Les crises et les périls qui surgissent sur notre continent constituent une mise en garde contre les analyses sommaires. Et les solutions chirurgicales
Une sentinelle intransigeante ? Un pompier pas toujours avisé ? Un impénitent coupeur de cheveux en quatre ? Un indispensable empêcheur de régner en rond ? Un commode fournisseur d’alibis pour les grandes nations ? Toutes ces images se retrouvent peu ou prou dans le regard que portent aussi bien le citoyen lambda que l’observateur de profession sur la très souvent invoquée et sur l’autant controversée « communauté internationale ». Celle-ci subit auprès des opinions du Sud un traitement dual. Elle est régulièrement appelée au secours par les opposants brimés et les défenseurs des droits de l’homme bridés. Elle est prise à témoin de manière véhémente par les nations empêtrées dans des litiges inextricables et qui cherchent un parrain qui les amènerait à la négociation. Elle entend monter vers elle aussi bien les clameurs de populations dans la tourmente que les appels d’individus au désespoir.
Mais en même temps que se multiplient les adresses et les suppliques en sa direction, cette même communauté subit le paradoxe de ne se voir reconnaître que rarement le mérite d’avoir dénoué rapidement des situations compliquées, le courage d’avoir rendu et surtout mis en application des arbitrages tranchés, le bénéfice d’avoir contraint à la raison un protagoniste sourd à la voix de la pondération et la lucidité d’avoir préféré la difficulté du durable à l’artifice d’un compromis éphémère. S’il fallait définir la communauté internationale en fonction de la somme des jugements maintenant portés sur elle, on dira qu’elle demeure absolument incontournable, mais moyennement décisive.
Les attentes sont-elles donc démesurées par rapport au pouvoir d’action ? Il semble bien que oui. Ce hiatus entre le rôle confié à la communauté internationale et les instruments dont celle-ci dispose pourrait être assimilé au syndrome SDN. II remonte en effet aux espérances qui avaient présidé à la naissance en 1919 de la Société des nations, ancêtre de l’actuelle Organisation des nations unies. La Première Guerre mondiale avait été si sanglante et si dévastatrice que ceux qui y avaient pris part ne nourrissaient qu’un souhait, celui de ne plus en voir la répétition. Leur ambition a donc été de créer un cadre de dialogue et de prévention qui permettrait de traiter les contradictions avant que celles-ci ne débouchent sur une confrontation.
UNE ÉVENTUELLE ÉPREUVE DE FORCE. Le second conflit mondial consacra la faillite de la SDN, mais pas celle des idéaux qui avaient prévalu à sa création, notamment ceux qui avaient rapport à la notion de sécurité collective et à la résolution des conflits par la négociation. On doit reconnaître à l’ONU qui a pris la relève en 1945 de s’être ralliée aux vertus d’un montage, certes inégalitaire, mais pragmatique. Car ce montage en consacrant dans le fonctionnement de l’Organisation un équilibre d’influence entre les grandes puissances fondatrices atténuait considérablement l’exportation des frictions sur un champ d’opération militaire. Ce qui, à l’époque de la Guerre froide et de l’opposition idéologique, n’était pas un mince mérite.
Aujourd’hui, la communauté internationale – en elle nous incluons surtout les organisations continentales dont les prises de positions pèsent de plus en plus – se consacre autant à la prévention des conflits qu’à l’instauration de la bonne gouvernance. Préoccupation logique étant donné que le second facteur interagit avec la première situation. Mais ce facteur devient aussi de plus en plus difficile à imposer. On n’est, en effet, plus au temps où le vent d’Est qui avait soufflé sur l’ancien bloc des pays de l’Est européen avait eu un effet de contagion presqu’immédiat sur d’autres continents. Ni à l’époque où le discours du président Mitterrand au sommet France-Afrique de la Baule n’avait rencontré d’opposition ouverte que celle du roi Hassan II et avait précipité l’ouverture politique bon gré mal gré dans presque tout l’espace francophone africain.
Actuellement, les réticences à écouter les préconisations venues de l’extérieur sont plus vives, les résistances aux pressions de puissants partenaires, plus opiniâtres et l’acceptation d’une éventuelle épreuve de force – fusse celle-ci destructrice -, plus marquée. La crainte de la désapprobation extérieure ne suffit plus pour amener un début de pondération politique. Certains pouvoirs engagent ouvertement un bras de fer avec la communauté internationale en s’appuyant sur deux convictions. Tout d’abord, ces pouvoirs sont certains que les grands partenaires hésitent à se lancer dans des actions radicales à leur encontre de peur d’aggraver les désordres internes et d’instaurer ainsi une situation hors de tout contrôle.
Il est en effet assez facile de dresser le constat des erreurs commises par les tenants de la démocratie et de la bonne gouvernance lorsque ceux-ci ont cautionné des solutions chirurgicales qui se sont finalement avérées plus déstabilisantes pour les peuples que les privations que ces derniers subissaient sous un pouvoir autoritaire. Les cas de la Libye (sur lequel nous reviendrons plus loin) et du Soudan du sud représentent les illustrations les plus éloquentes de ces situations. L’oppression y a été remplacée par le chaos et nulle vraie sortie de la crise ne s’ébauche vraiment, les médiateurs étant réduits à « encourager » des apparences d’indices de détente.
Le deuxième fait qu’évoquent les opposants à l’ouverture est que les rebelles de longue date que sont par exemple les présidents Mugabé du Zimbabwé et El Béchir du Soudan, ne se ressentent guère de l’ostracisme dont l’Occident les a frappés. Bien au contraire. Le premier préside actuellement aux destinées de l’Union africaine et le discours incisif de « Comrad Bob » en faveur d’une plus grande affirmation par notre continent de son identité ne reste pas sans écho. C’est la même indifférence au jugement extérieur, mais sans le panache dont sait faire preuve en certaines occasions Mugabé qui a certainement guidé Pierre Ngurunziza à se faire investir par son parti comme candidat à un troisième mandat présidentiel. C’est un défi étonnant que s’impose là le président burundais.
RÉDUITE À L’INSIGNIFIANCE. Car il choisit d’ignorer en bloc, les mises en garde de son opposition, la contestation ouverte de hautes personnalités de son propre camp, la désapprobation de l’Eglise et de la plus grande partie de la société civile burundaises, les alertes données par ses services secrets, les adjurations du Secrétaire général de l’ONU et de la présidente de la Commission de l’Union africaine et les avis de dirigeants européens et américain. Tous les lanceurs d’alarme avaient la même crainte, celle d’un embrasement général du pays. Eventualité que ne réfute sans doute pas en son for intérieur le président du Burundi. Mais éventualité qu’il estime pouvoir neutraliser par un renforcement extraordinaire de l’appareil de répression étatique et la mobilisation des milices Imbonerakuré qui lui sont acquises et qui déjà ont entamé leurs opérations d’intimidation.
Le cas hors norme du Burundi est assez symbolique de l’embarras que rencontre la communauté internationale quand la persuasion diplomatique est inopérante, quand l’intervention directe est exclue et quand la gamme des sanctions à créer doit être suffisamment sélective pour asphyxier les gouvernants sans rendre le quotidien plus difficile pour les populations. C’est ce casse-tête qui, dans une toute autre situation, est soumis aujourd’hui à l’Union européenne avec la brutale explosion des arrivées de clandestins dans les ports italiens et surtout la multiplication des tragédies en haute mer (1750 victimes dans les naufrages depuis le début de l’année). La seule manière de réduire de manière substantielle le flux des migrants serait de démanteler les organisations criminelles qui se sont spécialisées dans le trafic des êtres humains, devenu une activité au taux de rentabilité très élevé.
L’énorme problème – pour le moment sans la moindre esquisse de solution – est que les réseaux de passeurs ont pratiquement pignon sur rue en Libye, pays où l’autorité de l’Etat est réduite à l’insignifiance et où les groupes armés tirent leurs revenus d’activités maffieuses. L’Union européenne exclut toute action qui s’assimilerait à une intervention au sol. Mais avait-elle vraiment besoin de le préciser ? Cette éventualité avait été déjà très vigoureusement écartée lorsqu’il s’agissait d’aider les rebelles à résister aux troupes plus ou moins organisées qui constituaient l’armée de Kadhafi. Elle est aujourd’hui impossible à exécuter contre des criminels dispersés au milieu de la population.
L’interception en haute mer des navires des passeurs – qui n’est d’ailleurs pas prévue dans les opérations de surveillance des frontières maritimes de l’Europe Triton et Poséidon – est, elle également (ainsi que l’avait montré la lenteur de mise en route de l’opération Atalante dirigée contre les pirates somaliens), compliquée à organiser, lente à opérationnaliser et produit généralement des résultats globaux modestes.
L’UE pourrait envisager de renforcer l’aide au contrôle qu’exerceraient les pays d’origine pour limiter les départs, mais l’expérience a déjà démontré les limites d’une réponse de ce type. Quant à l’antienne inlassablement répétée sur le soutien à accorder au développement de certains pays afin de fortifier l’offre locale d’emplois, on peut juste la considérer comme une ligne supplémentaire dans le catalogue des bonnes intentions.
À SA MANIÈRE. L’économiste Alice Mesnard a avancé l’originale et réaliste suggestion d’aller vers un élargissement de la migration contrôlée par l’instauration des visas payants de travail pour les citoyens du Sud, mais elle a fort peu de chances de voir cette solution envisagée par Bruxelles. Qui pour le moment s’est calée sur la solution Frontex, celle de la protection de ses frontières extérieures. L’Union européenne donne donc l’impression d’être démunie devant un problème dont l’origine se trouve dans le renversement du régime Kadhafi. En dépit des accusations dont on peut l’accabler, la Libye du Guide présentait autrefois deux avantages dans le traitement de la migration clandestine.
D’abord, la relative prospérité que lui garantissait la manne pétrolière en faisait un immense chantier qui absorbait des contingents importants de travailleurs migrants clandestins. Beaucoup de ces derniers aujourd’hui privés de la possibilité de se fixer, ne serait-ce que provisoirement, n’ont d’autre choix que de chercher à gagner rapidement l’Europe. Ensuite, Kadhafi avait accepté de collaborer à l’endiguement des départs effectués à partir de son pays. Certes, il le faisait à sa manière très particulière. C’est-à-dire en relâchant sporadiquement et sans avertissement son dispositif de surveillance et en se privant pas non plus de pratiquer un chantage permanent à l’égard de l’Italie, destination première des clandestins. Mais le Guide avait poussé sa collaboration jusqu’à accepter le rapatriement en Libye (dans des conditions très contestables, il faut le souligner) des migrants interceptés.
A l’époque de la chute de Kadhafi, certains analystes avaient attiré l’attention sur les risques qu’allait susciter la disparition d’un pouvoir critiquable à bien des égards, mais qui assurait la régulation d’importantes contradictions internes et régionales. La suite des événements a donné raison aux prophètes de malheur. Les tombeurs du Guide ont en effet accumulé les erreurs. Ils ne se sont pas interrogés sur le type d’Etat qui devrait prendre le relais du « non Etat » qu’était la Jamahiriya. Ils n’ont pas clairement identifié, pour les appuyer, les forces susceptibles de faire naître un ordre véritablement nouveau surmontant les contentieux entre tribus et les rivalités entre provinces. Ils ont sous-estimé la perméabilité du pays au phénomène terroriste qui fait désormais de la terre libyenne un sanctuaire de combattants qui menacent le Maghreb et le Sahel.
Du triomphe d’une rébellion supposée salvatrice est donc né le berceau africain de l’Etat islamique et la cause principale d’une des plus graves tragédies humaines de ces dernières années. On ne saurait trouver une plus cruelle ironie de l’Histoire. La communauté internationale qui ne peut se dédire de l’approbation donnée à l’éradication du pouvoir de Kadhafi a le devoir de s’interroger sur ce que devrait être son rôle face à l’émergence de réalités de plus en plus complexes. Cette interrogation se manifeste déjà. Mais dans les réponses formulées abondent encore l’irrésolution, les demi-mesures et les approches sommaires.
Il faut donc espérer que l ‘accompagnement international qui sera apporté au Mali dans le processus de paix et de réconciliation prenne la juste mesure des défis à relever. La complexité de ce qui doit être mis en œuvre dans notre pays pour le rétablissement de la sécurité, la réhabilitation de la cohésion nationale et le redressement de l’économie exige de nous une mobilisation sans faille, mais nécessite aussi de nos partenaires une attention constamment en éveil. Afin d’éviter ces opérations cosmétiques qui ont l’apparence de solutions, mais prolongent de fait les difficultés pour finalement créer l’impasse.
G. DRABO
Puisse votre prière soit entendue pour le cas du Mali. Amen
Monsieur DRABO, la Communauté internationale s’est toujours donné les moyens nécessaires pour atteindre ses objectifs. Pour preuve, rappelez vous les conflits dans les Balkans en Europe et toutes les résolutions qui en ont découlé au nom du droit humanitaire, du droit d’ingérence et du devoir de protéger. Seulement voila, cette communauté internationale n’est en réalité composée que de quelques pays très puissants qui n’agissent que dans le sens de conforter leurs propres intérêts. C’est comme cela qu’il faut comprendre les cas de la Libye, du Soudan et du Mali. Pour les cas de non respect de la Constitution, la communauté internationale n’a pas à réagir. Quand le vrai peuple en aura marre, il se débarrassera sans fioriture des despotes. Le Burkina Faso et le Niger en sont de bels exemples en Afrique de l’Ouest.
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