Décrite « de travail », cette visite semble beaucoup plus être forcée et dictée par les derniers événements survenus au Sahel et ses possibles conséquences sur le statut de la France en Afrique que d’aucune autre raison , ce qui explique d’ailleurs cette seule déclaration très solennelle sous forme d’allocution écrite avec des mots choisis , lu par l’ex ministre de la défense française à sa sortie de l’audience accordée par le locataire du Palais d’El Mouradia
La présence physique de Jean-Yves Le Drian intervient dans un climat de crise très délicate entre Alger et Paris et dont les principales causes sont d’ordres économiques et géostatiques, le président Tebboune ayant déjà déclaré auparavant, que l’Algérie ne fera en aucun cas le premier pas pour désamorcer cette brouille avec Paris.
Échéance électorale oblige, l’Elysée privilégie de mettre seulement en évidence , la seule liaison avec les différends historiques entre les deux pays, « Je souhaite que nos deux pays reprennent ensemble la voie d’une relation apaisée », a déclaré à la presse M. Le Drian aux côtés de son homologue, Ramtane Lamamra, ajoutant que la France et l’Algérie devaient « regarder vers l’avenir ». Le ministre français a insisté sur « la confiance » à « renouer » et sur « l’approfondissement de notre partenariat » qualifié d’« indispensable », c’est ce que l’on pouvait lire et entendre dans la presse et les médias ayant couverts l’événement , autant de vocables solennisant la thèse de la volonté de Paris de surmonter les maladresses fuitées de Macron, en omettant ou ne laissant pas paraître dans les revues de presse, l’utilisation des autres mots présents dans la même allocution à plus forte résonance tel que « partenariat » « opérationnel » et autre « rôle régional » en référence à l’Algérie appuyé, en lisant cette phrase, d’un regard en direction de Lamamra. Des mots qui en disent long sur les véritables motivations de cette visite. Le spectre de Bangui que Washington refuse de voir se reproduire à Bamako.
Á l’accoutumée et de tout temps Paris souffle » le chaud et le froid » dans ses relations avec Alger, cependant cette fois ci, ce modus operandi a vite été remplacé par la mise en place d’une escalade verbale calculée envers Alger, précipitée sans doute par la nouvelle donne au Mali après le putsch du 24 mai 2021.
D’autant plus que depuis son élection à la tête de l’Etat Algérien en décembre 2019, Abdelmadjid Tebboune a amorcé de nouvelles stratégies et actions diplomatiques qui ont quelque peu exacerbé Paris et que cette dernière juge sans nul doute, préjudiciables pour ses intérêts directs, autant pour les relations bilatérales que dans le continent Africain mais aussi en Méditerranée.
En effet, six semaines plus tôt survint une énième provocation, les propos tenus par Emmanuel Macron lors d’une rencontre à l’Élysée avec des « petits-enfants » de la guerre d’Algérie, largement médiatisés dans l’hexagone, ont été jugés par Alger d’offensants et irrespectueux envers l’Algérie, son peuple et son histoire. Il y avait évoqué un « système politico-militaire algérien » bâti sur la « rente mémorielle » et la « haine de la France ». S’interrogeant même sur l’existence de « la nation algérienne (…) avant la colonisation française ».
Le Retrait des forces françaises du Mali : redéploiement tactique ou bien tentative d’enlisement de l’Algérie ?
Alger avait répliqué en rappelant pour consultation son ambassadeur à Paris ; une action diplomatique qui n’a rien d’extraordinaire dans pareille situation. Sachant que les enjeux étaient ailleurs et contre l’attente de tous, Paris y compris , les autorités Algériennes ont de facto et parallèlement interdit le survol l’espace aérien algérien aux avions militaires français participant à l’opération « Barkhane », Macron, qui caresse le rêve de rempiler pour un deuxième mandat présidentiel, avait accéléré quelques mois avant cette cabale, le retrait des forces françaises des principales lignes de front dans le nord du Mali, optant pour l’internationalisation de l’intervention , tout en maintenant les bases françaises dans le Sahel , notamment au Tchad et au Niger , afin d’éviter, selon des analyses françaises , que cette région ne tombe dans l’escarcelle de l’influence russe et chinoise, les conséquences de l’opération « Sangaris » en Centrafrique sont si évidentes pourtant ! Les Russes et les chinois sont bel et bien là.
Selon la version française à peine dévoilée le 09 juillet dernier lors du sommet virtuel de Paris sur le Sahel , ce repli tactique vise un allègement de l’effort de guerre français, sans pour autant renoncer à l’influence de Paris dans la région, le coût financier étant de un milliard d’euro/an depuis le début des opérations, « Serval » d’abord puis «Barkhane », selon des sources informées. Sur un plan opérationnel ceci consiste en la fermeture des bases militaires à Kidal, à Tombouctou et à Tessalit, dans le nord du Mali (sud de l’Algérie) , ainsi que la réduction des effectifs , pour les faire passer de 5100 actuellement à environ 2500 à 3000 éléments, concrètement ceci rendra ainsi cette zone déjà très fragile , un No Man’s Land ouvert à la possibilité de la création d’un État ethnique Touareg sous la coupe des terroristes comme ce fût pour le duo pachtoun-taliban en Afghanistan, sans plan de rechange, la France s’emploie ainsi à vouloir remplacer «Barkhane» par «Takuba», cette task force européenne déployée au Sahel mais non opérationnelle, et qui compte le rester puisque les pays qui la compose , le Royaume-Uni à leur tête , refusent jusque-là de s’impliquer militairement dans la région la considérant comme étant « zone sous influence française ».
La création d’un tel déséquilibre sécuritaire prémédité ou non dans le nord Mali , impliquerait selon des observateurs acquis aux thèses françaises, de toute évidence, l’engagement de troupes Algériennes, du moment que ce déséquilibre profiterait grandement aux groupes armés et aux organisations terroristes aux frontières algériennes, ou bien même selon d’autres, la création de zones sécuritaires en profondeur Malienne et par conséquent au Sahel , ce qui est très peu probable, pour l’une comme pour l’autre, ceci ne peut être envisageable du côté d’Alger qui maîtrise et connaît parfaitement le dossier, donc en possession de plusieurs arguments à mettre en œuvre pour le règlement de ce conflit Malien, sans encombre , encore plus, le gouvernement Algérien reste convaincu que la solution de cette crise ne peut être d’aucun cas militaire.
Qu’en est-il des réalités sur le terrain ???
À Bamako, le Président par intérim, proche de Paris Bah N’daw, est renversé par le colonel Assimi Goïta le 24 Mai 2021, Macron annonça le retrait de ses troupes des bases du nord, le 09 juillet 2021 , laissant une armée locale très précaire qui a toujours eu du mal à contenir depuis toujours, les rébellions Touaregs au delà du fleuve Niger, la frontière naturelle entre le nord et le sud du pays, Paris espère ainsi pousser la Direction au pouvoir à revenir contrainte, dans le giron français, afin d’obtenir l’appui militaire et financier de l’hexagone. Cependant les militaires aux commandes à Bamako annoncent la réception de quatre hélicoptères russes MI-171 neufs livrés à partir de la base Égyptienne de Helwane, possible future base de maintenance pour hélicoptères en concert avec l’Algérie pour la zone AME, c’est ici l’entame de l’acquisition des équipements qui permettront une lutte anti-terroriste plus conséquente par l’armée Malienne suivi par la signature de plusieurs contrats d’achat d’armements avec Pékin cette fois, dont dix MRAP, véhicules blindés anti-mines déjà livrés , il est même question de l’acquisition proche de chasseurs russes de classe 4++, le SU 35, au moment où Paris accuse Bamako de vouloir contracter les mercenaires du groupe Wagner proche du Kremlin, à vrai dire rien n’a été confirmé à ce sujet, encore une guerre du renseignement dans ce contexte de lutte contre le terrorisme transnationale et qu’il faille compter désormais sur l’expertise Algérienne indispensable pour Paris qui n’a pas été en mesure de prévoir les intentions du gouvernement Malien . Ce rapprochement direct de Bamako avec Moscou et Pékin, ne va pas sans déplaire encore une fois à Washington. Un revirement total de la situation puisque, l’armée malienne dispose actuellement des atouts qui lui ont fait défaut jusqu’à présent lui permettant d’avoir la maîtrise aérienne et une logistique anti-mine, arme redoutable des jihadistes en sol malien et qui est la principale cause des pertes en vie humaines françaises depuis « Serval » , tout le contraire de l’effet escompté par cette manœuvre Française, Bamako a maintenant les capacités militaires pour faire cavalier seul dans sa lutte contre le terrorisme et surtout son émancipation vis-à-vis de Paris, en choisissant ses propres partenaires militaires . En effet, c’est le retour à la case de départ du dossier à savoir la crise Touareg au nord du pays et le consensus des belligérants du rôle de l’Algérie qui dispose de l’entière confiance de ses voisins du sud ouest.
Algérie : une connaissance parfaite des réalités maliennes
Le Nord du Mali a toujours été le théâtre de nombreuses rébellions Touaregs, réclamants une égalité entre le nord et le sud par rapport aux investissements de l’état , des événements au cours des quels Alger a de tout temps joué un rôle central et majeur, privilégiant le dialogue entre les belligérants, plusieurs crises ont pu être dépassées grâce à des négociations sous l’égide d’émissaires Algériens , la dernière avait été couronnée par les Accords d’Alger signés en 2015 , entre les groupes armés Touaregs et le gouvernement de Bamako qui n’a encore pas honorer ces engagements vis-à-vis de ses détracteurs Touaregs , au risque d’un retour aux armes imminent des Azawads, auxquels il faudrait ajouter la présence entre temps, d’une nébuleuse terroriste ayant trouvé dans cette région délaissée par l’état et livrée à elle même, un vaste terrain libre, favorable à une implantation pérenne des jihadistes qui appellent à un dialogue direct avec les capitales européennes, celles-ci ont pris pour habitude de payer des rançons à coup de millions d’euro, Paris n’est pas en reste sur cette pratique.Toutefois, comme en 2012, les groupes armés terroristes pourraient cette fois-ci se regrouper, avec l’aide des différents services de renseignement présents, sous la bannière du GSIM, groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans de Iyad Ag Ghali, qui a dernièrement déclaré le jihad contre la Russie, selon le scénario le plus optimiste de Paris, la création d’un émirat terroriste à ses frontières sud contraindra une intervention militaire Algérienne cependant la déclaration du GSIM contre la Russie pourrait amener les troupes russes dans cette zone et non pas seulement Wagner comme en centre Afrique, et qui a valu à Paris les foudres de l’administration Américaine.
Le Drian à Alger: les relations bilatérales ou bien une mission de sauvetage de la politique française au Mali ?
D’après les premières impressions, cette visite à Alger semble dépasser, et de très loin le seul cadre des relations bilatérales Algéro-françaises relégués à priori au second plan, malgré la volonté officielle française de vouloir faire paraître le contraire. Ce qui pousse Paris à agir avec célérité, c’est sans doute sa position inconfortable vis-à-vis de ses alliés européens et beaucoup plus avec l’administration Biden.
Aux besoins de Paris, exposés à Tebboune par le biais de Le Drian. l’Elysée, vu que sur le terrain des opérations, les événements ont pris une tournure telle que Washington ne manquera pas de recadrer la France au Sahel, si ce n’est pas déjà fait d’ailleurs. Sans doute c’est à Alger, que reviendra la primauté sur ce dossier, car ses thèses Maliennes sont les plus réalistes et réalisables. Cependant, le mutisme total d’El Mouradia sur cette visite semble dire que l’Algérie n’a jamais été loin du Mali, bien au contraire. Ce qui semble focaliser actuellement l’attention de l’Algérie c’est la Libye, un autre dossier où les actions de Paris ont été aussi désavouées.
Par Mohamed Amine Hattou
PAR Algérie54