Dans la conjoncture actuelle, l’Exécutif devait tout à la fois refléter le renouveau et être immédiatement opérationnel.
On pourrait évoquer l’opération comme une prise de risque raisonnée. La constitution du premier gouvernement dans un premier quinquennat représente toujours une forme de pari en soi. Aussi bien pour le président de la République qui inspire le choix des hommes que pour le Premier ministre qui dirigera l’équipe. La construction elle-même ne pose pas de difficultés majeures, l’architecture gouvernementale offrant suffisamment de possibilités d’aménagements pour se plier aux objectifs prioritaires fixés par le chef de l’Etat. Ceci admis, il subsiste toujours une marge d’incertitude non négligeable qui porte sur le facteur humain et qui ne se résorbera que dans l’action.
Parmi les questions qui ne peuvent recevoir de réponse aujourd’hui, se trouvent celles qui consistent à savoir si des personnalités à la compétence reconnue sauront encaisser la pression de l’opinion et répondre à l’impatience des partenaires sociaux ; si les hommes et les femmes d’expérience auront l’humilité d’adapter leur expertise à la nouvelle conjoncture au lieu de s’attacher à reproduire les recettes éprouvées ; si l’équipe apprendra à vite travailler ensemble, chacun évitant de se focaliser sur la préservation jalouse de son domaine de compétence ; et si la tentation de se comporter en « premier parmi les égaux » ne visitera aucun des poids lourds.
Chaque équipe gouvernementale, et plus particulièrement celle qui ouvre un cycle, rencontre les écueils décrits plus haut et c’est la fermeté présidentielle qui permet d’habitude le franchissement de ces passes difficiles. Pour le moment, il serait futile d’ouvrir le jeu des suppositions. Il faut se limiter à constater que tel qu’il se présente, le gouvernement de Oumar Tatam Ly parait a priori suffisamment équilibré pour entamer sans tâtonnements les missions qui lui seront confiées.
Sa composition a en effet été dominée par l’observation du principe de précaution qui sied dans la conjoncture actuelle. Tout d’abord, la part à faire entre novices du travail gouvernemental et éléments expérimentés, a été tranchée de manière raisonnable. Volonté de renouveau oblige, les premiers prédominent numériquement (19 membres sur les 34), mais presque tous les départements considérés comme stratégiques sont tenus par les seconds.
Deuxième remarque, les personnalités « entrantes » appelées pour leur vécu dans l’action publique et portées à la pointe de la pyramide gouvernementale se sont vu attribuer des portefeuilles soit en relation directe avec leur compétence personnelle, soit concernant un domaine qu’ils ont eu à gérer avec une réussite certaine.
Dans le premier groupe, on trouve notamment les ministres de la Justice (qui outre d’être avocat, avait été secrétaire général de ce département), du Développement rural et de l’Economie et des finances. Dans le deuxième groupe figurent tout particulièrement le titulaire de la Défense et des anciens combattants et celui de la Sécurité. Soit cinq personnalités sur les sept premiers de l’ordre protocolaire du gouvernement.
Ainsi « blindé », le gouvernemental a été soumis à l’incontournable politisation d’une partie de l’équipe. Politisation qui s’est traduite moins par la présence de ministres issus du RPM dont la proportion reste raisonnable que par le maintien de presque toute l’aile partisane du gouvernement de transition. A la notable exception de l’URD qui s’est déjà clairement située dans l’opposition et de la COPAM dont la prise en compte des deux courants aurait été passablement compliquée, les représentants des partis politiques ont été maintenus.
LES PREVENTIONS DE L’OPINION PUBLIQUE – Le PASJ reçoit même un deuxième portefeuille au bénéfice du doute, serait-on tenté de dire. En effet, les Rouges et blancs n’ont jusqu’ici pas tranché entre leur ralliement au second tour annoncé par le candidat Dramane Dembélé et leur départ dans l’opposition acté par leur président par intérim (aujourd’hui démissionnaire), Iba N’Diaye. La main ainsi tendue par le RPM aux anciens camarades pourrait compter lorsque les législatives auront fixé les nouveaux rapports de force. La double représentation dans l’actuel exécutif va certainement renforcer le plaidoyer déjà entamé par ceux des Adémistes qui s’affirment partisans d’un accompagnement du président de la République.
De fait, la seule vraie surprise du gouvernement est l’entrée de Zahabi Ould Sidi Mohamed. L’ancien leader de groupe armé avait disparu des radars depuis dix-sept ans environs, c’est-à-dire depuis que s’étaient éteints les derniers feux de la tension au Septentrion née de la rébellion des années 90. Il avait alors, et avec l’aide des autorités maliennes, trouvé un emploi au sein du système des Nations unies.
La position qu’il occupait lui imposait tout naturellement un devoir de réserve sur les questions nationales. C’est pourquoi pendant plus d’une décennie et demie, Zahabi s’était muré dans un mutisme total dont ne l’avaient fait sortir ni les événements de Kidal en 2006, ni la tragédie au Nord du Mali en 2012/2013. Il paie d’une certaine manière le tribut de ce silence imposé puisqu’il réapparait aujourd’hui alors que ne se sont pas entièrement dissipées les préventions de l’opinion publique aux yeux de laquelle il avait fait figure d’irrédentiste. Il ne faut certainement pas attendre du nouveau ministre des Affaires étrangères qu’il revienne en détail sur son évolution au cours de ces dernières années. Il reste donc à constater que son attachement au Mali et sa loyauté sont acquis. Ce qui lui vaut de se trouver en charge d’un ministère de souveraineté et placé à un rang protocolaire très élevé dans le gouvernement de la République.
Le président Ibrahim Boubacar Kéïta avait dans sa première adresse en bamanankan faite après son élection le 27 août dernier prévenu nos concitoyens qu’il pourrait à l’occasion poser un acte que ceux-ci auraient du mal à comprendre. Le président de la République avait demandé que si une telle situation survenait, que le peuple lui fasse confiance en sachant qu’il ne ferait rien qui serait contraire aux intérêts du pays.
Le choix de Zahabi Ould Sidi Mohamed est donc à inscrire dans les décisions audacieuses que peut prendre un chef de l’Etat soucieux de débloquer au plus vite une situation complexe et qui mise sur l’effet accélérateur de gestes hautement symboliques. L’on ne peut que souhaiter que cette initiative très forte qui s’inscrit dans la logique de la réconciliation nationale et dont la pertinence sera établie sur la durée, produise exactement les effets attendus.
Le gouvernement de mission est désormais en place et le rythme déjà imprimé par le Premier ministre (réunion de cabinet dimanche dans la soirée et conseil des ministres extraordinaire hier) donne les premiers indices du style Ly. Le Premier ministre a certainement le souci de serrer tous les boulons avant que n’arrive la mise à l’épreuve et que ne se rouvrent les nombreux dossiers – aussi bien ceux sociaux que celui de Kidal – délibérément mis en veilleuse lors de la Transition. C’est alors que devront transparaître véritablement le ton nouveau du gouvernement et la qualité de sa méthode. Ce sera aussi à ce moment que pourra être testée l’efficacité du principe de précaution qui a présidé à la composition de l’équipe.
G. DRABO