L’initiative en soi est inédite et procède d’une démarche participative à nulle autre pareille dans le Mali démocratique. Mais dans sa mise en œuvre, l’exercice met en évidence des tendances autoritaristes qui tranchent paradoxalement avec l’état d’esprit démocratique qui le sous-tendent.
Comme promis lors de sa première expérimentation consécutive au triste épisode de Kidal, l’instauration d’un climat de dialogue entre le pouvoir et les diverses sensibilités politiques et sociales de la Nation tend à devenir une tradition démocratique bien ancrée au Mali. Il vient de connaitre un deuxième épisode tout aussi riche en enseignements. En tout cas, aucun sujet de l’actualité brûlante n’a été passé sous silence à Koulouba. Les forces vives de Nation ainsi que les tendances politiques de la majorité comme de l’opposition ont tour à tour défilé pour écouter le chef de l’Etat et partager leurs préoccupations sur les équations de la maladie à virus Ebola, l’évolution des négociations d’Alger et l’épreuve de bonne gouvernance à laquelle le régime est confronté. Bref, une véritable boite de Pandore ouverte par IBK, qui accepte en même temps que le débat soit déplacé des espaces informels vers les tribunes les mieux indiquées.
Convergence et rupture
Sur la dramatique et tragique maladie qui sème la terreur et la psychose chez les concitoyens, une unanimité se dégage pour déplorer les négligences coupables à l’origine de la récente introduction du virus par les frontières. Aussi les diverses sensibilités approuvent à l’unisson l’intensification des mesures contre la propagation d’Ebola, quoique l’opposition n’aura pas gain de cause sur ses suggestions de fermer temporairement les frontières.
Idem pour la problématique du Nord. Là également, les positions convergent pour ne rien céder ni de l’intégrité du territoire, ni de la laïcité de l’Etat et de la souveraineté nationale.
Par ailleurs, opposition et majorité s’accordent à admettre que les marchés de l’aéronef présidentiel et des fournitures militaires mettent en exergue un malaise évident du système de gouvernance malien. Ils réclament par conséquent tous une sanction logique des responsables du scandale qui défraie la chronique.
En revanche, leur illustre interlocuteur, IBK, s’inscrit en faux contre la tendance à la flagellation des uns et à l’auto-flagellation des autres. Face aux premiers (l’opposition), il a opté pour la dédra- matisation sur chacun des marchés concernés controversés, tandis qu’aux seconds il a clairement exprimé son insatisfaction d’une majorité qu’il juge en deçà de son rôle selon. «Vous m’avez laissé sur ma faim», leur a-t-il lancé à la face, en manifestant un doute sur la sincérité de ses alliés. Une majorité n’a de sens que lorsque son soutien est constant et fondé sur la vérité, a laissé entendre. Et, comble d’humiliation et de mépris, le mentor de la majorité présidentielle a poussé le mépris jusqu’à relever l’incapacité de son camp politique à remplir une salle de 1000 places.
Un président au dessus du peuple
Si les alliés politiques inconditionnels se résignent à avaler sans grand murmure leur déconvenue, les ténors de l’opposition, eux, persistent et signent : la gravité de la situation y compris celle du septentrion, exigent d’un premier responsable de la Nation qu’il donne des explications au peuple sur les écarts de gouvernance ainsi que sur les implications de l’épisode de Kidal. Car, rappelle le président du Parena Tiébilé Dramé, c’est bien Moussa Mara, Premier ministre d’IBK, qui a conduit le pays dans une aventure ayant occasionné des pertes de vies militaires et civiles et mis le pays en mauvaise posture dans les négociations avec les groupements armés. Les difficultés actuelles d’Alger ne sont que le résultat des rapports de force créés par Kidal, a-t-il argumenté en suggérant de donner des explications au peuple.
La réplique du président de la République ne s’est pas fait attendre. Visiblement agacé par la redondance de la question, IBK a clairement indiqué devant le plus gênant de ses interlocuteurs qu’il ne donnera d’explications ni aujourd’hui ni demain sur les sujets concernés. Et, pour explication à cela, le président de la République trouve que la dignité de ses fonctions présidentielles est au dessus d’une telle tâche. Ce faisant, le locataire de Koulouba n’a pas l’air de se rendre compte qu’investi d’un mandat du peuple il est du coup responsable devant lui de toute dérive de gouvernance. Aussi est-il préférable de le faire en cours de mandat que d’y être obligé à la manière d’un ATT poursuivi pour haute trahison.
Dans tous les, si la fonction présidentielle est au dessus de la confiance du peuple, il était inutile de se soumettre à l’exercice d’un dialogue avec les sensibilités de la nation sur les grandes questions de l’heure.
Ou alors, il y a contradiction évidente, un fossé invisible, entre l’état d’esprit démocratique du chef de l’Etat et l’exercice auquel il se prête.
A.kéïta