Dans le florilège africain, la toute dernière expérience malienne occupe toutefois une place particulière. Elle aura été en effet des plus atypiques. Les auteurs du coup d’Etat n’ont que brièvement exercé l’entièreté du pouvoir avant de se fondre dans un schéma qui, à notre connaissance, n’a pas eu d’équivalent en Afrique et dont rien ne garantissait au départ la viabilité. Le montage a finalement traversé l’épreuve du temps et des événements grâce à un esprit de raison minimal qui a prévalu entre acteurs nationaux et grâce aussi au pragmatisme de la communauté internationale.
Vingt ans après l’ouverture de l’Afrique à la démocratie pluraliste, cette communauté est en effet devenue beaucoup moins doctrinaire dans le traitement des situations post coups d’Etat. Tout en réclamant un retour aussi rapide que possible à l’ordre constitutionnel, elle tolère à présent des montages alliant des éléments fondamentalement contradictoires, mais qui ont comme principal mérite de ne pas laisser le champ entièrement libre aux auteurs du coup de force.
En ce qui concerne le Mali cependant, la mansuétude internationale s’est fondée sur une série d’autres constats. Il y avait tout d’abord le caractère exceptionnel de notre situation avec l’occupation de la partie septentrionale de notre territoire par les djihadistes, la faiblesse manifeste de nos forces armées, la division de la classe politique entre pro et anti putsch et l’effondrement de notre économie. Une sévérité excessive des partenaires extérieurs aurait transformé la tragédie en cataclysme et aurait précipité le pays dans les abîmes en même temps qu’elle aurait durablement déstabilisé la région sahélo-saharienne. La deuxième raison du traitement exceptionnel dont a bénéficié le Mali tient certainement à la bonne réputation dont a longtemps bénéficié notre démocratie et qui nous avait permis de nous attirer de multiples sympathies de par le monde. Ce réseau, malgré qu’il ait été fortement désillusionné ces dernières années, a quand même pu être mobilisé en notre faveur et a énormément compté lorsqu’il s’est agi de négocier une reprise conditionnelle des appuis en attendant que ne revienne totalement la normalité institutionnelle.
Au total, la communauté internationale a appliqué à notre égard le seul choix logique, celui de la solidarité et non la sévérité en usage dans des cas similaires au nôtre. Ce soutien déjà conséquent se renforcera davantage après l’investiture du nouveau président. Ce dernier trouvera donc en entrant en fonctions une situation intérieure extrêmement difficile, mais qui aurait pu être infiniment plus désastreuse sans le traitement particulier qui nous a été accordé. Sous quelles formes celui-ci sera-t-il prolongé ? Toutes proportions gardées et toute spécificité respectée, le Mali pourrait recevoir un traitement comparable à celui de l’Afghanistan ou de l’Irak post conflit. C’est-à-dire bénéficier d’une attention toute spéciale en raison de l’importance des enjeux géostratégiques liés à sa survie. Cette attention lui amènerait une aide rapide et conséquente qui lui permettrait de récupérer dans des délais relativement courts la maîtrise de sa sécurité intérieure et le contrôle de tout son territoire, de se donner un appareil d’Etat fort, de s’assurer une reprise économique suffisante pour que se réamorce la pompe du développement et (objectif primordial) de s’atteler au rétablissement d’un vivre ensemble fortement ébranlé.
Le dédale des règles non écrites – Il est inutile de pousser plus loin la comparaison avec les deux pays cités plus haut et dont les réalités sont profondément différentes des nôtres. Par contre, il serait intéressant de relever que confronté à des grands défis similaires, le Mali possède des chances d’avancer très vite là où les deux autres piétinent encore. La différence pourrait se faire assez rapidement grâce à deux atouts que nous pouvons nous donner : l’instauration d’une gouvernance rigoureuse et la reconquête de l’unité nationale. Les réussites obtenues sur ces deux points encourageront d’ailleurs une intervention renforcée des partenaires.
Sur le premier objectif, le président, Ibrahim Boubacar Keïta a affirmé à plusieurs reprises mesurer à sa juste importance le besoin d’équité et de moralité que lui a fait remonter le pays profond. Il a certainement déjà son idée sur la meilleure manière de donner réponse à cette exigence, lui qui pendant six ans a dirigé le gouvernement de la République et a eu l’occasion de vérifier que l’efficacité s’atteint plus sûrement à travers la simplicité. En l’occurrence, la médiatisation outrancière, les campagnes tapageuses et les mesures d’exception n’ont habituellement d’autre effet que celui d’alimenter une ébullition passagère avant de laisser se réinstaller les mauvaises habitudes.
A l’inverse, le simple respect des lois, l’application correcte des règlements et le suivi scrupuleux des procédures suffisent déjà à eux seuls pour instaurer une atmosphère nouvelle à laquelle devront se conformer les plus récalcitrants et qui favoriserait l’introduction de réformes plus profondes. Très souvent, pour faire vraiment bouger les choses, il est superflu de songer à les révolutionner. Il faut d’abord les rétablir dans leur juste cours. Ce qui amènerait en soi un immense soulagement aux simples citoyens aujourd’hui perdus dans le dédale des règles non écrites et bloqués au pied des bastions d’influences souterraines.
La reconstitution de l’unité nationale sera certainement plus délicate à mener. Chaque président de la IIIème République a immanquablement inscrit une réconciliation de toute la nation parmi les priorités de son mandat. Alpha Oumar Konaré pour panser les plaies ouvertes par les événements de Mars 1991 et dépasser les déchirures survenues dans notre Septentrion. Amadou Toumani Touré pour mettre fin aux forts antagonismes politiques suscités par les péripéties électorales et post électorales de 1997. Mais le challenge qui attend le chef de l’Etat transcende nettement les problèmes pris en charge par ses prédécesseurs. Néanmoins, des progrès pourraient être assez rapidement enregistrés sur certains points, plus particulièrement ceux liés au coup d’Etat de mars 2012 et aux conséquences de cet événement dans l’armée, dans le monde politique et dans la société civile.
Le président de la République sera sur ce sujet puissamment aidé par une opinion publique lassée de la persistance résiduelle d’antagonismes qu’elle estime secondaires par rapport aux grandes préoccupations du pays et qu’elle souhaite voir définitivement surmontés. En revanche sur le Nord du Mali, la bonne approche à trouver est compliquée par le divorce profond et persistant entre les convictions nourries par l’écrasante majorité des citoyens maliens et les positions tenues par le MNLA. Ce dernier feint d’ignorer une conjoncture qui lui est défavorable depuis plusieurs mois et demeure toujours aussi ondoyant dans ses revendications et agressivement lapidaire dans ses analyses.
Une attente d’actes forts – A cet égard, le MNLA se révèle beaucoup moins politique dans l’appréciation des rapports de force que ne l’étaient les mouvements rebelles du milieu des années 1990. A l’époque, en sa qualité de Premier ministre, Ibrahim Boubacar Keïta n’avait pas hésité à assener quelques vérités abruptes aussi bien aux rebelles qu’à certains partenaires étrangers un peu trop attentifs aux thèses des combattants. Aujourd’hui dans un contexte autrement plus complexe, le président Keïta ne peut sûrement pas se montrer aussi abrasif. Mais aussi ferme, certainement. Et aussi direct, assurément. Il est en effet indispensable que concernant le Nord du Mali, des vérités utiles soient dites au plus tôt et qu’elles orientent les négociations destinées à faire cohabiter les exigences de justice et de vérité avec les impératifs de pardon et de réhabilitation du vivre ensemble.
Pour relever ces défis et d’autres encore, le président aura-t-il droit à un état de grâce ? Auprès de l’opinion publique, sans aucun doute. Ibrahim Boubacar Keïta restera, à notre avis, protégé pendant plusieurs mois encore par un préjugé favorable aussi exceptionnel que l’avait été son score électoral. C’est moins une obligation de résultats immédiats qui pèsera sur lui qu’une attente d’actes forts et de mesures emblématiques qui se révéleront symboliques de l’esprit imprimé au quinquennat. Le chef de l’Etat disposera donc d’un temps raisonnable pour asseoir sa méthode et pour aussi faire accepter les hommes qu’il aura promus, sans encourir le reproche de l’hésitation et de la lenteur.
Le poids de l’onction populaire reçue pèsera également de manière notable sur les relations entre le nouveau président et la classe politique. IBK devrait jouir d’une marge d’action assez confortable, malgré le fait qu’il ne possède pas de majorité parlementaire au sein de l’Assemblée nationale. En effet, les impératifs du début du quinquennat relèvent presque tous de l’urgence nationale et leur pertinence devrait faire consensus dans la classe politique. C’est pourquoi on n’imagine pas le Parlement actuel contrarier l’action présidentielle. Dans l’avenir et selon la configuration de l’Assemblée qu’auront établie les législatives, un nouveau type de rapports, moins consensuel, pourrait s’établir, mais sans que ne change un point fondamental : la recherche d’un modus operandi raisonnable dans le traitement des dossiers essentiels comme ceux du Nord, de la sécurité, du renforcement de l’autorité de l’Etat et de la recherche du mieux-être des Maliens. Ce serait certainement après la mi-mandat, lorsque se dessinera déjà 2017, que pourraient s’esquisser éventuellement la prise de distance et le durcissement des positions.
Le président Keïta a certainement raison d’envisager son mandat comme une forme de Transition. Dans son déroulement, son quinquennat se découpera certainement en séquences très différentes. Il débutera avec la mise en veilleuse des différences et des impatiences, se poursuivra avec la décantation des intérêts politiques et s’achèvera avec l’affirmation des préférences. Mais à chacune de ces étapes, le président de la République conservera les moyens de rester toujours le maître du jeu à travers le rythme qu’il aura imprimé à son action et les résultats qu’il aura engrangés. Ibrahim Boubacar Keïta entre aujourd’hui en fonction avec les atouts peu communs que sont son assise populaire et les excellentes dispositions de la communauté internationale envers notre pays. Il lui faut désormais demeurer tel qu’il s’est annoncé et tel que nos concitoyens l’attendent : dédié à sa mission exceptionnelle, indifférent aux sollicitations et insensible aux pressions.
G. DRABO