En 1992, Alpha Oumar Konaré, candidat de l’Adema Pasj, avec l’aide de l’administration de la transition, remporte les premières élections de l’ère de démocratisation, toujours en cours, au Mali. La « Ruche », surnom donné au parti Adema à cause de son symbole, une abeille solitaire, devint alors bourdonnante et grouillante, attrait de nombreux acteurs, responsables et activistes, politiques. Pendant dix ans, de 1992 à 2002, qui correspondent aux deux mandats constitutionnels du président Konaré, le Pasj a été la principale, sinon la seule, force politique du pays, écrasant tel un rouleau compresseur tous les adversaires qui se dressaient sur son passage et tous les amis et alliés qui osaient critiquer ses velléités tentaculaires et hégémoniques.
Douze ans plus tard, la Ruche est déserte, orpheline à la fois des abeilles et des frelons. Que s’est-il donc passé pour que ce parti, jadis comparé à l’ANC de Nelson Mandela, la plus grande famille politique d’Afrique, touche ainsi le fond et en est réduit à s’arrimer à d’autres pour survivre ? En 2002, Alpha Oumar Konaré, était accusé plus à raison qu’à tort d’avoir été à l’origine du déraillement de l’imposante locomotive Adema, notamment en encourageant la candidature de quelques guignols et fantoches à la présidentielle, tout en mettant tout en œuvre pour l’élection de celui qui l’avait poussé dix ans plus tôt à grimper à Koulouba. De fait, même si l’Adema a été fondé par des hommes et femmes aux idéologies totalement différentes, voire antagoniques, qui s’étaient ligués contre un ennemi commun, Moussa Traoré et l’Udpm, et que les divergences internes sont apparues dès le succès de l’insurrection populaire qui a renversé l’ancien régime, la descente aux enfers de l’Adema a véritablement commencé à partir de 2000. Avec trois escales. Les départs du parti de deux membres fondateurs, Mamadou Lamine Traoré et Issa N’Diaye, qui ont créé chacun un mouvement politique sont anodins à côté de la démission d’Ibrahim Boubacar Kéita, en 2000. Président du parti et tout puissant Premier ministre à poigne, IBK a été contraint au départ quand il a voulu faire valoir ses droits à la succession de son mentor. Le candidat naturel de la Ruche est ainsi déchu de tout. Il ne quittera pas seul mais embarquera dans ses bagages plusieurs compagnons dont d’importants cadres et responsables du parti. Deux ans plus tard, un de ses plus virulents adversaires rénovateurs, Soumaïla Cissé, va l’imiter, lui aussi trahi par les siens qui ont préféré le général Amadou Toumani Touré, celui-là même à qui Alpha Oumar Konaré aurait décidé de renvoyer l’ascenseur.
IBK contre Soumaïla Cissé
Deux démissions de taille, IBK puis Soumaïla Cissé, ont eu pour conséquences d’affaiblir l’Adema, au point qu’en 2007, ses responsables ont affirmé ne pas avoir de cadre présidentiable à opposer à ATT qui briguait un second mandat et qui était parvenu à faire abdiquer en sa faveur tous les états-majors politiques. Même si, dans un sursaut d’orgueil, Soumeylou Boubèye Maïga, vice-président de l’Adema, s’est révolté et a présenté sa candidature à la présidentielle. Sa suspension contribuera à affaiblir encore plus le parti.
Un parti qui n’était pas encore mort et espérait se refaire une santé en 2012, terme du second et dernier mandat d’ATT. De fait, ce parti avait encore ses chances même s’il ne parvenait pas à trouver un candidat consensuel, cause d’un autre affaiblissement. Face à son candidat, difficilement investi et toujours contesté, Dioncounda Traoré, il y avait un certain IBK, dont le parti s’était effrité et n’avait aucune chance de ré émerger, et, surtout, Soumaïla Cissé qui avait opéré un retour en force et qui avait l’onction d’une grande partie de la communauté internationale. Le face-à -face Dioncounda Traoré-Soumaïla Cissé, avec Ibrahim Boubacar Kéita comme arbitre, qui se dessinait va être compromis par le renversement d’ATT et l’irruption de la junte militaire sur la scène politique. La communauté internationale entre dans la danse et obtient des militaires le respect de la Constitution, selon laquelle il revient au président de l’Assemblée nationale, donc Dioncounda Traoré, d’assumer les charges de chef d’Etat par intérim parce qu’ATT était démissionnaire.
La donne change, l’Adema doit se trouver un nouveau candidat à opposer à Soumaïla Cissé, plus que jamais confiant, et à Ibrahim Boubacar Kéita, remis sur selle grâce à un mariage de raison avec la junte, donc avec les associations et organisations pro-putsch, et les mouvements islamiques.
Puis vint le perturbateur Sanogo
Le candidat de l’Adema est battu dès le premier tour de la présidentielle, son état-major se déchire entre les deux finalistes, IBK et M. Cissé. Le candidat lui-même, Dramane Dembélé dont le choix avait été contesté et qui avait également été trahi par d’importants cadres et responsables de son parti, va rallier le camp d’IBK contre la volonté de certains membres de son état-major.
Dans la Ruche, le fossé va encore se creuser quand l’Adema officiel refuse d’aller à l’opposition et rejoint le vainqueur IBK pendant qu’officieusement d’autres refusent ce choix. Les uns et les autres ne vont plus se contenter de simples alliances et tombent dans la défection. Trois des vice-présidents du Pasj vont déserter la Ruche : Soumeylou Boubèye Maïga qui va créer un parti, rejoindre la mouvance présidentielle, obtenir un portefeuille ministériel et se faire virer au bout de quelques mois ; Ibrahima Iba N’Diaye qui va adhérer à la cause perdue de l’URD ; Oumarou Ag Ibrahim qui émigre vers le prince du jour, réaffirmant, toute honte bue, son aversion pour toute forme d’opposition et sa volonté de détruire le bras qui l’a nourri jusque-là .
Depuis quelques semaines, un mouvement « Renouveau pour l’Adema » tente d’éviter au parti la désintégration. Officiellement, l’initiative serait partie de quelques cadres et militants, mais, de plus en plus, des observateurs pensent que c’est Alpha Oumar Konaré, à travers un de ses lieutenants, Amidou Konaté, président du mouvement Renouveau de l’Adema, qui aurait entrepris de reconstruire ce qu’il aurait détruit. Objectif, donc : remettre sur les rails cette locomotive déglinguée.
Mais l’ancien président sait-il qu’il n’y a plus de rails et que les roues de la locomotive ont été dérobées ?
Cheick TANDINA