L’avenir politique au Mali : Dans l’attente des bons signaux

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L’avenir politique au Mali Les partis avaient échoué dans leur précédente obligation de mue. Dans le contexte présent, la pression est encore plus forte pour une indispensable évolution.

 

Cela pourrait relever seulement de la simple curiosité historique, mais celle-ci en dirait tout de même long sur l’itinéraire parfois paradoxal suivi par notre démocratie qui a prétendu à l’exemplarité avant de s’entendre accablée de toutes les déviations. Depuis 1991, le Mali a connu deux Transitions et ses partis politiques, autant. Mais pas selon le même calendrier. Il n’y a bien sûr rien de comparable dans la taille des enjeux entre les périodes charnières qu’a eues à traverser la nation toute entière et celles au cours desquelles les formations les importantes de notre pays ont tenté et tentent encore de s’auto-évaluer et de se réajuster. Mais le seul fait qu’en moins d’un quart de siècle de pratique démocratique, notre monde partisan ait admis par deux fois (dont une en cours) la nécessité de reconsidérer son rôle et ses pratiques peut être interprété autant comme une preuve de lucidité que comme l’indice d’une inquiétante inadaptation aux attentes du pays réel.

 

La première transition partisane a débuté en 2002 en même temps que le premier quinquennat du président Touré. Le chef de l’Etat d’alors n’avait pas caché que le mandat qu’il briguait se présentait pour lui sous la forme d’une nouvelle transition à conduire et au cours de laquelle il tenterait de mettre fin aux antagonismes qui avaient marqué le second quinquennat de Alpha Oumar Konaré. Antagonismes qui avaient notamment amené une profonde scission à l’intérieur de la classe politique entre le camp présidentiel et le Collectif des partis politiques de l’opposition (Coppo). Comme on le sait, le clivage était intervenu suite au fiasco organisationnel du premier tour des législatives de 1997. Face au désastre du 13 avril qui amena la Cour constitutionnelle à annuler tous les résultats de la consultation, l’opposition avait immédiatement adopté une position radicale à l’extrême en demandant la démission du gouvernement, la dissolution de l’Assemblée nationale, celle de la Commission électorale nationale indépendante, la révision du fichier électoral et le gel du processus électoral.

 

L’observation de ces exigences aurait fait entrer le pays dans une zone de totale incertitude à l’expiration des mandats de deux institutions de la République (le président et l’Assemblée nationale). Or, Alpha Oumar Konaré avait voulu éviter un embourbement des élections en prononçant le 3 mars la dissolution de l’Assemblée nationale et en contraignant ainsi la CENI – qui avait étalé d’incompréhensibles hésitations dans le choix des dates – à fixer un calendrier électoral ferme. Le chef de l’Etat ne pouvait donc pas entrer dans un schéma de gouvernance aléatoire. Il maintint par conséquent la date de la présidentielle dont le premier tour avait été fixé au 11 mai. Parallèlement, il entama en vain des négociations avec le Coppo dont il essaya de ramener les représentants dans le processus électoral. Dans ses démarches, le chef de l’Etat n’obtient que deux résultats tangibles, assez minces, il est vrai, mais suffisants pour sauver le caractère pluraliste de la toute proche élection. Le 1er mai, Mamadou Maribatrou Diaby, président du Parti pour l’union, la démocratie et le progrès (PUDP), annonça sa décision de se présenter à la présidentielle. Deux jours plus tard, la direction de l’Union pour la démocratie et le développement (UDD) publiait une déclaration dans laquelle elle estimait qu’un gel systématique des consultations représentait un danger pour la démocratie et la porte ouverte à l’aventure. Le parti ne donnait pas de consignes de participation au vote à ses militants, mais il engageait ceux-ci à une « réflexion sur le respect de la légalité républicaine ».

 

LES LIGNES N’ONT PAS BOUGÉ. Cette position était partagée par une partie du secrétariat exécutif du Rassemblement pour la démocratie et le progrès (RDP) qui se démarqua de la ligne intransigeante fixée par son président, Almamy Sylla. Lors de sa prestation de serment le 8 juin, le chef de l’Etat réélu fit une nouvelle tentative de conciliation envers l’opposition en déclarant qu’il offrait « une main tendue pour cultiver la paix, le consensus, le pardon et la solidarité ». Mais les désaccords étaient trop profonds et les griefs mutuels trop nombreux de part et d’autre pour que les principales formations de l’opposition donnent suite à la proposition présidentielle.

 

Les positions allaient encore se durcir après l’arrestation de plusieurs responsables du Coppo le 17 juin, suivie de leur remise en liberté provisoire obtenue par une intercession de la société civile. Cependant, la stratégie présidentielle ne fut pas totalement improductive puisque certaines formations (COPP, PDP, PUDP, UDD) et l’aile conciliante du RDP se regroupèrent sous l’étiquette d’ « opposition démocratique » pour prendre part aux élections législatives. Le président Konaré, qui n’avait pas renoncé à faire revenir dans le jeu politique un maximum de protagonistes, procéda entre le 7 et le 18 août à une série de concertations avec des représentants de forces politiques et de la société civile. Mais sa démarche ne fit pas bouger les lignes et finalement ce fut uniquement avec les formations qui avaient participé aux législatives que fut signé le 12 septembre un programme minimum d’action pour la démocratie, le développement et la solidarité. Ce document allait donner naissance le 16 septembre au gouvernement de base politique élargie dans lequel seront intégrés cinq représentants de l’opposition démocratique (deux de l’UDD, un de la COPP, un du RND et un du PDP). D’autres tentatives d’apaisement faites de manière sporadique comme la libération de responsables du Coppo en octobre et la grâce présidentielle accordée le même mois à des militants de l’opposition compromis dans les incidents électoraux à San n’amenèrent aucune modification dans la stratégie de boycott adoptée par le Collectif.

 

L’opposition s’abstiendra ainsi de participer au Forum politique national tenu dans la dernière semaine de janvier 1999 et au cours duquel ont été discutés la relecture de la Constitution, le statut de l’opposition, la Loi électorale et la Loi sur la presse. Cette ultime tentative présidentielle d’obtenir une décrispation de la situation ayant échoué, les deux camps restèrent sur des positions antagonistes jusqu’aux élections de 2002. Ce fut à ce moment qu’un glissement purement tactique amena le CNID et le MPR à se rapprocher dans le cadre de la coalition Espoir 2002 du RPM nouvellement créé par Ibrahim B. Keita.

 

Le président Amadou Toumani Touré, qui désirait gouverner avec toutes les formations prêtes à l’appuyer, n’avait donc d’autres choix que d’abattre le mur de la défiance érigé entre les principaux acteurs de la scène politique, de faire accepter l’extinction des contentieux et de favoriser la réhabilitation des partis auprès de l’opinion nationale. Le projet présidentiel a-t-il abouti ? Oui et non. La réussite a été indéniable dans le domaine de la pacification des relations entre les frères ennemis d’hier. Associées à la conduite des affaires à travers leur présence dans un gouvernement de consensus, libérées de la nécessité de se combattre pour conserver ou affaiblir le pouvoir, neutralisées par leur représentation minoritaire à l’Assemblée nationale (aucun parti ou groupement de partis n’y disposait d’une majorité absolue susceptible d’infléchir la volonté présidentielle), les principales formations politiques ont assez facilement fait table rase de tout ce qui les opposait dans un passé récent.

 

UNE CHANCE HISTORIQUE. Par contre, la méthode ATT ne contribua en rien à la revitalisation des partis au niveau de leur fonctionnement et de leur meilleur ancrage dans les réalités du pays. Les conditions de l’accompagnement du président de la République n’ayant jamais été discutées au préalable dans une négociation politique, les formations associées à l’exercice du pouvoir se sont donc cantonnées dans une participation déresponsabilisée alors qu’elles avaient la possibilité d’opter pour un appui critique pouvant aller jusqu’à une sortie du gouvernement en cas de grave désaccord avec le chef de l’Etat. La forme la plus achevée de cette collaboration passive fut atteinte lors de la présidentielle de 2007 quand plusieurs formations grandes et moyennes, parmi lesquelles le PASJ et l’URD, choisirent de ne pas présenter de candidat contre le chef de l’Etat sortant. Pourtant, la logique leur commandait de tester leurs forces sur le terrain pour ensuite mieux négocier ensuite leur engagement auprès du vainqueur éventuel. Seul le RPM, qui avait auparavant pris quelque distance en exprimant ses réserves quant au traitement du problème du Nord du Mali, se lança dans la compétition.

 

La période 2002-2012 n’a donc pas en fin de compte revalorisé les partis. Sur le plan de la gestion des affaires publiques, ces derniers n’ont guère pesé, se contentant – selon la formule consacrée – de « mettre en œuvre la vision du chef de l’Etat ». Sur le plan de la représentation institutionnelle, ils ont assisté impuissants à la montée du phénomène « Indépendants » et à la création de la formation « crypto-présidentielle » PDES qui sont venus puiser dans le vivier de leurs militants et de leurs responsables. Sur le plan de l’image, ils ont perdu en crédibilité auprès d’une opinion publique qui a sévèrement jugé leur effacement devant la volonté présidentielle. Sur le plan de la réactivité, ils ont été fréquemment largués, puisque pris par surprise par l’exaspération populaire face à l’adoption du très décrié Code de la famille et insuffisamment attentifs à la montée des périls au Nord du Mali.

 

C’est donc lestés de très lourds handicaps que les partis politiques entament leur deuxième transition qui a en fait commencé avec le coup d’Etat du 22 mars. Eux qui s’étaient plaint d’avoir été dévalorisés et négligés sous la présidence d’Amadou Toumani Touré tiennent désormais donc une chance historique de se réhabiliter aux yeux des populations. Cependant, le moins que l’on puisse dire est que jusqu’à présent les premiers signaux envoyés sont bien différents de ceux attendus. Les législatives ont fait ressortir deux phénomènes parmi ceux qu’abhorrent le plus les simples citoyens : la prolifération des candidatures et les alliances d’opportunité. La deuxième tendance s’est d’ailleurs maintenue après les consultations avec le ralliement au RPM de tous les indépendants qui avaient pourtant eu à s’imposer dans leurs fiefs respectifs devant les candidats du parti majoritaire. A cela se sont ajoutées les polémiques au sein de l’Adema-PASJ et des FARE quant au positionnement à adopter à l’Assemblée nationale. On a vu sur cette question dans un des cas, la Direction des Rouges et blancs indiquer de manière quasi subreptice et hors des canaux usuels sa ligne tactique ; et dans l’autre, des députés prendre le contrepied de la consigne donnée par le plus haut responsable des Forces alternatives.

 

Les indices se sont donc multipliés pour signifier que les habitudes négatives ont la vie dure. Mais nous n’en sommes qu’au tout début de la seconde transition des partis et il faut certainement laisser du temps au temps. Deux indicateurs montreront si l’évolution souhaitée a des chances de se produire. Le premier sera le comportement du nouveau Parlement qui en est pour le moment à poser laborieusement ses repères et qui s’est donné comme mission essentielle l’accompagnement de l’action du président de la République. Le plus important est de savoir quelle part d’appréciation critique de l’action gouvernementale comportera cet accompagnement. Dans le contexte complexe et fragile où nous demeurons encore un certain temps, le meilleur service que le Parlement pourrait rendre à l’Exécutif serait de lui rapporter autant que nécessaire sur tous les grands dossiers le ressenti des hommes du terrain que devraient être les élus. Et non pas de le laisser se fourvoyer sous prétexte de ne pas le gêner dans l’exécution de son agenda.

 

Le deuxième indicateur sera la performance de certains jeunes partis lors des prochaines municipales. Ces formations n’ont pas pu abattre tous leurs atouts lors des législatives à cause du mode de scrutin. En effet, si le système majoritaire à deux tours est garant d’une certaine stabilité institutionnelle, il constitue aussi un impitoyable effaceur des qualités des vaincus. Or, lors de la campagne des législatives ont surgi quelques initiatives intéressantes portées par des visages nouveaux qui croyaient en leur projet et qui paraissaient handicapés avant tout par une implantation trop récente pour leur permettre de jouer leurs chances à fond. A ceux-ci, les communales donnent la chance de commencer par le bas le métier politique qui semble les intéresser. C’est peut-être ce personnel nouveau qui donnera un élan inattendu à la deuxième transition partisane. Il faut l’espérer. Car la conquête de l’adhésion populaire représente un challenge vital pour la classe politique. Si elle échouait dans cette entreprise, ce serait une mauvaise nouvelle. Pour tout le monde.

G. DRABO

 

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