Le débat sur le rôle de la société civile dans la construction démocratique au Mali occupe une place centrale dans le contexte sociopolitique actuel.
Fruit des politiques d’ajustement structurel et du formatage de la Banque mondiale pour assurer la «bonne gouvernance», en réalité, la régulation sociale pour calmer le mécontentement populaire, éviter la fracture sociétale et l’implosion de la communauté nationale, la société civile malienne ne joue aucun contre-pouvoir réel. Elle n’est en règle générale ni indépendante, ni autonome sur les plan conceptuel, financier et politique. Elle est plutôt la «voix de son maître», le cache-sexe institutionnel, politique et économique pour frayer le chemin à des institutions, méthodes et techniques de gestion étrangère.
À partir des années 1980, avec l’échec complet des politiques et modèles de développement inspirés par les États riches et mis en œuvre par les régimes non démocratiques d’Afrique, le marasme économique et financier (voire la banqueroute totale dans certains pays), des Programmes d’ajustement structurel (PAS) ont été mis en route par le truchement du FMI et de la Banque mondiale.
L’objectif recherché à travers les politiques d’ajustement structurel est de garantir le remboursement de la dette extérieure des pays placés sous ajustement. Ces programmes et politiques d’austérité et de réformes économiques, administratives et institutionnelles se révélèrent très rapidement par leurs effets catastrophiques sur les conditions de vie du plus grand nombre, les tensions et violences de toute sorte (explosions sociales, guerres civiles, guérilla) et donc des risques de fracture et de dualisation que le marché est insuffisant pour réguler la société.
Or, les États, sous la pression des créanciers internationaux qui exigent la réduction drastique des budgets nationaux, l’orientation des ressources publiques en priorité vers les secteurs rentables, ont dû abandonner leurs politiques de protection sociale et se sont mis ainsi dans l’incapacité d’assurer la régulation nationale indispensable pour la préservation de la cohésion de la communauté.
Dans ces conditions, la société civile sera assignée par les puissances financières à la fonction de relais et d’instrument pour faciliter l’introduction et la mise en œuvre des réformes d’une part, de préparer l’installation future d’organismes et institutions (cabinets, bureaux d’expertise ou firmes privées) d’autre part.
Dans le cadre de l’exécution des programmes de compensation qui ne sont en réalité que des mesures palliatives consistant à remplacer les politiques sociales publiques en politiques d’assistance et les citoyens en mendiants, la Banque mondiale définit une division du travail où la société civile s’occupe essentiellement des secteurs sociaux, de la réduction des coûts de projet par le travail gratuit des populations, du niveau exclusivement local avec interdiction d’agir sur les causes structurelles de la pauvreté, des inégalités et de la misère (fiscalité, politique agricole, politique foncière..) laissant les secteurs productifs et les politiques de développement aux priorités et (à la discrétion) des puissances du marché .
En même temps, suite à la destruction de l’appareil productif national provoquant un rétrécissement du marché de l’emploi et surtout l’assombrissement des perspectives de promotion professionnelle, la société civile dans son nouveau rôle de «participation» constitue un refuge naturel pour tous les exclus, les marginalisés, les mécontents et tous ceux qui sont en mal de repère, en quête de sens.
Le contexte actuel de démocratisation a un effet corrosif sur la société civile. Alors que sous la dictature militaire de la 2ème République, elle avait su préserver pour l’essentiel sa relative autonomie, sa capacité de résistance et de lutte pour un type de société plus conforme aux aspirations de l’immense majorité, avec la domination sans partage du néolibéralisme, elle est plutôt préoccupée par ses problèmes de survie matérielle et d’intendance au détriment de ses idéaux et objectifs proclamés.
Son objectif primordial est de conquérir une position favorable dans le système clientéliste de gestion des maigres ressources de l’État et des fonds consacrés aux programmes de compensation. Elle est incapable d’assumer son rôle de contre-pouvoir réel parce que discréditée et largement instrumentalisée.
Nouhoum Kéïta