsi réalisées pour consacrer un département « plein » à la sécurité devenue une exigence essentielle en cette période de montée des incertitudes.
Autre point à relever, le Premier ministre s’est évité d’affronter la polémique par l’éviction de ministres qui ont plus ou moins approché les dossiers d’acquisition de l’avion de commandement et des équipements militaires. A notre avis, ces personnalités ont payé tribut non pas au souhait de sanctions formulé par le FMI (les enquêtes judiciaires sont encore en cours et tous bénéficient donc de la présomption d’innocence), mais à la dégradation de leur image dans l’opinion, dégradation survenue à la suite des assauts médiatiques répétés. Leur reconduite dans un nouveau gouvernement aurait soulevé un tollé qui aurait rendu largement inaudible le discours de remobilisation que tiendra certainement le Premier ministre entrant et aurait fait démarrer la nouvelle équipe avec un fort préjugé défavorable. L’effet de relance recherché par le président de la République aurait donc été compromis.
UNE VRAIE ÉCOUTE SOCIALE. Ce qui aurait été très difficile à assumer dans notre situation actuelle. Notre pays expérimente en effet son troisième chef du gouvernement en l’espace de seize mois et le chef de l’Etat a dû reconnaître que la mise qu’il avait faite sur la promotion d’une nouvelle génération de leaders au plus haut sommet de l’Etat s’est soldée par deux échecs. Le technocrate sans attache avec le monde partisan qu’était Oumar Tatam Ly n’a pas accepté les contraintes de ce que Dominique de Villepin, personnalité sans parti comme lui, désignait comme « le job le plus dur de la République ». Moussa Mara, étoile montante parmi les plus actifs cadets politiques, n’a pas suffisamment perçu ce que le poste de PM exigeait d’abnégation, un poste qui représente à sa manière une « fonction sacrificielle » (l’expression est d’Edith Cresson qui connut, elle également, une brève expérience à la tête d’un gouvernement).
Avec Modibo Kéita, le chef de l’Etat modifie totalement ses critères de choix en faisant appel à une personnalité d’expérience, familière du fonctionnement de la haute administration et largement impliquée dans le dossier le plus complexe dont le gouvernement a la charge. Le nouveau P.M. devra, certes, tenter de donner une impulsion décisive aux négociations sur l’avenir de notre Septentrion, mais d’autres impératifs à peine moins pressants l’attendent. Comme la réaffirmation de l’autorité et de la présence de l’Etat face à la montée combinée de l’incivisme et de l’insécurité. Comme l’instauration d’une vraie écoute sociale qui préviendrait la prolifération des incendies corporatistes et la pratique des solutions d’urgence. Comme l’amorce d’une relance économique qui ferait office d’oxygénothérapie pour de larges couches de notre société à qui fait défaut non pas l’obstination à se battre, mais une voie vers des lendemains plus cléments.
Dans le contexte très particulier dont n’est pas entièrement sorti notre pays depuis janvier 2012, ce serait céder à une facilité d’analyse que de considérer la nomination du nouveau chef du gouvernement uniquement comme un retour à la sécurité après deux tentatives d’innovation. Il convient en effet de rappeler que notre pays vit une période de difficulté inédite dans son histoire récente et qu’il doit par conséquent se trouver des voies de sortie jamais pratiquées auparavant. Dans cette conjoncture, il ne peut donc y avoir a priori de profils absolument adaptés à la situation pour conduire l’action gouvernementale. Le seul choix qui vaille est de mettre en mission des femmes et des hommes prêts à se dépouiller pour remplir avec résolution et ouverture d’esprit la tâche quasi historique qui leur échoit. Des femmes et des hommes de fortes convictions, mais aussi en constante interrogation. Car refuser de se questionner, c’est abdiquer de la vigilance face à une réalité dont nous ne maitrisons malheureusement pas toutes les évolutions.
G. DRABO
Les attentes de la population c’est aussi l’expression de la volonté de renouveler le personnel du Gouvernement qui est un volet de la lutte contre la corruption, que Drabo ne relève pas, et qui ne peut s’accommoder du retour aux affaires de personnalités aussi sulfureuses que Choguel K. Maiga et Mohamed Ag Erlaf. Elles sont précédées de préjugés de corrupteurs, corrompus et prédateurs des fonds publics.
Le nouveau Premier ministre devra prouver que le Chef de l’Etat reste engagé dans cette voie, même si les événements de 2014 (achat avion et matériels militaires, surfacturations…) ont fortement mis en cause sa crédibilité.
Le Chef de l’Etat nous doit d’ailleurs un bilan sur l’année 2014, année décrétée de lutte contre la corruption. Je lui rappelle à cet égard l’une des qualités prêtées au Chef: il parle peu et agit davantage, et quand il parle, il agit en conséquence. C’est bien connu dans le Mandé.
Sacré GD
VUE DE TOUS CES PROBLEMES DE LEADERSHIP JE COMMENCE à M'INQUIETER POUR L'AVENIR DE NOTRE CHER MALI.
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