Une juste évaluation des événements de la semaine passée souligne l’importance démesurée donnée à une surchauffe passagère
Du bruit et de la fureur, il y en a certes toujours eu dans la vie politique malienne. Mais à une fréquence et une intensité variables, cette fréquence et cette intensité épousant elles-mêmes les sinuosités empruntées par notre processus démocratique. Les relations qu’entretiennent depuis 23 ans majorité et opposition ont été en effet abonnées aux aléas d’une météo partisane variable. Elles ont été, tour à tour, orageuses, tempétueuses ou caniculaires. Il y eut même de (très) courts moments au cours desquels elles choisirent d’être apaisées. Cependant au cours de ces dernières années, la plupart des acteurs politiques majeurs privilégient une relative pondération dans leurs attitudes, se conformant en cela au tempérament le plus répandu chez nos compatriotes capables d’emportements, mais peu enclins à persévérer dans une tension durable.
Mais cette règle générale – qui, répétons-le, s’est installée assez récemment – comporte ses exceptions bien connues dont la première se situe au tout début du mandat initial du président Konaré. Les très larges scores obtenus par l’Adema-PASJ dans les consultations générales organisées en 1992 (municipales, puis législatives et présidentielle) furent très mal acceptés par les forces politiques concurrentes. Celles-ci dénoncèrent un retour déguisé au parti unique et entamèrent rapidement une contestation active de l’autorité en place. Même l’offre de partage de la gestion des institutions initiée par le chef de l’État à travers la proposition d’un Pacte républicain n’eut pas raison de la virulence des opposants.
Aujourd’hui que la vie politique a adopté un rythme moins enfiévré, beaucoup de nos compatriotes ne gardent certainement pas un souvenir tout à fait exact des antagonismes très forts qui prévalaient à l’époque et qui dépassaient le cadre de simples divergences. Pour situer la profondeur des désaccords et la tension extrême qui présidait aux rapports entre adversaires politiques, il faut se rappeler que des dirigeants du PASJ – et pas des moindres – avaient ouvertement accusé l’opposition d’adopter un « comportement putschiste ». En clair, d’œuvrer délibérément au pourrissement de la situation sociale et à la détérioration du climat scolaire pour susciter une nouvelle entrée en scène de l’Armée. Les tensions qui caractérisaient le premier quinquennat du Mali démocratique furent provisoirement mises en veilleuse entre avril 1993 et février 1994, le temps que demeure en exercice le gouvernement « à base politique élargie » qui incluait en son sein des ténors de l’opposition.
L’EFFET DES CONTENTIEUX CUMULÉS. Les discours recouvrirent cependant leurs tonalités d’airain après le départ de l’Exécutif non seulement des opposants, mais aussi des représentants de certains partis signataires du Pacte républicain. Mais la véritable confrontation – il faut bien l’appeler ainsi au regard des actes violents qui l’émaillèrent et des dispositions radicales que prit le gouvernement – se déclencha juste après le fiasco organisationnel qu’offrit le premier tour des législatives du 13 avril 1997. Les opposants exigèrent alors la démission du gouvernement, la dissolution de l’Assemblée nationale et de la Commission électorale indépendante, le gel du processus électoral et l’institution d’une autorité de consensus pour éviter à la nation un vide institutionnel et pour sortir le pays de la crise. Un tel scénario était évidement inacceptable pour le président Konaré. Le chef de l’État prononça la dissolution de l’Assemblée nationale pour lancer le compte à rebours dans l’exécution d’un agenda électoral de crise qui faisait notamment passer l’organisation de la présidentielle devant celle des législatives.
En riposte, ses adversaires s’organisèrent dans le Collectif des partis politiques de l’opposition (le devenu célèbre Coppo) pour perturber la reprise du processus électoral. La contestation perdurera après l’élection du président Konaré et, fait jusqu’ici unique dans notre pays, des leaders de l’opposition furent interpelés et placés en détention. La décrispation lancée à travers un Forum politique organisé en début d’année 2000 demeura tout à fait partielle. Le Coppo, malgré des défections enregistrées dans ses rangs, restera jusqu’au bout fidèle à sa ligne radicale, celle de la non reconnaissance des autorités élues en 1997. Le consensus politique, mis en œuvre à partir de 2002 par le président Touré, a au moins eu le mérite de réduire la fracture apparue en 1997 et de faire collaborer des forces politiques qui sous l’effet de contentieux cumulés avaient de fait éliminé la possibilité de travailler un jour ensemble.
Mais en dépit de la réconciliation opérée entre acteurs politiques, la décennie 2002-2012 ne fut pas dans son intégralité un fleuve tranquille. Notamment lorsque le RPM, première force parlementaire à l’Assemblée nationale, prit en 2006 de manière spectaculaire le contrepied du traitement présidentiel appliqué à une nouvelle rébellion touarègue, traitement qui aboutit à la conclusion de l’« Accord d’Alger pour la restructuration de la paix, de la sécurité et du développement dans la Région de Kidal ». Les Tisserands accentuèrent encore leur prise de distance avec le chef de l’État en se positionnant lors de la législature suivante dans l’opposition avant d’accepter de faire leur entrée dans un gouvernement que Amadou Toumani Touré avait lui-même qualifié de « neutre ».
Le retour à un clivage politique plus classique s’est opéré avec la présente législature qui a notamment entériné la disparition de cette originalité incongrue que représentait l’existence dans la précédente Assemblée nationale d’un groupe indépendant hypertrophié (15 députés). La présente composition du Parlement en mettant fin à certaines ambiguïtés de naguère a revivifié le duel entre l’opposition et la majorité présidentielle.
SANS CIRCONLOCUTIONS. Un duel qui, après une période de rodage, est monté régulièrement en intensité. Mais un duel qui a aussi mis en évidence chez les opposants des nuances sensibles dans les munitions utilisées et dans la manière de porter les attaques. L’URD et les FARE, certainement influencées par le tempérament de leurs leaders respectifs, ont opté pour un style évoquant celui utilisé dans les démocraties occidentales par des partis de gouvernement qui font le pari de revenir dans un délai raisonnable aux affaires et qui se montrent donc désireux de prouver à l’opinion que leur sévérité dans la critique peut s’accompagner d’une certaine retenue dans l’expression.
Le PARENA, de son côté, a choisi le procédé de l’interpellation : immédiateté du jugement, extrême réactivité sur tous les dossiers qui pourraient se révéler embarrassants pour le gouvernement, relance continue sur les sujets polémiques en variant les angles d’attaque et jugements très durs sur la gouvernance instaurée par les autorités actuelles. Depuis septembre dernier, c’est-à-dire depuis le deuxième anniversaire de l’entrée en fonction du président de la République, le parti du Bélier a choisi de concentrer plus particulièrement ses piques sur le bilan du chef de l’État. Dans cet exercice, il n’a pas varié de son style habituel si ce n’est en renforçant la dose de vitriol. Cette méthode a préparé d’une certaine manière l’incident de la semaine dernière.
Nous disons « préparé » en nous référant – avec tout le respect dû – au tempérament du chef de l’État. Tempérament que très peu de Maliens n’ignorent en fait puisque les manifestations ont pu en être remarquées depuis l’époque où Ibrahim Boubacar Keïta exerçait les fonctions de Premier ministre. En ces temps où notre pays essuyait un tir de barrage presque continu de la part des grands médias, et où les États occidentaux et certaines nations arabes percevaient la rébellion au Nord du Mali comme un conflit interethnique, le chef du gouvernement fut le premier officiel malien à porter vigoureusement la réplique aux thèses erronées qui proliféraient et à demander qu’une compassion égale soit accordée à toutes les victimes. Le P.M. faisait ses mises au point sans agressivité inutile, mais sans s’embarrasser non plus de circonlocutions diplomatiques, désarçonnant régulièrement des interlocuteurs peu habitués à se voir reprendre de manière aussi ferme.
Tout récemment encore, le président de la République n’avait pas hésité à répliquer immédiatement et publiquement à une formule malheureuse de Hervé Ladsous, secrétaire général adjoint de l’Onu, qui souhaitait voir le Mali respecter sa part d’engagement pris dans le cadre de l’Accord pour la paix et la réconciliation. Le ton courtois, mais incisif utilisé en la circonstance s’écartait des usages diplomatiques, mais la mise au point, plutôt rugueuse dans son fond, avait été positivement appréciée par les citoyens lambda. Le chef de l’État connaît lui-même son impulsivité et il avait encore récemment remercié publiquement le Premier ministre de l’avoir aidé à dompter certaines de ses réactions. Semblable à celle qui le fit apostropher avec vivacité Tiébilé Dramé.
SANS VRAIE TRACE POLITIQUE. Notre excellent confrère Saouti Haïdara a restitué dans l’Indépendant du vendredi de la semaine passée l’ensemble des événements parisiens qui avaient laissé penser au président de la République qu’une cabale s’organisait à l’initiative du Parena pour dévaloriser la visite d’État organisée en France. Ibrahim Boubacar Keïta avait déjà laissé filtrer son ressentiment lors de la rencontre avec nos compatriotes à Paris avant de lancer à Bamako ce qui est, à notre avis, une sévère admonestation à son opposant le plus virulent. Un détail significatif est à relever dans l’enchaînement des événements. Lorsqu’on revient sur la couverture faite par la presse sur le retour du chef de l’État, l’on remarque que les propos présidentiels n’avaient pas suscité un émoi particulier parmi nos confrères. La montée de fièvre est venue après la réplique acerbe du leader du Parena et elle a atteint des degrés disproportionnés par rapport à son élément déclencheur.
Ce que n’ont pas manqué de faire remarquer certaines personnalités de camps pourtant opposés. Ce qu’a aussi traduit d’une certaine manière la réaction collective des opposants survenue en fin de semaine dernière. Le chef de file de l’opposition a tout naturellement manifesté sa solidarité envers une personnalité de son bord qui s’est estimée vilipendée sans fondement. Mais il a surtout détaillé ses craintes de voir la liberté d’expression désormais bridée. La bonne question à se poser consiste donc à savoir de quoi est annonciateur l’épisode d’échauffement.
D’un durcissement des relations majorité-opposition ? Nous ne le pensons pas. La seconde n’a jamais ménagé la première depuis 2013, mais les échanges les plus musclés et les propos les plus excessifs n’ont pas fondamentalement transgressé les limites de l’affrontement strictement politique. Il n’y a objectivement aucune raison pour que cela change. D’une possible restriction de la marge de manœuvre des opposants ? Rien ne le présage et rien ne pourrait le motiver, les contradictions actuelles sont bien moindres que les antagonismes qui prévalaient en 1997 et qui avaient amené le recours à l’arme de la rue. De la montée de l’intolérance du côté des autorités ? Le signal ne peut en être donné par le président de la République qui en plusieurs épisodes de sa longue carrière politique a déjà repoussé les incitations des boutefeux.
Le désagréable épisode de la semaine passée passera donc sans laisser de vraie trace politique. Il faut faire confiance au temps pour ramener les événements à leur vraie dimension et à leur juste signification. L’opposition est dans son rôle lorsqu’elle surévalue l’importance de ce qui s’est passé et la possibilité de menaces sur la démocratie malienne. Mais sa connaissance des réalités actuelles lui indique sans doute qu’il est inutile de persister dans cette alarme. D’autres motifs de préoccupation ne manquent pas qui sont, eux, relatifs au quotidien de nos compatriotes.
G. DRABO
Belle plume; bonne analyse ; rien à redire. Bravo!
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