L’avenir politique au Mali : L’ombre de l’antécédent

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Photo d’archives
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Faute de n’avoir jamais vraiment analysé les racines de la crise de 2012, la démocratie malienne ne fournit que des réponses partielles à ses insuffisances

Un quart de siècle, ce sera l’âge qu’atteindra dans un peu plus d’un an – le 26 mars 2016 – la démocratie malienne. Ce sera alors certainement le moment de revoir en détails le chemin parcouru ; de s’interroger pour savoir s’il est toujours opportun d’accoler le qualificatif « jeune » à une pratique qui a inventé ses visages au fur et à mesure qu’elle progressait ; d’évaluer l’hypothétique empreinte laissée par la Révolution de mars  dans les jeunes générations qui ont, entretemps, expérimenté brièvement l’arbitraire avec les excès de l’éphémère Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat ; de rechercher pour quelles raisons cette Révolution a dévié de la trajectoire d’exemplarité qu’elle avait l’ambition de s’imposer ; et de mesurer à quel point l’exercice du pouvoir a éparpillé les idéaux premiers.
Viendra pour 2016 – du moins, espérons-le – le temps d’un exercice dont notre pays éprouve régulièrement le besoin et qu’il n’exécute presque jamais, celui d’un inventaire national exhaustif et dépassionné. La seule tentative notable faite en ce sens et qui mérite encore qu’on lui prête attention a été certainement le « Rapport sur l’état de la nation » initié en 1991 par le Premier ministre d’alors, Soumana Sako et examiné lors de la Conférence nationale de juillet-août 1991. Bien qu’amoindri dans son contenu par le délai très court accordé à sa confection, le document présentait l’avantage non négligeable de tenter d’expliquer pourquoi le Mali en était arrivé à prendre un virage aussi brutal et vers quoi il avait la volonté de repartir.
Il reste dommage qu’un exercice similaire – sous la forme cette fois-ci d’une somme d’analyses sectorielles et mené de manière plus exigeante – n’ait pas été proposé en 2010. Le Cinquantenaire a malheureusement laissé le faste de la commémoration prendre le dessus sur l’utilité à revisiter le grand roman de la nation. Quant à la Transition de 2012-2013, qui avait pourtant eu à gérer une crise sans précédent dans le Mali moderne, elle n’a jamais fait du travail d’analyse, de critique et de prospective un élément essentiel de son agenda. Sans doute parce que les principaux protagonistes avaient pressenti (à juste raison) qu’ils n’auraient pas la capacité d’encadrer une concertation nationale, quelque soient les objectifs que cette dernière se serait donnés et que les conclusions qui en auraient été issues auraient infailliblement conduit à une tentative de limitation de leur pouvoir. Cette appréhension des hommes forts du Comité et l’absence d’enthousiasme du gouvernement permettent de comprendre les nombreuses annonces restées sans lendemain.

L’INVRAISEMBLABLE EFFONDREMENT. L’inventaire 2016, s’il était organisé, devrait s’efforcer d’éviter certains écueils. Il aura à se garder des personnalités qui auraient comme préoccupation dominante l’ambition de valoriser leur place personnelle dans la grande Histoire du Mali ; des bilans qui se limiteraient à être une litanie de bonnes intentions mal exécutées et de données réajustées ; de la passion politicienne dont les hérauts tenteront la relecture des événements fondamentaux ; et du danger que le panégyrique se fasse entendre plus fort que la critique. Souhaitons dès maintenant que l’exercice intéresse suffisamment les chercheurs pour que ceux-ci produisent un vrai travail d’analyse sur une date-jalon de notre histoire, sinon l’anniversaire de celle-ci serait escamoté dans une formalité sans réelle signification.
L’intention de la présente chronique n’est cependant pas d’anticiper sur ce que devrait être un vrai hommage à rendre au 26 Mars. Elle est considérablement plus modeste et se limite à relever partiellement l’état de santé de notre démocratie à l’instant « T ». C’est-à-dire à un moment où il lui faut affronter une conjoncture particulièrement complexe. A un moment aussi où nombre des acteurs publics ébranlés par la crise sécuritaire et institutionnelle n’ont pas encore reconquis l’estime et la confiance de l’opinion nationale. La difficulté de cette réhabilitation réside dans le fait qu’elle est purement empirique. Il n’a jamais été établi par la nation un véritable diagnostic sur l’invraisemblable effondrement de l’Etat en 2012. Invraisemblable parce que cet effondrement s’est incarné dans deux événements imprévisibles et hors norme : un putsch exécuté avec une facilité dérisoire et à une date paradoxale ; et une occupation des deux-tiers du territoire national par les groupes djihadistes. Chacun de ces événements aurait pu à lui seul faire vaciller une nation, l’effet cumulé des deux nous avait inexorablement amenés au bord d’un chaos évité de justesse par le déclenchement de l’opération Serval.
Le sauvetage opéré par une intervention extérieure a eu comme effet indirect l’enterrement définitif de l’autocritique nationale. Sur l’insistance pressante de nos partenaires, le pays a immédiatement embrayé sur les nouvelles urgences que constituaient l’organisation des présidentielles et le traitement politique de la situation au Nord du Mali. Exit donc le brainstorming sur les erreurs et les fautes qui ont fait cheminer le pays vers l’abîme. Place à la dénonciation sommaire des pratiques négatives et à l’énumération succincte des changements à apporter. Si l’on doit tirer aujourd’hui un bilan provisoire de la méthode adoptée par le personnel politique, on dira que pour le moment ni la révolution comportementale, ni la rupture avec l’antécédent ne sautent aux yeux du Malien moyen. Il faut se souvenir que l’un des effets pervers du consensus dans la forme sous laquelle il avait été pratiqué sous le président Touré avait été l’atonie de la vie politique. La participation à l’exercice du pouvoir n’avait été encadrée par aucune négociation politique préalable et les partis s’étaient glissés dans le prêt à gouverner qui leur était offert en s’exonérant d’avance de toute responsabilité dans la gestion des difficultés et des échecs.
Les formations politiques n’étaient astreintes qu’à une seule et unique obligation, celle de fournir au chef de l’Etat une majorité parlementaire confortable et loyale. Mais même cette exigence s’était faite moins pressante au cours de la législature 2007-2012 puisque le nombre de députés inscrits sous l’étiquette « Indépendants » et qui avait explicitement exprimé son accompagnement de l’action présidentielle avait enflé jusqu’à constituer la troisième force de l’Assemblée nationale, blindant un peu plus la garantie de sécurité offerte à l’Exécutif. Mieux encore, le groupe initial composé de quinze députés avait enregistré l’adhésion en cours de mandat de neuf transfuges venus de l’URD et du PASJ. La conséquence de cette peu flatteuse évolution était prévisible : la majorité présidentielle entièrement absorbée par son zèle d’accompagnement oublia qu’en tant que représentation nationale, elle devait conserver une faculté de veille sociale grâce à laquelle elle pouvait infléchir les projets gouvernementaux.

RIEN DE NOUVEAU. Les députés furent exemptés d’une première défaillance dans cette fonction lorsque le gouvernement voulut leur faire examiner un projet de loi abolissant la peine de mort. Fort heureusement, les autorités surent interpréter à temps les signaux que leur avaient expédiés divers partenaires sociaux. La réticence non dissimulée des cercles religieux et la désapprobation évidente d’une large majorité de la population entrainèrent la suspension de l’examen du texte. Par contre, le parlement ne sentit rien venir quand le projet de Code du mariage et de la famille atterrit sur sa table. Et tout comme le gouvernement, il se retrouva complètement démuni quand se leva avec une violence inattendue la tempête de la contestation.
Aujourd’hui, le RPM avec sa majorité absolue au Parlement est assuré d’un confort de gouvernement. Mais il ne peut ignorer la manière peu orthodoxe dont ses rangs se sont singulièrement gonflés avant les élections avec l’afflux de transfuges d’autres formations et après les élections avec le ralliement des « nomades «. Il ne peut non plus fermer les yeux sur les batailles de positionnement acharnées qui se livrent actuellement en son sein en vue du choix des candidats pour les communales et les régionales. Il ne peut enfin traiter par l’indifférence les récriminations en sourdine de ses alliés qui se jugent mal récompensés de leur ralliement.
A cet égard, comme l’auraient dit les Latins, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Le parti présidentiel est soumis aux mêmes sollicitations intéressées qui avaient été adressées avant lui aux Rouges et blancs, puis au Mouvement citoyen et enfin au PDES. Et malheureusement, il donne à ces requêtes les mêmes réponses que ses devanciers. Ces derniers, comme le font les Tisserands aujourd’hui, pratiquaient la chasse aux chiffres. Ils se focalisaient sur l’importance arithmétique des ralliements, et non sur la qualité des renforts. Le RPM avait pourtant d’autant plus intérêt à se départir de la tactique de l’accumulation que l’affaiblissement subi par son appareil entre 2007 et 2012 l’incitait objectivement à se montrer pointilleux sur la valeur politique de ses renforts. Cela pour muscler sa capacité d’analyse des phénomènes nationaux et pour améliorer l’accompagnement qu’il doit assurer au chef de l’Etat.
L’actualité est là pour rappeler que l’exigence d’anticipation du parlement est plus que jamais de rigueur sur le plan social. Des autorités religieuses se sont ouvertement élevées contre le projet de loi déposé à l’Assemblée nationale et destiné à améliorer la présence des femmes dans la vie publique. Le mouvement Sabati 2012 a, pour sa part, procédé de manière plus subtile en formulant non pas son opposition, mais sa préoccupation sur les conséquences qu’entrainerait l’adoption du texte en l’état. Il suit exactement la même démarche qu’avaient adoptée en fin 2007 les adversaires de l’abolition de la peine de mort. Au rejet frontal, ceux-ci avaient préféré la mise en garde feutrée, mais explicite. Il sera intéressant de voir le sort que va réserver l’AN à un texte volontariste, mais au bénéfice duquel l’indispensable travail de persuasion et d’affinement n’a sans doute pas été effectué.

UNE APPRÉCIATION PARTAGÉE. L’autre baromètre sur lequel va se mesurer l’amélioration de la pratique politique dans notre pays est constitué par l’usage que fera l’opposition des nouveaux modes d’action qui s’offrent à elle à travers le statut qui lui a été accordé. Les attributions de représentation dont bénéficiera son chef de file, les canaux d’échange ouverts entre ce dernier et les plus hautes personnalités de l’Etat, l’imprégnation qui sera la sienne des dossiers les plus importants de la nation et l’éclairage médiatique dont seront entourées ses initiatives boosteront certainement le gain d’image pour ceux des partis qui ont l’ambition d’être de gouvernement, autrement dit, de diriger un jour les destinées du pays.
C’est donc un défi de qualité d’action qui est aujourd’hui lancé à l’opposition. Les plus expérimentés de ses dirigeants ont constamment proclamé leur refus de la récrimination systématique tout comme ils ont régulièrement pointé l’ostracisme dont ils seraient victimes au niveau des médias publics. Cette dernière restriction désormais surmontée, les opposants auront un réel challenge à relever, celui de rendre crédible leur différence. Car la mauvaise image du politique auprès du Malien lambda les frappe autant que la majorité. Et les sondages les plus crédibles montrent bien que la côte de popularité de leurs leaders les plus connus reste modeste.
En outre, sur le dossier des négociations de paix d’Alger qui est celui ayant éveillé le plus de passion dans le pays réel, l’opposition a souffert de l’activisme démontré par la société civile et, surtout, elle s’est montrée plutôt embarrassée lorsqu’il lui a fallu dégager une appréciation partagée du traité paraphé à Alger. A la récente rencontre du gouvernement avec les forces vives de la nation, les opposants ont réitéré leur critique détaillée du contenu de l’Accord qui pour eux « contient les germes d’une désintégration rampante » de notre pays. Mais l’opposition n’est pas allée jusqu’à la conclusion logique de son jugement, c’est-à-dire le rejet explicite du document.
Telles sont les ambiguïtés actuelles de la démocratie malienne. Celle-ci a connu une période héroïque pour avoir été enfantée dans la douleur. Elle s’est ensuite donné des heures de gloire avec une Transition atypique. Elle a eu aussi eu le courage d’expérimenter des formes inédites de partage du pouvoir, même si les tentatives n’ont pas toutes abouti. Mais depuis plusieurs années, son aura décline nettement, même s’il lui arrive encore de réussir un coup d’éclat inattendu comme le déroulement pacifique des présidentielles de 2013 et la mobilisation populaire réussie à cette occasion. Que lui souhaiter alors à l’approche de son 25è anniversaire, sinon de se reforger une identité ?

G. DRABO

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1 commentaire

  1. Une très bonne analyse faite par Monsieur Drabo. Cependant, je pense que le principal problème de la démocratie malienne réside dans la gestion patrimoniale du pouvoir par les Présidents qui se sont succédés. Il se passe comme si le Président de la République sciait la branche sur laquelle il est assis. Je le dis par ce que leurs pratiques visent à affaiblir les autres institutions notamment celles de contre pouvoir dont le Parlement et la Justice. Il faut ajouter à cela, le fait qu’on n’est pas arrivé à avoir au Mali une société civile digne du nom et bien structurée. Au Mali, toutes les organisations dites de la société civile sont en réalité des arrières cour du Parti majoritaire au pouvoir. Enfin, dernier élément et non le moindre, la faible appropriation de la démocratie par l’immense majorité des maliens. Voila à mon avis, les raisons de l’effondrement de l’état en 2012.

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