La fièvre des supputations est retombée et le gouvernement doit donner réponse à des citoyens en attente.
Les remaniements ministériels sont exactement comme les dévaluations monétaires. Plus on en parle, moins ils ont de chances de se produire. Plus la rumeur se montre catégorique sur leur prochaine et inéluctable survenue, plus il convient de s’habituer à l’idée de leur report. Plus les prétendues fuites se font précises sur les objectifs et l’ampleur des changements à venir, moins il faut s’attendre à un bouleversement des choses. Les faits ont depuis longtemps démontré qu’un remaniement n’est en aucune manière une « fulfilling prophecy », une prophétie qui réalise elle-même ce qu’elle annonce. Tout d’abord, parce que sa caractéristique première n’est pas la redite inlassable, mais l’effet de soudaineté, seul susceptible de créer un choc dans l’opinion publique et de mettre immédiatement sous pression aussi bien les nouveaux entrants dans le gouvernement que les « survivants » de la précédente équipe.
Ensuite parce que celui qui énonce la prédiction – qu’il soit journaliste, source prétendument bien informée ou membre du proche entourage présidentiel – n’est en rien maître de l’événement. Le bien-fondé d’un changement de gouvernement appartient en effet à l’analyse de tous, mais sa mise en œuvre relève de la décision d’un seul. Le président de la République agit selon sa lecture des priorités du moment, le rythme qu’il veut donner au déroulement de son mandat et son appréciation de la qualité de l’accompagnement dont il bénéficie. Tel qu’il fonctionne, le mécanisme présidentiel de prise de décision prend évidemment en compte la pression venue de l’opinion nationale et les humeurs remontant du pays profond. Mais il n’accorde pas obligatoirement à ces deux facteurs un poids décisif.
On sait donc depuis la fin de la semaine dernière que le président Keïta a lui-même écarté en Conseil des ministres l’éventualité d’un prochain remaniement et a recommandé à l’Exécutif de s’impliquer entièrement dans les tâches qui lui sont confiées. En recourant à un procédé de communication inusuel, le chef de l’Etat a mis fin à une ébullition médiatico-politique qui durait depuis plusieurs semaines et qui était entretenue par une masse incroyable de supputations sur les scénarios possibles et sur les antagonismes supposés. La mise au point présidentielle a interrompu l’agitation de plus en plus désordonnée qui se propageait dans le microcosme politique et qui aurait certainement débouché sur une foire d’empoigne à peine déguisée et amplifiée par les indiscrétions lâchées dans les médias. La reconduite du statu quo ante aidera certainement à faire repartir à régime normal une administration publique figée dans l’attentisme créé tant par ses propres incertitudes que par les hésitations de sa hiérarchie. L’éclaircissement apporté par le chef de l’Etat facilitera aussi la tâche aux partenaires extérieurs qui n’aiment rien moins que de recevoir des demi-réponses de leurs interlocuteurs gouvernementaux.
UN ACTE POLITIQUE PRIMORDIAL. Cependant le choix de la continuité d’accompagnement fait par le président Keïta n’éteindra certainement pas le débat au niveau des Maliens moyens sur la pertinence ou non de poursuivre avec la même équipe gouvernementale. Il est donc intéressant de revenir sur la décision présidentielle sous le triple angle politique, technique et « conjoncturel ». En ce qui concerne le premier aspect, la cause avait semblé entendue pour les partenaires politiques et pour la plupart des analystes. Ils considéraient l’exécutif gouvernemental mis en place le 8 septembre dernier comme une équipe de mission, demeurant en poste le temps que les législatives définissent le paysage politique en fonction duquel se produirait un rééquilibrage de la représentation partisane au sein du gouvernement.
En fait, l’application de ce scénario s’avère absolument facultative. Elle est uniquement codifiée par ce qu’on pourrait appeler la « jurisprudence ATT » datant de 2002 et qui elle-même s’était inspirée du « précédent Chirac ». Le président français qui avait été élu quelques semaines avant le nôtre avait forgé la formule utilisée plus haut pour désigner le gouvernement qui l’accompagnerait le temps que les législatives lui donnent une majorité parlementaire à l’Assemblée nationale dominée depuis 1997 par les socialistes. Il convient cependant d’établir un distinguo de taille dans les buts visés par les deux personnalités. Alors que l’homme d’Etat français se contentait de gérer une très courte transition vers un réajustement attendu, le chef d’Etat malien posait les bases d’un acte politique primordial. En effet, s’étant présenté comme candidat indépendant, Amadou Toumani Touré n’avait bénéficié lors de son entrée en compétition que du soutien d’un groupe de petites et moyennes formations. Le futur chef de l’Etat avait ensuite obtenu entre les deux tours de la présidentielle le ralliement du groupement Espoir 2002 (qui comprenait notamment le RPM, le CNID-FYT et le MPR). Mais celui-ci (66 députés) ne rassemblait pas à lui seul la majorité à l’Assemblée nationale indispensable à la réalisation du programme du chef de l’Etat. En outre, ATT s’était auparavant déclaré en faveur d’un consensus national associant le maximum de forces politiques à la gestion des affaires publiques.
L’Exécutif de mission, qui comportait déjà une forte représentation partisane, est resté en fonctions quatre mois durant. Le gouvernement de durée, mis en place en octobre 2002, a donc intégré en son sein les principales forces politiques du pays. Le quota de portefeuilles attribué à chacune d’elles et l’ordre de préséance protocolaire étant déterminés par l’importance de la représentation parlementaire. Cependant le président Touré n’hésita pas à créer des exceptions à la règle que lui-même avait établie en incluant dans le gouvernement les représentants du MIRIA et du PSP. Les deux partis ne possédaient pas de députés, mais ils étaient de ceux qui avaient dès le départ appuyé le candidat ATT. En 2007, le chef de l’Etat eut beaucoup moins de mal à se constituer une majorité. Une coalition de partis dont les poids lourds qu’étaient le PASJ et l’URD avait constitué l’Alliance pour la démocratie et le progrès afin de soutenir le président sortant dans la conquête d’un deuxième mandat et l’accompagner dans la réalisation de son programme.
ÉTATS D’AME ET SOLLICITATIONS. Ce rappel est certainement utile pour souligner que ce qui est présenté par certains acteurs politiques comme un passage obligé relève de fait de la seule appréciation du président de la République. Aujourd’hui, la situation est entièrement différente de ce qu’elle était il y a 11 ans. Les forces politiques traditionnelles sont entièrement revenues dans le jeu, comme en témoigne la totale disparition des Indépendants dans l’Hémicycle. Le RPM frôle la majorité absolue à l’Assemblée nationale et le camp présidentiel est quasiment hégémonique grâce à l’appui notamment apporté aux Tisserands par les groupes parlementaires Alliance pour le Mali et Adema-PASJ.
Les principes qui avaient prévalu à la constitution du gouvernement de consensus sont désormais caducs, car disparaît la contrainte de prendre en compte les desiderata de tous les alliés politiques et de faire figurer un maximum de ceux-ci dans le gouvernement. En effet, la peu ordinaire montée en puissance des Tisserands ajoutée à la dispersion des voix qui a amené un émiettement considérable du paysage politique (19 partis représentés à l’Hémicycle) fait que les formations alliées ne disposent pratiquement d’aucun moyen de pression pour appuyer leur volonté d’entrer au gouvernement. Vu la faiblesse de leur poids parlementaire et le peu d’attraction qu’elles éprouvent pour le rôle d’opposant, la menace d’une défection mettant en danger l’action gouvernementale n’est absolument pas envisageable de leur part.
Un chef de parti soulignait récemment hors micro la difficulté à s’accommoder de la situation actuelle pour des formations émergentes comme la CODEM qui s’estime en droit d’expérimenter l’exercice du pouvoir ; ou pour des partis historiques comme le CNID ou le MPR qui vivent assez mal une présence amoindrie sur la scène politique ; ou encore pour d’anciens poids lourds comme le PASJ chez qui le couvercle des ambitions personnelles mal réprimées n’en finit pas de tressauter. Le constat posé est juste et le président de la République a certainement enregistré ces états d’âme et ces sollicitations. Mais donner la priorité à la représentation partisane au sein de l’Exécutif l’engagerait dans des calculs d’apothicaire à n’en plus finir au vu du nombre des formations prétendantes. La manière la plus saine de traiter le problème est encore d’admettre dans l’Exécutif des représentants des partis en fonction de leur compétence, et non de leur étiquette. Les futurs remaniements indiqueront si une telle piste est plausible.
Tout comme ils indiqueront si la taille actuelle du gouvernement constitue un handicap. Ou si elle peut être gérée à travers un management novateur des ministres. Il est vrai que l’Exécutif a régulièrement gagné en embonpoint depuis 1992 lorsqu’il ne comptait que 19 membres et depuis avril 1994 lorsque la première équipe qu’a eu à diriger Ibrahim B. Keïta en tant que Premier ministre plafonnait à 16 éléments, « record » toujours en cours. Mais à l’époque, le paysage politique était beaucoup moins éclaté. En outre, le gouvernement resserré avait été formé à une période où le PASJ, lâché par tous ses alliés, avait gouverné seul de 1994 à 1996 lorsqu’il fut rejoint par le Parena. On le sait, la vox populi nourrit un préjugé fortement défavorable envers les grosses équipes. La question reste ouverte. Dans une période exceptionnelle, faut-il opter pour une équipe serrée comme un poing fermé et attachée à la résolution d’un certain nombre d’urgences dans un laps de temps relativement court ? Ou alors convient-il d’augmenter le nombre de portefeuilles pour ne pas laisser certains objectifs sociaux se trouver en souffrance de traitement parce que perdus dans la masse des dossiers brassés par un super-ministère ?
LES SIGNAUX ANNONCIATEURS. La réponse est moins évidente qu’on ne le pense. La Grèce et l’Italie ont tout récemment expérimenté la première formule sans que l’on puisse dire qu’elle a été absolument payante, malgré la présence de fortes personnalités au sein des équipes gouvernementales. Le Mali donne sa chance à la deuxième variante dans un contexte où les ministres sont désormais relativement affranchis du handicap de la précarité annoncée. L’obstacle majeur à franchir réside moins dans le fait d’organiser le dialogue interministériel pour la gestion des dossiers transversaux que dans la nécessité d’encadrer l’interaction entre les structures techniques relevant naguère de la même autorité de tutelle et maintenant dispersées dans des ministères différents. Aucun des précédent exécutifs depuis 1992 n’ayant eu régler le problème d’animation solidaire dans ces proportions, c’est donc un challenge inédit que doit relever le gouvernement, et plus particulièrement certains de ses membres.
La troisième remarque porte sur l’attente la plus forte actuellement exprimée par les Maliens à l’égard du gouvernement et qu’ils jugent insuffisamment prise en compte, celle pour une plus grande attention au bien-être quotidien. Il ne s’agit pas ici d’une impatience déraisonnée et frondeuse, nos compatriotes n’ayant pas oublié d’où nous revenons. Mais d’une inquiétude légitime de ne pas percevoir les signaux annonciateurs d’une amélioration progressive de leur situation. Cela alors que dans d’autres domaines comme celui de la lutte contre la corruption des avancées indéniables ont été obtenues et une tendance durable paraît s’être installée. Même sur la question de Kidal, l’humeur de nos concitoyens est nettement moins batailleuse à l’égard des autorités qu’il y a quelques semaines et « l’incontournabilité » d’une solution négociée a fait son chemin, malgré l’expression de fortes réticences.
Subsiste donc dans toute son acuité la question du vivre au quotidien qui englobe une série de problématiques depuis le renchérissement du panier de la ménagère jusqu’à la précarité persistante des jeunes chercheurs d’emploi. Ici, ainsi qu’il en est pour la reconstruction du Nord du Mali, ce ne sont pas des solutions miracles qui sont attendues, mais des initiatives emblématiques annonciatrices de changements plus importants. Dans son allocution du Nouvel an, le président de la République avait relevé la force de ces attentes. Il avait souligné que « notre peuple a trop longtemps attendu son rendez-vous avec le progrès » et il avait annoncé pour la présente année l’entame d’une seconde phase de son mandat, une phase « plus axée sur le redressement et le développement économique, pour le bonheur des Maliens ». La confiance maintenue en l’équipe gouvernementale laisse à celle-ci de meilleures chances d’apporter les inflexions souhaitées par le citoyen moyen. Et auprès de qui l’Exécutif se doit de lever certaines réserves.
G. DRABO
L’analyse a couvert beaucoup d’aspects et de problématiques, mais elle ignore quelques facteurs importants doivent amener à accélérer la formation du nouveau Gouvernement et lui donner un profil consensuel pour les Maliens:
1) Le Gouvernement actuel est pléthorique et indique que le réflexe de partage de gâteau a prévalu;
2) Un pays qui attend les arrondis de son budget de fonctionnement de partenaires extérieurs ne peut se permettre décemment un Gouvernement pléthorique;
3) Beaucoup de Maliens demandent à être convaincus que le slogan “Le Mali d’abord” ne laisse pas la place à “la famille d’abord”; un Gouvernement d’hommes compétents loin de l’entourage de la famille présidentielle aiderait dans ce sens;
4) Quoi que le Président dise, l’Administration fonctionnera au ralenti tant que le Gouvernement annoncé n’est pas formé;
5) Enfin, le Président a-t-il vraiment les mains libres? Tout retard pourrait conduire à répondre non, surtout qu’on parle de guerres de leadership entre le PM et le RPM et d’une fronde supposée de celui-ci contre le Président. Il doit donc se hâter d’affirmer son contrôle sur le processus dont Drabo lui donne “complaisamment” la maîtrise totale.
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