L’avenir politique au Mali : les diagnostics justes

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CONSEIL DE SÉCURITÉDans le traitement de deux dossiers délicats, notre pays garde le choix de la méthode. Mais avec une marge étroite d’erreur.

 

Que le Mali entame tout juste son retour vers la normale, le constat en est accepté sans réserve par nos compatriotes. Mais il n’est pas tout à fait certain que tous mesurent totalement l’ampleur des problèmes qu’il nous reste encore à affronter, la nécessité de trouver des solutions qui pour la plupart n’ont encore jamais été expérimentées ici et surtout l’impératif de demeurer constamment en éveil tant les périls restent nombreux et présents. Dans le contexte où nous nous trouvons, le plus terrible pour nous serait de nous tromper de diagnostic chaque fois que nous devons assumer une situation difficultueuse. Tel est d’ailleurs l’enseignement principal que nous a délivré 2012, année qui nous a fait subir des événements en totale rupture avec tout ce que nous avions vécu jusqu’alors.

Ce qui est survenu il y a deux ans doit être considéré pour ce qu’il était, c’est-à-dire le stade ultime d’une accumulation de phénomènes négatifs qui a vu la gouvernance se dégrader, les institutions décliner, la morale publique péricliter et les signaux d’alerte être ignorés. La sanction de toutes ces fautes a été extrêmement rude et le désarroi des Maliens à la mesure du naufrage de leur nation. En 2013, c’est dans une certaine mesure le phénomène contraire qui s’est produit. Les premières étapes du retour à la normalité ont été franchies à une vitesse exceptionnelle comparable à celle avec laquelle le désastre s’était abattu sur nous. En moins de dix mois la libération du Nord du Mali et le rétablissement de l’intégrité territoriale étaient achevés.  L’organisation de l’élection présidentielle enregistrait une participation record et des résultats qui plaçaient le vainqueur au-dessus de toute polémique. La mutinerie de Kati offrait grâce à la neutralisation des anciens putschistes la possibilité d’instaurer une gouvernance exorcisée du spectre du bicéphalisme.

Il est certain que ce rythme ne peut être maintenu dans ce qu’il nous reste à faire. C’est à dire sécuriser notre territoire, reconstruire le Nord du pays, reconstituer notre vivre ensemble, améliorer la gouvernance, relancer l’économie et assurer le mieux-être des Maliens. Les réponses durables à toutes ces urgences s’inscrivent objectivement dans le moyen, voire dans le long terme. Mais entretemps les autorités se trouvent dans l’obligation de poser des actes symboliques susceptibles aussi bien d’atténuer la compréhensible impatience des populations que de fournir aux partenaires extérieurs des indications tangibles sur les avancées de la reconstruction. Cette double obligation imposée à l’Exécutif est certes contraignante, mais elle s’avère absolument incontournable pour le gouvernement si celui-ci veut s’éviter aussi bien des pressions ouvertes que des exigences implicites.

PAS IMPOSER UN CALENDRIER OU UN SCHÉMA

La visite la semaine dernière au Mali d’une délégation du Conseil de sécurité doit être considérée avant tout comme une prise d’information sur le terrain et auprès des acteurs directement concernés par le processus de réconciliation nationale. Notre pays devrait en principe ne retirer que des avantages d’une démarche qui dénote de la part de ses initiateurs la volonté de mieux comprendre nos réalités, réalités que les rapports et les rencontres officielles traduisent incomplètement. Le Conseil avait de bonnes raisons d’initier cette mission puisque la mise en application des accords de Ouagadougou lui donnait l’impression de caler après un démarrage encourageant qu’avaient impulsé les actes de confiance posés par le gouvernement en dépit de l’hostilité quasi générale de l’opinion publique. En outre, l’organe onusien avait besoin de comprendre ce qu’impliquaient le retour de l’Algérie dans le processus de médiation et la récente disponibilité exprimée par le Maroc de s’intéresser au dossier touareg.

Cependant le chef de la délégation du Conseil, le représentant français Gérard Araud, s’est évertué chaque fois que l’occasion s’en présentait à dissiper toute équivoque : ses collègues et lui ne venaient pas imposer un calendrier ou un schéma. Ils respecteraient et accompagneraient toute solution dégagée et conduite par le Mali. Cette assurance donnée, l’essentiel était de sortir du piétinement actuel et sur ce point, les autorités maliennes ont clairement exprimé leur volonté d’aller de l’avant. Pour cela, il y aura certainement une coordination à assurer sur les démarches qu’entreprennent les différents médiateurs afin d’éviter les doublons et les contradictions. Il faudra ensuite avancer assez vite dans les négociations en fonction des balises déjà posées par les accords de Ouagadougou.

La stagnation actuelle ne dérange pas fondamentalement la partie du MLNA impliquée dans les discussions. Le Mouvement s’est retrouvé amoindri sur le plan militaire après ses démêlés avec le MUJAO. Il est aussi affaibli sur le plan diplomatique après la révélation de son incapacité à assurer la sécurité dans son fief proclamé de Kidal, après aussi la révélation des accointances préservées avec des éléments proches du milieu djihadiste et narcotrafiquant ; et après la confirmation des limites de son implantation locale, limites mises en évidence par les résultats des législatives. Mais malgré tout, le MNLA demeure aux yeux de la communauté internationale un protagoniste majeur dans le processus de réconciliation. Cette réalité est sans doute désagréable à accepter pour la majorité de nos compatriotes, mais elle est indéniable.

LA PERSISTANCE DES CONSÉQUENCES COLLATÉRALES

La contester, c’est faire le jeu du groupe armé. Actuellement, ce dernier stigmatise à tout bout de champ ce qu’il désigne comme le manque de bonne volonté du gouvernement malien, seul argument qu’il peut invoquer devant la représentation internationale. Seul argument qui lui permet aussi de multiplier avec un art consommé les manœuvres de diversion. Le MNLA récuse ainsi la médiation algérienne, affirme sa préférence pour le leadership burkinabé et procède à une ouverture appuyée vers le Maroc. Le Mouvement procède ainsi parce qu’il n’ignore pas – pour paraphraser la célèbre formule du cardinal de Retz –  qu’il ne sortira de l’ambigüité qu’à son propre détriment. Or, notre pays n’a aucun intérêt à voir se prolonger cette tactique dilatoire qui s’accompagne de la perpétuelle remise en cause des acquis. Remise en cause qui pouvait être relevée dans la toute récente interview du vice-président du MNLA, Djeri Maïga, qui réintroduit les références à l’autonomie et au fédéralisme, évoque une marche vers l’indépendance et ne se prive pas d’une violente charge contre le chef de l’Etat.

Mais il n’y a pas à s’attarder dans l’exégèse de ce que notre confrère de « L’indicateur du renouveau » a très justement qualifié de « rêveries solitaires ». Il y aurait surtout à nous rappeler que le temps dépensé dans le traitement diplomatique de la question de Kidal représente autant d’efforts et d’énergie soustraits à la résolution du problème plus large de l’insécurité dans le Septentrion et à la reconstruction du Nord. Il y aurait aussi à nous rappeler que le gouvernement reste soumis à une forte pression de l’opinion publique qui a fait de la réappropriation de la capitale de la 8ème Région le symbole de l’intégrité territoriale recouvrée. Cette donnée purement malienne a dû être perçue et appréciée à sa juste importance par les émissaires de New York.

Ceux-ci ont également pu s’apercevoir juste avant leur départ de la persistance des conséquences collatérales de la guerre au Nord de notre pays avec les événements de Djebock qui se sont caractérisés par un bilan humain très lourd. La gravité du drame qui a motivé le déplacement du ministre chargé de la Sécurité remet en mémoire un certain nombre de vérités. La première d’entre elles et la plus importante est qu’il est impossible que le Septentrion encaisse la série de crises qui se sont déroulées sur son territoire depuis 1990 sans que celles-ci ne produisent en son sein de profondes déchirures au plan sécuritaire et sociologique. Chacun des traumatismes endurés a laissé derrière lui des contentieux incomplètement résolus et une insécurité résiduelle qui a subsisté jusqu’à la crise suivante avec des acteurs dont le poids n’a cessé de croître.

De plus, au cours de ces dernières années, l’affaiblissement de l’autorité de l’Etat, la moindre visibilité des forces chargées de la protection des personnes et des biens, l’importance prise par les activités illicites que représentaient les divers trafics, la circulation accrue des armes de guerre ont encouragé la multiplication des comportements marginaux et la constitution de groupes violents plus ou moins organisés. L’arrivée des djihadistes est venue renforcer cette évolution négative des mentalités et des comportements. Le MUJAO pour s’implanter a bénéficié certes de ralliements purement opportunistes, mais il s’est aussi appuyé sur des adhésions locales qui acceptaient son message radical et qui trouvaient économiquement et financièrement leur compte dans le pouvoir nouveau qu’il amenait. Les habitants de la capitale des Askias qui ont opté pour la résistance à l’occupant ont constamment attiré l’attention sur cet ennemi de l’intérieur établi dans un chapelet de villages dans la Région de Gao.

DE PACIFICATION ET DE RÉCONCILIATION

Ceux que l’on peut désigner de manière sommaire comme des supplétifs du MUJAO n’avaient pas désarmé après la défaite militaire de leurs mentors. On se souvient qu’ils avaient d’abord lancé des assauts suicidaires contre les troupes maliennes se trouvant dans la ville, obligeant parfois Serval à user de moyens conséquents pour les neutraliser. Ensuite ils avaient procédé à des tentatives (heureusement imprécises) de bombardement de Gao. Mais il semblerait que désormais ces groupes, suivant en cela leur pente naturelle, se seraient reconvertis dans le banditisme, usant la logistique (les motos Sanili) et l’armement dont ils disposent grâce aux djihadistes. Le caractère sanguinaire de leur équipée de Djebbock et l’importance numérique de leur troupe (une vingtaine d’éléments) constituent autant d’indices alarmants à prendre en compte.

Les premières informations recoupées sur ce qui s’est passé sont révélatrices de la difficulté à sécuriser le Nord de notre pays. Serval s’est prioritairement dédié à la traque terroriste et ne dispose pas d’effectifs pour d’autres missions. L’armée malienne ne possède pas encore les hommes et les équipements suffisants pour être aussi visible que souhaité à travers des patrouilles. La Minusma reste largement en retrait des attentes placées en elle. Un peu trop voyante à Bamako, elle est par contre trop peu rassurante(à l’exception des éléments tchadiens)  aux yeux des populations du Nord et un trop statique là où elle est déployée à l’intérieur du pays.

La politique de prévention préconisée par le ministre Sada Samaké et souhaitée tout particulièrement par les populations du Septentrion demeure donc une option complexe à mettre en œuvre dans l’immédiat, tant est étendue la zone des accrochages et des incidents armés possibles. Pour le moment, la seule voie envisageable pour faire baisser la tension serait d’obtenir une implication plus forte des populations de la dite zone dans les processus de pacification et de réconciliation. De pacification, car  ce ne serait qu’à travers un meilleur renseignement assuré par les communautés que les troupes déployées sur le terrain atteindraient un niveau de réelle efficacité. De réconciliation, car il est indispensable d’identifier sans fard et de neutraliser patiemment les contentieux locaux qui existent de longue date et qui aujourd’hui alimentent les actions violentes. Ce processus, à mener avec l’aide de la société civile, sera long, laborieux et délicat. Mais il est incontournable, car une solution strictement sécuritaire n’est pas tenable.

 

 

Un événement encore plus récent est venu souligner la fragilité de nos acquis. En fin de semaine dernière, la suspicion d’actions terroristes à Bamako a entraîné l’enclenchement de tout un dispositif de mesures de sécurité concernant les ressortissants étrangers et le personnel onusien présents dans notre pays. Il ne nous appartient pas de juger de la crédibilité des informations qui ont entraîné une si forte application du principe de précaution. Mais cet épisode souligne à suffisance une réalité : dans ce pays en convalescence qu’est le nôtre, c’est à nous tout d’abord – et pendant longtemps encore – qu’il reviendra de rassurer nos partenaires sur notre état réel.

G. DRABO

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