L’avenir politique au Mali : L’évolution et les frémissements

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Ibk président du Mali
Le traitement strictement judiciaire de l’affaire des « bérets rouges » constitue l’un des traits de la singularité malienne

La touche malienne se reflète sans doute dans le fait que certaines questions progressent de manière inattendue ou atypique.

 

 

La singularité, et non l’exemplarité. Cette nuance nous a toujours semblé importante à faire observer lorsqu’il s’agit d’analyser l’expérience démocratique malienne. Ce distinguo a comme premier et grand mérite celui d’établir une salutaire prise de distance d’avec tous ces analystes thuriféraires de la nouveauté éphémère (comme l’avait été le désormais défunt printemps arabe), d’avec tous ces flatteurs bien intentionnés qui après avoir porté aux nues le cas malien l’ont ensuite déchiqueté sans merci et sans état d’âme. Mais le principal avantage de recourir à cette nuance est de nous obliger à nous évaluer sans illusion et à identifier objectivement nos profondes lacunes sans nier nos réels mérites. Ce qui nous évite de jeter le bébé avec l’eau du bain en nous précipitant dans un mea culpa outrancier après nous être laissés endormir par l’hymne à notre propre gloire.

 

 

L’un des plus récents exemples de la singularité malienne et certainement l’un des plus édifiants a été donné par l’extraordinaire enchaînement des événements entre le 10 janvier 2013,  jour de l’offensive djihadistes contre le verrou de Konna, et le 11 août, date du deuxième tour de la présidentielle. Nous évoquons ici non pas la fulgurante reconquête de notre territoire national dont le mérite principal revient à nos amis français. Mais la rapidité et la détermination avec laquelle nos compatriotes se sont remobilisés pour signifier leur volonté de renouer avec l’ambition d’être à nouveau. La présidentielle organisée dans un calendrier extrêmement serré et avec la lacune majeure que représentait un fichier électoral incomplet aurait pu enterrer l’espoir d’un retour à la normale et inaugurer une nouvelle ère de troubles et d’incertitude. Mais les Maliens ont choisi de faire délibérément l’impasse sur les imperfections prévisibles pour se concentrer sur un objectif essentiel, se donner un président de la République qui les mènerait hors de la crise.

 

 

Pour apprécier à sa juste importance la portée des avancées maliennes, il faut jeter un coup d’œil sur la situation en Guinée Bissau. Victime d’un coup d’Etat qui se situait le 12 avril 2012, c’est-à-dire trois semaines après celui du capitaine Amadou H. Sanogo, ce pays dont le contexte interne était infiniment moins tragique que le nôtre reste aujourd’hui englué dans les batailles politiciennes autour la désignation des candidats à la présidentielle (dont la date a été reculée pour la énième fois). Le piétinement y est tel que la communauté internationale – de la CEDEAO à l’ONU – s’est résignée à laisser les protagonistes se dépêtrer du sac de nœuds qu’ils ont eux-mêmes confectionné. Cette référence au problème guinéen n’est pas destinée à tirer gloire de notre capacité à rebondir. Mais à exprimer un soulagement compréhensible devant le fait que cette capacité existe encore alors que les épreuves accumulées en 2012 auraient pu en briser les ressorts.

UNE PLACE PLUS QU’HONORABLE. L’erreur serait cependant de nous reposer exagérément sur le potentiel de résilience de notre nation et de nous exonérer de traiter les questions incontournables portant aussi bien sur les causes et la gravité des erreurs commises que sur l’importance des séquelles laissées sur le grand corps national. Contrairement à ce que pensent beaucoup, ce n’est pas obligatoirement au gouvernement d’initier ce genre d’inventaire. L’Exécutif n’a pas forcément les ressources humaines pour le faire et la démarche institutionnelle qu’il adoptera débouchera presque inévitablement sur des constats assez peu précis (lexique administratif oblige) et sur des recommandations fourre-tout (pour que les sensibilités participantes y trouvent sans exception leur compte). L’idéal serait que la société civile s’approprie de la conduite de cette évaluation et que les idées nouvelles qu’elle émettra puissent être ajustées (s’il les trouve pertinentes) par le gouvernement dans un cadre opératoire.

 

 

Cette manière de procéder contredit bien des usages en vigueur, mais elle instituerait une synergie bienvenue entre deux protagonistes (Etat et société civile) qui pour le moment se limitent à cheminer côte à côte sans véritablement interagir l’un en faveur de l’autre dans les grandes causes nationales. En attendant que se mette en place cette (improbable) collaboration, il est intéressant de constater que la singularité malienne s’est enrichie la semaine dernière de deux nouveaux épisodes pour lesquels il est cependant trop tôt de tirer des conclusions définitives. Le premier est la poursuite des interpellations et des inculpations dans le cadre de l’affaire dite des « béret rouges ». La mise en cause du général Yamoussa Camara a incontestablement frappé les esprits. En effet, contrairement à tous les acteurs jusqu’ici interpelés, l’ancien ministre de la Défense avait trouvé une place plus qu’honorable dans la nouvelle architecture institutionnelle. Il aurait donc pu s’attendre à un traitement particularisé, c’est-à-dire être entendu sans être inquiété. Le fait que le chef d’Etat–major particulier du président de la République ait été traité comme un citoyen ordinaire autorise un triple constat. Le premier est que les plus hautes autorités du pays ont définitivement opté pour un traitement strictement judiciaire d’une très délicate affaire. Le juge Karambé a, en effet, bénéficié jusqu’ici de la coopération sans défaut de la tutelle politique et hiérarchique des mis en cause.

 

 

Un tel scénario n’est pas des plus répandus en Afrique où le retour à la vie constitutionnelle s’accompagne habituellement de l’instauration d’une non-belligérance tacite entre les nouvelles autorités politiques et les anciens auteurs du coup de force. Au Mali, ce modus vivendi  a été balisé par l’amnistie accordée pour la perpétration du putsch du 22 mars (bien que le coup d’Etat soit considéré dans notre Constitution comme un crime imprescriptible). L’exécution sommaire des bérets rouges constitue d’évidence un événement d’une telle révoltante gravité qu’il ne peut bénéficier d’une extension de l’indulgence accordée par l’amnistie.

 

 

UN CARACTÈRE PLUTÔT COLLATÉRAL. Le deuxième constat reconduit une analyse déjà proposée. La fracture provoquée par les représailles exercées par les éléments pro Sanogo sur les mutins du 30 septembre 2013 à Kati continue de provoquer des effets dévastateurs dans le camp des anciens putschistes. Le document qui, selon certaines informations, aurait été accepté par général Camara et qui était destiné à masquer l’exécution de certains commandos parachutistes ne devait en principe être connu que d’un cercle restreint. Au sein duquel visiblement la solidarité ne joue plus. La rupture des digues de l’omerta permet au juge Karambé de bétonner son dossier et surtout d’aggraver substantiellement les chefs d’inculpation. On est passé en effet de la mise en accusation pour « complicité d’enlèvement » qui avait concerné le général Sanogo à celle pour « complicité d’assassinat » dans le cas de l’ancien ministre de la Défense.

 

 

La troisième conséquence de ces décisions judicaires revêt un caractère plutôt collatéral. Une très large majorité de l’opinion publique, qui suit attentivement ces péripéties, reste attachée à une égalité de traitement pour toutes les tragédies survenues lors d’une des séquences les plus terribles qu’ait traversé notre pays. Autant elle adhère à la lumière faite sur les exécutions sommaires dont ont été victimes les bérets rouges, autant elle exige que les responsabilités dans le massacre de Aguel hoc soient elles aussi clairement identifiées et que les coupables soient poursuivis. Sur ce dossier, la justice internationale avance à son rythme, c’est-à-dire avec une extrême lenteur. Ce n’est donc pas une mission aisée dont hérite le gouvernement qui a charge de faire patienter nos compatriotes et surtout de les convaincre que le suivi du dossier figure parmi ses priorités. Car rendre justice aux victimes d’Aguel hoc et de Diago participe du même impératif, celui de la lutte contre l’impunité et du refus de l’oubli.

 

 

Le second fait se rattachant à la singularité malienne est constitué par le climat globalement positif dans lequel se sont déroulés les pourparlers préparatoires à la reprise des négociations sur l’application des accords de Ouagadougou. Durant deux jours, fait suffisamment inhabituel pour être relevé, on n’a entendu aucune déclaration discordante provenant des groupes armés, ni relevé de clash spectaculaire si on excepte le retrait d’une partie de la délégation du Mouvement arabe de l’Azawad qui contestait la représentativité d’autres délégués du même groupe. Il ne faudrait pas s’empresser de tirer des conclusions par trop optimistes à partir de ces indices encourageants, le séminaire de Bamako ne constituant en fait qu’un survol des thèmes à aborder lors des véritables négociations. Mais on peut au moins noter que l’exercice « blanc » a eu comme effet positif de remettre en mémoire les mérites du document signé à Ouagadougou.

 

 

A l’époque de sa publication, l’accord avait été très mal accueilli par nos compatriotes. Ces derniers, ulcérés par la considération accordée aux groupes armés et exaspérés par les informations contradictoires sur les points d’achoppement, n’avaient pas retenu les éléments positifs de ce qui avait été convenu. Notamment l’instauration d’un cessez-le-feu qui réduisait les risques de trouble (notamment en 8ème Région) des élections toutes proches, le principe d’un cantonnement des groupes armés et surtout la reconnaissance de l’intégrité territoriale de notre pays et de notre unité nationale. Ces points acquis faciliteront le cadrage des futures négociations. Cependant, ils ne présument en rien du rythme auquel s’obtiendront les résultats concrets, encore moins de la sincérité de l’application des points convenus. Mais ces inconnues sont le lot habituel des processus de sortie de crise. Il faut donc accepter d’avance comme inévitables les coups d’éclat des éléments radicaux, les accrocs dans la cohabitation des protagonistes, les revirements inattendus de certains politiques et surtout avec la suspicion tenace d’une large frange de l’opinion nationale. C’est d’ailleurs en direction de cette dernière qu’un gros effort de persuasion devra être déployé.

 

 

CE LENT REVIREMENT. Si l’on en juge par certains frémissements perceptibles dans diverses déclarations, nos compatriotes abandonnent peu à peu leur attitude d’intransigeance absolue à l’égard de certains groupes armés et commencent à admettre la nécessité de reprendre les négociations afin que l’essentiel de notre énergie puisse être consacré au redressement économique et au mieux-être des couches les plus vulnérables. Mais ce lent revirement s’accompagne d’une crainte persistante : celle de voir la réconciliation nationale payée à des conditions exorbitantes et au profit exclusif d’un groupe minoritaire. Il faut donc éviter qu’un relatif apaisement au Nord de notre pays ne s’acquiert au prix de la montée des ressentiments dans le Sud. Dans la période que nous traversons, les notions de sacrifices partagés, de concessions mutuelles et d’écoute réciproque sont essentielles à être appliquées. On le sait depuis longtemps, la solidarité est un élément constitutif de la singularité malienne. En son nom, bien des choses sont acceptables qui ne l’auraient pas été si elles avaient été autrement proposées. Cette solidarité pour véritablement s’exercer doit s’appuyer impérativement sur un autre principe aussi essentiel aux yeux de nos compatriotes, celui de l’équité.

G. DRABO

 

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