Tel a été le message du Premier ministre devant l’Assemblée nationale. Telle pourrait être qualifiée l’attente des Maliens vis-à-vis de l’action gouvernementale
Il faut nous faire à cette idée et donc accepter sans restrictions toutes les conséquences qui en découlent : le Mali est définitivement entré dans une nouvelle séquence de son Histoire, mais personne ne peut aujourd’hui véritablement estimer la capacité de notre pays à s’adapter aux réalités inédites qu’il affronte. Nous n’avons en fait d’autre choix que celui d’acquérir de nouvelles certitudes dans l’action en gardant à l’esprit que notre droit à l’erreur est restreint, que le temps n’est en aucun cas notre meilleur allié et que nous nous trouvons dans la nécessité de mener de front un triple exercice de réflexion, de réforme et de rupture. De réflexion sur les décisions, les actes et les comportements qui ont précipité le pays vers la double épreuve subie en 2012 ; de réforme pour porter enfin remède à des maux identifiés de longue date, mais qui ont été jusqu’à présent soumis à un traitement prodigué à doses homéopathiques et intermittentes ; de rupture enfin d’avec l’engourdissement qui a gagné le pays aux cours de ces dernières années et qui pousse le citoyen ordinaire désabusé à s’investir uniquement dans sa propre survie.
Ce que nous entamons et ce qui nous attend n’est ni simple, ni évident. C’est pourquoi, il n’est pas inutile de nous interroger en permanence. Non pas pour différer le moment d’aborder l’obstacle, mais pour éviter de se fracasser sur celui-ci. S’il y a une grande question qui domine toutes les autres, c’est bien celle du juste équilibre à établir dans tout ce qui sera entrepris. Comment abandonner les laxismes anciens et la permissivité sans nous départir des vertus traditionnelles de pondération et de tolérance qui nous ont permis de rétablir tant de situations compromises ? Jusqu’où pousser l’autocritique et la remise en cause sans tomber dans l’auto-flagellation et se désarmer soi-même moralement ? Qu’abandonner des projets mirifiques de naguère sans donner l’impression d’abdiquer de l’ambition ? Comment éviter que l’obsession de la cadence à observer ne favorise un volontarisme forcené qui lui-même produira « les impasses le lendemain » (selon l’expression utilisée il y a une semaine par le Premier ministre) ?
L’IMPUISSANCE ET L’INDIFFÉRENCE. Ces questionnements ne sont pas bénins, mais, comme nous le disions plus haut, il faut les poser tout en avançant. Sinon, comme le disait le ministre français feu Couve de Murville, à force d’annoncer ce que nous allons faire, nous ne faisons plus ce que nous avons annoncé. Ce n’est certainement pas le péril de l’immobilisme qui guette Moussa Mara si l’on en juge par l’intonation globale de la Déclaration de politique générale présentée la semaine dernière aux députés. Devançant certaines critiques, le chef du gouvernement a expliqué qu’il avait délibérément opté pour un document très long pour être pris au mot et pour être évalué sur la réalisation des actions annoncées.
A cet égard, la DPG devrait combler les députés soucieux d’assurer un contrôle méticuleux de l’action gouvernementale. La soixantaine de pages qui leur ont été fournies leur permettront de suivre aisément, au cours des quatre prochaines années, les avancées ou les retards dans l’exécution du programme de travail gouvernemental. En dehors du choix fait pour un document d’une longueur inusitée, le Premier ministre a indiscutablement apposé sa marque dans la formulation de certaines remarques. Le chef du gouvernement a mis dans celles-ci les constats issus non pas de sa courte expérience ministérielle, mais de sa pratique en tant que maire d’une des grosses et complexes communes de Bamako, de politique désireux de comprendre la situation au Nord du Mali et qui n’a pas ménagé ses déplacements sur le terrain (auprès des réfugiés notamment) pour pouvoir alimenter sa propre analyse ; et enfin d’intellectuel frappé par la déliquescence continue de l’Etat et surtout par la montée du phénomène que certains théoriciens ont désigné comme une « démocratie déceptive ». Dans cette démocratie, le citoyen, lassé de subir l’impuissance et l’indifférence des pouvoirs publics, s’affranchit lui-même des règles et des lois en vigueur et se donne le droit de chercher les solutions les mieux adaptées à son seul confort. Peu importe à ce citoyen si sa démarche profondément individualiste lèse l’intérêt commun puisqu’il ne se sent plus lié à aucun ensemble.
La DPG livre une courte, mais significative énumération de ces comportements « déceptifs » dont se rendent coupables des représentants de presque toutes les couches socio-professionnelles du pays, allant des hommes en uniforme aux négociants en passant par les jeunes diplômés, les commerçants et les chefs de service. En prenant acte de cet état d’esprit qui gagne du terrain, le PM sait donc qu’il lui est indispensable non seulement de mobiliser et d’unir autour de lui les bonnes volontés, mais aussi de rallier ceux qui au départ se rangent dans la catégorie des désabusés et des sceptiques. Il sait aussi le challenge que cela représente que de s’attaquer à des bastions à la longévité éprouvée comme le circuit du règlement des factures de l’Etat où, a déploré le chef du gouvernement, l’imposition de la règle « payer pour se faire payer » a introduit de graves dérèglements.
Le style Mara s’est retrouvé également dans l’alerte donnée sur la baisse de qualité dans la formation des jeunes Maliens. Le PM n’a pas hésité à jouer de la dramatisation en qualifiant d’ « attaques de Konna » silencieuses et quotidiennes la perte de compétence de nos diplômés et la pole position dont pourraient s’emparer sur notre marché de l’emploi les jeunes venus d’autres pays. Ce scénario de la dépossession des Maliens de leur devenir dans leur propre pays est sans doute extrême, mais il n’est certainement pas improbable si l’école malienne poursuit sa glissade vers l’abîme de la médiocrité.
L’EFFET DES NUISANCES ET DES DÉSTABILISATIONS. La griffe de Mara, c’est enfin l’énoncé d’évidences qui ne sont pas toujours faciles à faire admettre par l’opinion publique, mais qu’il serait absurde de rejeter aujourd’hui. Ces évidences concernent en premier lieu la situation au Nord du Mali. Sur le plan de la sécurisation des Régions septentrionales, le chef du gouvernement a insisté en creux sur l’importance des efforts à déployer pour permettre à l’armée malienne, qui a été conçue et bâtie pour des batailles conventionnelles, de faire face à des menaces asymétriques. Le PM a aussi chiffré le gap à combler (65 milliards de FCFA annuels) pour permettre aux FAMA de remplir convenablement leurs missions qui ont considérablement évolué dans le nouveau contexte régional, voire continental. Sur la résolution définitive des problèmes de notre Septentrion, Moussa Mara a réitéré une déclaration faite en amont de la DPG : le gouvernement avancera « doucement » sur ce dossier. Devant les députés, il a eu à préciser sa pensée. La nécessité de se hâter avec lenteur répond à un double impératif. Celui d’éviter tout d’abord les solutions trop hâtivement montées et qui amènent inévitablement la résurgence des troubles. Celui d’accepter ensuite de tenir compte de la complexité accrue de la situation actuelle, complexité amenée par les conséquences de la présence prolongée des narcotrafiquants et de la longue occupation djihadiste. L’effet des nuisances introduites et des déstabilisations provoquées par ces deux facteurs persistera encore longtemps, rendant plus ardu et plus délicat le travail de réconciliation.
Dans l’ensemble, le chef du gouvernement s’est tiré d’affaire avec aisance lors de ce grand oral devant l’Assemblée nationale. Il a été aidé en cela par l’exhaustivité et la qualité de son document. Mais aussi par son savoir-faire de communicateur qui lui a souvent facilité l’exercice pédagogique et qui lui a notamment permis de donner des explications précises sur l’acquisition de l’avion présidentiel. Les éclaircissements fournis sur ce dossier polémique n’éteindront certainement pas les débats sur l’opportunité d’un tel achat dans la conjoncture actuelle, chaque partie campant de manière irréductible sur ses positions. Mais ils lèvent déjà l’équivoque sur la démarche suivie ainsi que sur l’état et le statut du précédent aéronef présidentiel.
La prestation réussie de Moussa Mara lui a valu les félicitations appuyées des ténors du camp présidentiel, et tout particulièrement du RPM. Les assurances répétées d’accompagnement prodiguées par les Tisserands mettent (provisoirement ?) fin aux rumeurs de contestation de la légitimité du Premier ministre. Rumeurs qui ne sont guère étonnantes quand on se rappelle que des préventions similaires avaient accompagné certains chefs de gouvernement nommés par Alpha Oumar Konaré et qui n’avaient pas eu l’heur de plaire à tous les éléphants du PASJ. Rumeurs auxquelles il faut accorder une toute relative importance, car se défier du PM sans l’avoir vu en action revient à désavouer le président de la République qui l’a nommé. Or, cette hypothèse est dans un contexte où la vague RPM a été la fille de la déferlante IBK est pour le moins inimaginable. Moussa Mara bénéficie donc pleinement de l’ « accompagnement vigilant » (selon la formule consacrée) de la majorité présidentielle. Il lui faut désormais s’attirer la confiance de l’opinion.
DANS LE CONTEXTE EXCEPTIONNEL. Cette dernière ne lui est pas hostile, mais elle reste dans sa majorité encore dubitative sur ses chances de réussite. A cause de son expérience neuve dans le traitement des grands dossiers nationaux, des préjugés négatifs attachés à la taille, donc à l’efficacité du gouvernement, des interrogations sur la qualité de la collaboration entre le PM et les poids lourds de l’équipe gouvernementale. Face à ces réserves compréhensibles, Moussa Mara n’a pas trop le choix de la méthode. A l’Assemblée nationale, il avait trouvé le ton juste et la juste approche. Pour reprendre la formule d’un analyste français (dont nous avons malencontreusement égaré les références), le PM a tenu devant les députés un discours de vérité et de volonté. De vérité, parce qu’il est important que certains constats soient dressés sans fard alors que s’amorce la sortie de presque deux ans de crise et que rien ne soit dissimulé de l’ampleur de l’effort à consentir pour revenir progressivement à la normale. De volonté, car le Mali qui se trouve désormais dos au mur est obligé de montrer en actes sa détermination à faire sa part du chemin, car l’aide internationale sera proportionnelle à l’implication démontrée et à la lisibilité de la démarche adoptée.
L’attente des citoyens maliens à l’endroit du chef du gouvernement n’est pas difficile à déchiffrer. Nos concitoyens sont eux également demandeurs de vérité et de volonté. Mais aussi d’actes susceptibles de restaurer au plus vite l’espérance et un début de confiance en l’avenir. Notre pays part d’assez bas parce qu’il revient de très loin. Mais il ne peut pas et il ne doit pas s’accepter lui-même comme une nation à genoux, réduite à attendre une manne venue d’ailleurs. Les cinquante-quatre années de son existence passée se sont passées dans un qui-vive quasi permanent, la modicité des ressources du Mali et sa vulnérabilité aux chocs exogènes lui imposant une culture de l’effort. Ce passé de difficultés surmontées a conféré à nos compatriotes ce qu’on pourrait appeler le génie de la réémergence.
Mais dans le contexte exceptionnel que nous connaissons, ce génie a besoin d’un point d’appui pour ne pas laisser la léthargie le submerger et pour vraiment s’exprimer à nouveau. Des actions inscrites dans la DPG comme les mesures d’urgence de relance économique, le soutien au pouvoir d’achat de certaines couches démunies, la remise en état de l’outil de production et des services de base au Nord du Mali, constituent autant d’initiatives salvatrices pour des populations pour qui le vivre au quotidien est devenu un challenge renouvelé chaque matin. Il y a donc urgence à ne pas laisser s’abandonner à la désespérance ceux qui ne sont pas en panne de courage, mais à qui les moyens de se battre font défaut. Et à leur éviter d’être les victimes d’un autre désastre silencieux.
G. DRABO
Merci Monsieur Drabo tu es et reste un journaliste objective dans tes analyses. Si tout le monde journaliste du Mali était comme toi les maliens seront bien informé et bien éduqué Merci Prof
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