L''avenir politique au Mali: Le Choix de la Methode

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Le "métier de président" dans un second quinquennat a ses contraintes. Qui exigent certaines rectifications.

Continuité, changement, changement dans la continuité, continuité du changement : les scénarios dans lesquels peut se décliner un second mandat présidentiel ne sont pas variables à l”infini. C”est d”ailleurs fort heureux pour un chef de l”Etat reconduit qui a besoin de faire apparaître très vite ses choix cardinaux. La célérité et la visibilité sont en effet essentielles dans la gestion de ce temps politique très particulier que constitue le second quinquennat. Faute d”entamer ce dernier de manière idoine, le président peut se retrouver confronté à des pesanteurs insoupçonnées et sur la résolution desquelles il n”aura qu”une prise relative.

La volonté de faire plus et mieux qu”auparavant doit donc résoudre en priorité la toujours complexe question du juste tempo. Celui qui va au devant des attentes fortement exprimées pendant la campagne. Car l”adhésion populaire, surtout lorsqu”elle suscite un score net, délivre toujours un message double. Qui intègre tout à la fois la satisfaction pour ce qui a été réalisé et l”espoir en ce qui va être entrepris.

Amadou Toumani Touré, à travers ses propos de campagne, a montré qu”il avait une claire perception de la complexité de ses futures tâches. Cette complexité l”interpelle d”abord lui-même sur la manière dont il va faire son "métier de président". Choisira-t-il d”évoluer pour mieux rester le même ? Optera-t-il pour un certain nombre de ruptures qu”il estimera inévitables ? La seconde hypothèse apparaît comme la plus vraisemblable. Avant tout, parce qu”elle est aussi la plus logique. Le président de la République a considérablement capitalisé sur l”exercice du pouvoir à travers les deux expériences profondément dissemblables, mais également instructives qu”il a vécues et qui sont représentées par la Transition et le quinquennat qui s”achève.

Assez peu comparables, les deux expériences possédaient néanmoins un certain nombre de points communs. Tout d”abord, la gestion d”une très grande impatience sociale et la prise en charge d”une exigence populaire de voir les choses changer. Certes, la très longue hégémonie du PASJ ne pouvait s”assimiler ni dans les effets, ni dans l”esprit au règne du parti unique, mais après avoir été porteur d”espérance, la formation rouge et blanche était progressivement devenue synonyme d”ankylose. En outre, la période 1997-2002 avait vu naître de très forts antagonismes entre les principaux acteurs politiques et avait suscité un schisme profond entre les autorités et l”opposition.

LE TEMPS DE L”INVENTAIRE –

Deuxième point commun des vécus présidentiels, la mise en place d”un monde de gouvernance original, destiné à faciliter l”écoute mutuelle et à susciter des compromis positifs. Il conviendrait de rappeler à cet égard que le Comité de transition pour le salut du peuple (CSTP), organe législatif de la Transition, était le produit d”une fusion peu commune : celle du Comité de réconciliation nationale mis en place par les putschistes du 26 mars 1991 et de la Coordination des associations et organisations démocratiques qui menait la contestation politique depuis plusieurs mois. Un tel attelage – qui, à notre connaissance, ne s”est reconstitué nulle part en Afrique – a notamment permis que des questions difficiles comme celles de la rébellion au Nord Mali, des prérogatives de la Conférence nationale et de l”organisation des élections puissent être gérées sans remous majeurs.

Presque dix ans plus tard, le consensus politique réussissait un exercice similaire d”atténuation des contradictions et de rapprochement des opposés. Amadou Toumani Touré, qui s”est totalement impliqué dans l”animation de ces deux montages à première vue improbables, sait désormais à quoi s”en tenir avec les mécanismes inédits. Il a pu en constater les incontestables mérites, notamment celui que constitue le traitement relativement apaisé des grandes questions nationales. Mais il a pu aussi en vérifier les limites. En particulier l”inconfort pour le chef de l”Etat d”être perpétuellement appelé en recours, la fréquente solitude dans les situations de crise, la nécessité d”être au four (de l”anticipation) et au moulin (de la rectification). Sans oublier les accusations de présence envahissante et d”accaparement médiatique.

Aujourd”hui, après le temps de l”expérimentation vient celui de l”inventaire. Tout laisse penser que le président de la République a utilisé la brève période de décompression que lui a accordé l”attente des résultats officiels pour une évaluation de l”accompagnement politique de son action lors du quinquennat qui s”achève. Cette revue était indispensable pour Amadou Toumani Touré, s”il tient à faire de son second mandat un espace aussi longtemps que possible utile. Pour parler prosaïquement, il lui faut prévenir un danger : celui de voir la vie publique prématurément prise en otage par les calculs de succession et les manœuvres de positionnement.

Ces dernières commenceront inévitablement à l”aube de la troisième année du prochain quinquennat et il suffit qu”elles atteignent une certaine intensité pour que le pays tout entier plonge dans l”attentisme et dans la léthargie. Ce scénario est loin d”être inimaginable. Pour se convaincre de sa réalité, il suffit de constater comment aujourd”hui encore toute l”administration publique se met en apnée à la première rumeur de remaniement ministériel. Pour le président Touré, il ne s”agit pas d”empêcher ce qu”il ne peut éviter. Mais d”en restreindre la durée et d”en réduire les nuisances. Dans cet ordre d”idées, le schéma du consensus politique tel qu”il a été pratiqué de 2002 à maintenant se révèle manifestement caduc.

Cette construction de gouvernance avait contenu pendant près de quatre ans les antagonismes politiques, mais elle n”a pas tempéré la virulence de ceux-ci lorsqu”a été entamée la bataille électorale. En outre, elle n”avait obtenu des partis qu”une participation sans implication. Or, ces deux handicaps ne peuvent être reconduits dans le prochain quinquennat. Le président de la République aura besoin de voir son action soutenue par une véritable alliance de forces politiques. Une alliance loyale et engagée. Et surtout une alliance qui aura intégré l”accompagnement du chef de l”Etat comme un élément stratégique majeur dans la préparation de 2012.

L”Alliance pour la démocratie et le progrès peut-elle offrir cette garantie de stabilité et d”engagement ? Formellement, oui, puisque sa plate-forme prévoit qu”elle demeurera au côté du chef de l”Etat au-delà de la période électorale. Objectivement, pas encore. Plusieurs réserves restent à lever. La première est purement arithmétique. Si au terme des futures législatives, l”ADP ne réunissait pas une majorité à l”Assemblée nationale, elle ne pourrait prétendre à être la poutre maîtresse du camp présidentiel.

UTILE ET INDISPENSABLE –

Cette hypothèse-catastrophe pour l”Alliance n”est cependant pas trop envisageable. Par contre, la solidarité interne de l”ADP et sa constance à observer une ligne politique collégialement arrêtée restent encore à démontrer. En effet, dans la préparation des législatives, de nombreux "Alliantistes" ont allégrement piétiné les résolutions édictées dans leur propre plate-forme. Au nom d”un supposé réalisme électoral, les combinaisons les plus hasardeuses ont été montées avec les adversaires d”hier, au risque de déboussoler les électeurs et d”accentuer le discrédit de la classe politique auprès de l”opinion publique. Faiblesse des états-majors ou désastre collatéral de la fièvre des ambitions, toujours est-il que le dynamitage de la bipolarisation créée par la présidentielle oblige à s”interroger une fois de plus sur la clarté (et parfois la sincérité) des engagements politiques dans notre démocratie.

Certes, le président Touré, qui s”est engagé sans ambiguïté à travailler avec tous les Maliens, ne songera pas à s”appuyer exclusivement sur un bloc politique. Mais il ne peut reconduire dans le prochain quinquennat la collaboration aléatoire antérieure qui faisait que les appuis en sa faveur s”exprimaient au cas par cas, et de manière très souvent chiche. Une nécessaire clarification des rapports s”impose donc. D”ailleurs, elle n”est pas seulement utile au chef de l”Etat. Elle est aussi indispensable à l”opinion nationale.

Après les déplorables incidents du 27 mars 2005 lors d”une rencontre avec le Premier ministre, de nombreux intervenants de la société civile avaient, pour expliquer l”affaiblissement de l”autorité de l”Etat, indiqué que le flou de la situation politique engendrait la confusion et encourageait l”opportunisme. Tout le monde se réclamant du président de la République, avaient-ils dit, l”autorité publique ne s”exerce sur plus personne, et les actions à la marge se pratiquent dans une parfaite impunité. Le jugement était sévère, mais véridique. Il traduisait surtout une lassitude des simples citoyens devant la morgue des activistes, de ceux qui se fabriquent leur propre légitimité, qui se prévalent d”une influence et d”un ancrage qu”ils sont loin de posséder.

La troupe des Tartarins politiques a particulièrement prospéré dans la pré-campagne présidentielle et aujourd”hui, elle attend certainement d”être récompensée pour son "engagement de la première heure". Or à Bamako et dans les grandes villes, là où les bateleurs avaient été plus que visibles, le taux très modeste de participation a infligé le plus cinglant des démentis à leurs rodomontades. Pour le président Touré, les constats critiques n”ont donc pas manqué. Ils pourraient logiquement lui inspirer une redéfinition de certaines de ses approches. Ses convictions profondes et sa vision sur l”avenir de notre pays n”en seraient pas modifiées. Mais sa méthode certainement. Il reste cependant à savoir jusqu”où le président poussera le curseur de la rectification.

La réponse, qui interviendra après l”investiture officielle, s”attachera moins à prendre en compte les impatiences et les espérances du microcosme qu”à mieux structurer l”action de l”Etat et à apaiser un certain nombre d”inquiétudes sociales. Car si l”immédiat après – 8 juin 2007 n”est pas tout à fait dominé par l”urgence, il ne se situe certainement pas dans un état de grâce. Il y a donc pour le président Touré nécessité à faire passer un message clair au pays réel, qui est celui des simples citoyens en attente d”un certain nombre de signaux. Ces signaux indiqueraient que le chef de l”Etat, après avoir beaucoup entendu et beaucoup enduré au cours de ces derniers mois, saurait manier la rupture aussi bien qu”il avait utilisé la synthèse. Et que sans avoir besoin de se transformer, il saurait à sa manière changer.

KÀLIFA

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