La signature de l’Accord n’élimine pas toutes les inconnues. Mais permet d’avancer en posant les bonnes interrogations
Et maintenant ? La question vient tout naturellement à l’esprit juste après la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation. Certes, nos compatriotes ne sont pas dans l’exigence de bouleversements miraculeux. Mais ils affichent des attentes bien précises et qui concernent essentiellement, dans un premier temps, le rétablissement de la sécurité. Les expériences que les Maliens ont vécues au cours des presque quarante derniers mois les incitent à se garder autant d’un optimisme disproportionné que d’un scepticisme systématique. Depuis vendredi dernier, l’opinion nationale s’efforce donc dans sa majorité de trouver le nécessaire équilibre entre une espérance mesurée et une indispensable prudence. Elle a conscience que l’Accord ne débloquera pas automatiquement des situations les plus difficiles. Celles-ci ne se dénoueront qu’au terme d’un laborieux processus de rapprochement de positions et d’établissement d’un seuil de confiance minimal. Le document signé n’écarte pas non plus la possibilité de malentendus, de frictions, voire de divergences de principe. Pas plus qu’il ne donne le signal d’une pression immédiate sur ceux qui rechignent encore à le signer.
Cependant, toutes ces précisions qu’il est indispensable de garder à l’esprit n’empêchent pas de considérer la signature de l’Accord comme un motif de réel soulagement. Avant tout parce que l’événement clôt une séquence pénible, marquée par l’incertitude absolue. Dans la longue chaîne de nos épreuves, il constitue à sa manière un deuxième moment de rupture. Le premier moment était intervenu avec le déclenchement de l’opération Serval qui produira au moins trois effets positifs.
Tout d’abord, l’offensive française à laquelle participèrent ensuite des troupes maliennes nigériennes et tchadiennes avait grâce à la reconquête du territoire occupé par les groupes djihadistes fait renaître la possibilité du retour progressif à un niveau de sécurité acceptable dans une grande partie de notre pays. Ensuite, la nouvelle situation militaire créée sur le terrain avait permis d’ouvrir des négociations entre notre gouvernement et les groupes rebelles et d’aboutir à la conclusion de l’Accord préliminaire de Ouagadougou, lequel énonçait les principes essentiels du futur processus d’Alger. Enfin la relative accalmie instaurée dans le pays donnait la possibilité de hâter le retour à la vie constitutionnelle en relevant le formidable challenge de l’organisation des présidentielles que la majorité des observateurs avaient décrété impossibles à faire tenir dans un délai aussi court que celui décidé.
PRÉCAIRE, MAIS SYMBOLIQUE. Notre pays avait donc vécu pendant quelques mois une parenthèse de regain d’optimisme. Une parenthèse malheureusement vite perturbée par les conséquences du traitement très particulier réservé à Kidal. Le MNLA s’était littéralement fait octroyer l’occupation d’une ville dont il avait été chassé quelques mois auparavant par l’organisation Ançar el Dine. Cette faveur a été des plus mal accueillies dans notre opinion publique et la situation dans la capitale de la 8è Région est progressivement devenue l’abcès de fixation d’une forte rancœur nationale. En dépit de la présence de la MINUSMA, Kidal s’est transformée en point de ralliement d’éléments extrémistes et de base de combattants djihadistes en attente de reconversion. Elle s’était aussi muée en territoire inhospitalier pour les officiels gouvernementaux qui se voyaient soit frappés d’interdiction d’atterrissage, soit caillassés au passage de leur convoi.
Assombrie par le dossier kidalois, la parenthèse évoquée plus haut prit fin avec les événements des 17 et 21 mai 2014. Il est inutile de revenir en détails sur ce qui s’est passé lors de ces deux dates fatidiques et dont la trace douloureuse restera longtemps gravée dans la mémoire collective malienne. Mais il est indispensable de souligner que ces événements ont introduit notre pays dans un long tunnel d’infortunes et lui ont fait perdre une bonne partie des acquis difficilement accumulés les mois précédents. Notamment la présence précaire, mais symbolique, de la République à Kidal ; ainsi qu’une vraie implication des FAMAs dans la sécurisation du Septentrion.
Le recul subi est incontestablement dévastateur. Nous ne nous étendrons pas sur la politique d’expansion pratiquée par le MNLA qui a détourné à son profit les dispositions édictées dans le cessez-le-feu au point de contraindre le GATIA à faire barrage à ses appétits. Nous insisterons surtout sur la catastrophique montée de l’insécurité qui, du Nord du Mali, descend aujourd’hui jusqu’au centre du pays. Comme cela était malheureusement prévisible, le cantonnement des forces maliennes a laissé des brèches béantes dans le dispositif de sécurisation des populations. Et comme cela était attendu, ces brèches n’ont pas été colmatées par les forces internationales qui ont pratiqué une interprétation restrictive de leur mission de protection des populations civiles.
Ces absences combinées ont tout naturellement créé un appel d’air pour la perpétration d’actes violents provenant aussi bien des groupes djihadistes renaissants comme le MUJAO que d’acteurs terroristes comme l’organisation Al Mourabitoune ou encore des bandes de prédateurs opérant sous la bannière des mouvements, mais uniquement motivés par la captation de butins. Les attaques se concentrent indifféremment sur les populations civiles, sur nos forces armées, sur la MINUSMA et beaucoup plus rarement sur Barkhane. Comme la riposte aux agressions est pour le moment insuffisante, l’intensité de ces dernières a notablement progressé depuis la fin 2014.
L’attente première de nos populations, après la signature de l’Accord, portera donc tout naturellement sur une réduction notable des actions armées, quelle qu’en soit l’origine. Le scénario souhaitable qui aurait intégré la signature de toutes les composantes de la CMA ne s’est malheureusement pas réalisé. Il aurait amené assez rapidement une nette amélioration de la situation sécuritaire. D’une part, à travers la cessation par les combattants rebelles de toute action hostile au gouvernement. Et d’autre part, grâce à la mise en place diligente de patrouilles mixtes qui se seraient déployées en priorité sur les zones à haut degré d’insécurité. La situation actuelle qui laisse entrevoir une adhésion sous condition des trois principales composantes de la Coordination laisse en suspens deux questions dont la réponse appartient à la Médiation internationale.
UN RÔLE DE PRÉCURSEUR. La première interrogation porte sur le temps que se donnent encore les médiateurs pour poursuivre leur action de persuasion. Les partisans du dialogue à temps long plaideront la poursuite des efforts en invoquant le résultat objectivement remarquable obtenu par la Médiation entre le 15 avril, date du dernier faux-bond de la CMA et le 14 mai, jour du paraphe du document par Bilal Ag Achérif. Les médiateurs ont aussi convaincu les modérés que sont la CPA et le CMFPR 2 de signer l’Accord. Mais le résultat obtenu n’efface pas les sérieuses inconnues que comporte l’avenir. Dans une déclaration jointe au paraphe, le leader de la CMA indique que « le document du 1er mars ne saurait être pris pour l’Accord définitif et que sa mise en œuvre ne saurait commencer sans un accord consensuel entre parties ». La déclaration insiste aussi sur le fait que les points essentiels soumis par la CMA à la Médiation le 17 mars à Kidal soient examinés entre les parties en conflit et les médiateurs avant toute signature du document final.
Ces remarques restrictives n’ont pas évité au leader de la CMA d’essuyer un vrai tir de barrage de critiques et d’accusations venant toutes de son propre Mouvement. Le Conseil révolutionnaire du MNLA, l’Association des femmes, la Coordination des cadres, le chef militaire de la zone du Gourma, le Congrès mondial Amazigh et l’organisation touarègue Temous ont tous, dans des communiqués enflammés, désavoué l’auteur du paraphe. L’un d’eux (le Conseil révolutionnaire) a même renié la médiation algérienne, la jugeant partiale. Le signal de ce feu roulant paraît avoir été donné par Moussa Ag Assarid. Le représentant du Mouvement pour l’Europe ne pèse sans doute pas assez lourd à lui seul pour créer une crise au sein de la Coalition et remettre en cause le leadership confié à Bilal Ag Achérif. Mais il endosse visiblement le rôle de précurseur et de porte-parole d’une tendance dure qui refuse la concession faite par les modérés et reste attachée à des modifications substantielles dans l’Accord. Tous les réticents de la CMA partagent-ils la même ligne radicale ? Nous ne le pensons pas. La BBC avait diffusé le 14 mai dans des journaux parlés distincts deux interviewes à tonalité entièrement différentes données l’une par un représentant du MNLA, et l’autre par un responsable du HCUA. Le premier indiquait que les négociations qui s’engageraient entre le gouvernement et la Coordination après le paraphe porteraient sur la prise en charge des revendications contenues dans le document remis le 17 mars dernier à la Médiation. Le second intervenant affirmait que la Coalition n’avait pas de divergences de fond avec le contenu de l’Accord, mais tenait à se faire donner certaines « garanties » et obtenir des « éclaircissements ».
Il ne faudrait sans doute pas tirer des conclusions définitives à partir du relevé de ces approches très différentes de la gestion de l’après-paraphe. Mais les nuances relevées confirment les subtiles lignes de séparation qui parcourent la Coordination. La Médiation saura-t-elle en tirer profit ? Difficile de le dire pour le moment. Tout comme il est impossible de pronostiquer la ligne de conduite que se donneront les radicaux. Parmi ceux-ci se trouvent certainement les partisans de la poursuite du harcèlement de nos forces armées. Si les extrémistes parviennent à imposer cette tactique, se posera alors avec acuité la seconde question que devra affronter la Médiation : si les négociations traînent en longueur et que les actions violentes se multiplient sur le terrain, le Comité de suivi de mise en œuvre de l’Accord ne sera-t-il pas amené à monter rapidement les patrouilles mixtes avec les parties qui ont signé l’Accord ? Car l’opinion malienne comprendrait difficilement qu’un minimum de dispositions ne soit pas pris pour relever le niveau de protection des populations.
UNE INCOMPRÉHENSION GRANDISSANTE. C’est d’ailleurs en tenant compte de l’actuelle disposition d’esprit de nos compatriotes que le président Ibrahim Boubacar Keïta a adopté un ton assez vif pour réagir à certains passages du message lu par Hervé Ladsous. Le chef de l’Etat a tenu à rappeler que les forces armées maliennes n’avaient jamais violé les dispositions du cessez-le-feu et que lors des récentes attaques, ce sont nos positions qui ont été assaillies ; que malgré les avanies subies notre pays ne s’était jamais départi de son choix pour une solution négociée au conflit et qu’il s’en tiendrait à cette option dans la dernière ligne droite ; que nos populations ont toutefois le sentiment d’avoir été traitées désavantageusement par l’ONU et que la position onusienne gagnerait à être plus équilibrée entre les différents protagonistes.
Les remarques du chef de l’Etat s’imposaient absolument, et on se rappelle que notre ministre chargé des Affaires étrangères avait réagi, il y a quelques semaines, à un constat inexact des Nations unies qui pointait déjà une violation du cessez-le-feu par « toutes les parties ». Tout diplomate un tant soit peu familier de la bureaucratie onusienne sait que les messages du Secrétaire général sont confectionnés au kilomètre par les services compétents et que ceux-ci ne reculent pas devant un usage immodéré de poncifs qui n’ont rien à voir avec les réalités sur le terrain. Il faut donc savoir réagir à ce procédé lorsqu’il travestit les événements de manière négative pour nous.
Ce week-end, la MINUSMA s’est émue que le Mali ne reconnaisse pas les sacrifices acceptés par ses éléments. Disons-le en toute franchise, la réaction de la Mission nous paraît décalée par rapport aux problèmes soulevés par le chef de l’Etat. Il ne s’agit pas pour les autorités maliennes de remettre en cause la nécessité de la présence des troupes onusiennes, ni surtout de nier le lourd tribut payé en pertes humaines par les Casques bleus lors des attaques terroristes. Il s’agit d’aborder, sans fard, l’attitude inadaptée des forces internationales dans des situations difficiles qui ne s’assimilent pas à des engagements militaires. Il s’agit, par exemple, de comprendre pourquoi les éléments de la MINUSMA ont toléré pendant presqu’une année et sans la moindre réaction les abus de nervis qui avaient mis Ménaka en couple réglée. Il s’agit aussi pour la Mission elle-même de s’inquiéter de l’incompréhension grandissante de notre opinion nationale vis-à-vis de son action et de comprendre que sa passivité dans certaines situations critiques ne peut être perçue par nos compatriotes que comme une forme de complicité avec les agresseurs.
Le chemin vers la paix ne peut donc faire l’économie d’un échange de vérités. Depuis vendredi dernier s’est ouverte une nouvelle parenthèse qui prendra la forme de l’instauration d’une période intérimaire. Nous y entrons délestés des désillusions déjà essuyées et conscients des erreurs à ne plus rééditer. Cet effort de lucidité est sans doute la manière la plus sûre de ne pas nous perdre en chemin.
G. DRABO
Même après dix ans de négociation, ces Touareg bandits n’accepteront pas à la dernière minute. Aussi, ils n’accepteront pas non plus le référendum car là ils sont très minoritaires et rejetteront toutes formes de votations.
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