Janvier-septembre 2012. En huit mois, la crise malienne a été à multi-facettes. D’abord la « guerre » des Touareg du MLNA à Bamako. Objectif : l’indépendance de l’Azawad. Puis un coup d’Etat militaire aux allures d’insurrection. Le pouvoir en place s’effondre comme une mangue trop mure (carrément gâtée même) et le chef de l’Etat, Amadou Toumani Touré (ATT), finira par prendre la poudre d’escampette pour s’installer confortablement avec les siens au bord la mer, au Sénégal.
Il faudra que la Cédéao s’en mêle pour que le Mali retrouve un semblant de légalité républicaine. Un président et un premier ministre de transition vont prendre la place de l’équipe de bras cassés qui avait jeté à bas le régime d’ATT. Pas une affaire simple. L’opération sera portée à bout de bras par Ouagadougou (et dans une moindre mesure par Abidjan), la capitale du Burkina Faso se trouvant engagée dans cette affaire par la prise de conscience qu’avait sa classe politique de « l’irrémédiabilité » des dommages collatéraux que « la crise malo-malienne » allait provoquer en Afrique de l’Ouest. Sauf qu’aucune médiation ne peut aboutir sans dialogue. Or, pour dialoguer, à moins d’être fou, il faut des interlocuteurs. A Bamako, ni les responsables de la transition, ni la classe politique, ni la société civile, ni l’armée ne se sont montrés à la hauteur de la situation dramatique que connaît leur pays. Au Nord, rapidement, le MNLA, sous les coups de boutoir des « islamistes », va imploser ; quant aux « islamistes », seul leur Dieu doit comprendre la finalité de leur action. Pour le commun des mortels, ce n’est que « Apocalypse Now » !
Sous la férule de la Cédéao, l’implication de la région dans la résolution de la crise n’a rien… résolu. De Nouakchott à Ndjamena et d’Alger à Abidjan, le brouhaha diplomatique a été total. Qui fait quoi, comment, avec qui, pour quelle finalité, etc. ? Dans le même temps, le pouvoir a changé de mains à Paris, Washington est entré en campagne électorale, Israël veut « foutre sur la gueule » de l’Iran à n’importe quel prix, Pékin cherche des noises à Tokyo (et vice versa) et les « révolutions arabes » tournent à la contre-révolution. Ajoutons par-dessus tout cela une crise de la « mondialisation » économique qui, à force « d’être derrière nous », a fini par se retrouver devant, la terre étant encore ronde.
Autrement dit, aujourd’hui, pour être un peu peinard, il vaut mieux être un martien qu’un terrien. Ou, alors, être Malien. Car il faut bien reconnaître que si tout le monde se préoccupe de ce qui se passe là-bas, là-bas, chacun s’occupe uniquement de son petit (ou grand) business, les périodes de « confusion » politique étant les plus aptes à permettre des fortunes rapides (et, surtout, malhonnêtes).
Comme ne manque pas de le noter Blaise Compaoré : tout cela « n’est pas réjouissant ». Et c’est une façon de parler très diplomatique. Disons les choses telles qu’elles sont : la suffisance de la classe politique malienne n’a d’égale que son insuffisance politique. Quant à l’armée, elle n’est même plus capable de défiler au pas le jour de la fête nationale (il est vrai aussi que la fête nationale n’a plus aucun sens dans un pays où les militaires ne cessent de pratiquer le « repli stratégique » en abandonnant armes et bagages avec, parmi les bagages, la population civile). Autrement dit, il vaut mieux tirer un trait sur Bamako (dont on pourrait dire que les dirigeants n’ont pas les moyens de leurs ambitions, sauf qu’ils sont dénués de toute ambition) qui « compte pour du beurre », et négocier la paix avec le Nord qui ne sait pas trop quoi faire, à terme, de son pouvoir : quelques vieilles pierres effondrées, quelques bras et pieds mutilés, des gargotes « désalcoolisées », des femmes voilées, etc.
Tout cela ne fait pas une vie ; encore moins une nation. Et surtout pas un Etat. Et nuit gravement au business. Voilà pour les « islamistes » qui, de toutes les façons, ont le « vent de l’Histoire » en plein nez ; ce qui ne va pas faciliter leur progression. Quant aux Touareg maliens, ils viennent de se faire mettre la « plus belle branlée » de toute leur histoire. Ils ont entrepris d’allumer au Mali le chaudron des sorcières, mais n’avaient pas une louche assez longue pour goûter la sauce sans risque. Les voilà débordés et ridiculisés, réduits à des exhortations qu’emportent les vents de sable.
L’internationalisation de « la crise malo-malienne » serait une situation à risque s’il y avait une nation malienne avec, à Bamako, un Etat digne de ce nom au service d’une République qui ne serait pas qu’un mot gravé sur du papier à en-tête. Mais la « communauté internationale » peut bien poser un couvercle sur Bamako (autrement dit une tutelle), il n’y aura personne pour aller le soulever et voir qui s’agite en-dessous. Cessons d’être naïfs. La situation que connaît le Mali n’est à risque que pour l’Afrique de l’Ouest (et je le redis : de Nouakchott à Ndjamena et d’Alger à Abidjan), le monde arabo-islamique et l’Union européenne.
Pour le Mali, c’est râpé. Et pour longtemps. Il faudra relire « Ségou » de Maryse Condé pour se rappeler ce qu’a été la splendeur passée de ce pays. Le risque, c’est la déstabilisation des systèmes politiques en place : les démocraties européennes, les oligarchies du Moyen-Orient, une ou deux bureaucraties post-staliniennes, des monarchies anarchiques et des anarchies monarchiques, les « Etats mous » (Gunnar Myrdal), les « Etats patrimoniaux » (Max Weber) d’Afrique, etc. Washington, New York, Bruxelles, Paris, Londres, Berlin, Madrid, Rome savent que la crédibilité de la « communauté internationale » quand elle se pense (et se pense-t-elle jamais autrement ?) en tant que « puissance occidentale » est en jeu dans les sables du « corridor sahélo-saharien ».
Si c’est vrai, il faut le dire clairement. Si ce n’est qu’anecdotique, alors il faut rompre avec ce « journalisme préventif » que dénonçait Christophe Ayad dans Le Monde daté du 23-24 septembre 2012*. Faut-il, quand on est ce que nous sommes : euro-africains mâtinés d’Américains par la culture « mondiale », être terrorisés par Abdelmalek Droukdel, Yahia Djouadi, Nabil Makhloufi, Mokhtar Belmokhtar, Abou Zeid, Hamada Ould Mohamed Kheirou, Iyad ag Ghali, Alghbass al Intallah… dont Jeune Afrique nous dit (23-29 septembre 2012) qu’ils sont « les nouveaux maîtres du Mali » ?
Dans quelques jours, le mercredi 26 septembre 2012, l’Assemblée générale des Nations unies, tirant les leçons des mois passés en vain à chercher à résoudre « la crise malo-malienne » par la voie de la médiation « africaine », va entreprendre de mettre en place une médiation « globalisante » : ce n’est plus l’Afrique de l’Ouest stricto sensu (même s’il est probable que Ouaga jouera encore le premier rôle) qui sera concernée par ce dossier mais la « communauté internationale » avec ses partenaires orientaux (dont, bien sûr, le Qatar). Une étape va être franchie ; reste à savoir au profit de qui.
* « Il ne s’agit pas ici de décerner des bons ou des mauvais points, mais de pointer une dérive qui consiste à annoncer les choses de peur de ne pas les avoir vues venir avant qu’elles surviennent. Et, au final, à les provoquer, par crainte qu’elles ne se produisent pas, puisque les médias, comme la nature, ont horreur du vide […] Lorsqu’on fait de l’information un spectacle, ce dernier est au mieux décevant, toujours mauvais ». (Christophe Ayad, spécialiste du Proche-Orient, au sujet de la crise provoquée par la vidéo islamophobe L’Innocence des musulmans).
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique